dimanche 4 février 2024

"Vingt quatre heures de la vie d'une femme", Stefan Zweig

 Le court roman de Stefan Zweig, "Vingt quatre heures de la vie d'une femme", publié en 1927, se lit d'une traite et n'a rien perdu de son actualité, presque cent ans après sa publication. Le narrateur raconte l'ambiance feutrée et familiale d'un hôtel bon chic bon genre sur la Riviera. Un jeune Français, élégant et courtois, va déclencher chez les vacanciers un scandale inqualifiable : Madame Henriette, épouse et mère, une trentenaire pourtant sage, va fuir avec lui au grand dam du mari trompé et de la petite communauté de l'hôtel. A l'époque, cet adultère bousculait la morale conformiste bourgeoise. Stefan Zweig écrit : "On comprendra aisèment qu'un tel événement, coup de tonnerre pour nos yeux et nos sens, était de nature à troubler violemment des êtres qui n'étaient accoutumés qu'à l'ennui et à des passe-temps insouciants". Cette romance à la Madame Bovary dérange ce petit monde bien pensant sauf un personnage féminin âgée, Mrs S., avec laquelle le narrateur compréhensif établit un dialogue. Elle lui confie qu'elle aussi a vécu une expérience amoureuse à 40 ans et une deuxième histoire s'emboîte sur la première anédocte. Dans son passé, la dame en question a voulu sauver un jeune homme, joueur addictif du casino, un jeune fils de famille de la noblesse polonaise. En 24 heures, elle l'accompagne dans sa détresse de joueur perdant, déboussolé, désemparé. Ils vont même s'aimer pendant la nuit et elle espère le sauver du suicide. Mais, elle ne peut lutter contre l'addiction mortifère du joueur. Il finira par se tuer avec une arme à feu. Stefan Zweig montre à travers ce texte emblématique de son oeuvre les bifurcations que toute vie humaine peut prendre. Les deux femmes ont choisi la passion amoureuse contre la morale collective. La superposition des deux histoires évoque les thèmes de la "faute" et de la "culpabilité". Le rapport à l'argent et au jeu est aussi un sujet "zweigien". La passion amoureuse s'empare des deux femmes qui ne résistent pas à ce bouleversement des sens. Eros est plus fort que Thanatos, nous dit l'ami de Freud. La critique littéraire relève la scène d'une densité dramatique, celle des mains du jeune homme en proie à la folie du casino. Le narrateur joue le rôle du psychanalyste en écoutant sans juger l'histoire de Mrs S.. Un roman indispensable et emblématique de la planète Zweig.