mercredi 15 avril 2020

Ranger sa bibliothèque, 2

Je dispose donc de trente jours pour enfin ranger ma propre bibliothèque. Je ressens toujours un attachement particulier pour les lieux "livresques". Depuis que j'ai quitté le milieu de la lecture en 2010, une nostalgie certaine me gagne envers ces espaces fabuleux qui condensent toutes les connaissances humaines et toutes les créations fictionnelles. Le Savoir et l'Imaginaire cohabitent en toute harmonie. Evidemment, je rêverais d'accueillir chez moi toutes les collections que j'ai gérées dans les bibliothèques municipales, départementale et universitaire. Si je cumule mes années de libraire et de bibliothécaire, je me suis baignée dans un long fleuve tranquille de mots et d'idées. Aujourd'hui, je me contente modestement de quelques centaines d'ouvrages dans ma petite maison. Dans le salon, j'ai rangé dans un des quatre murs une bibliothèque sur mesure, en bois clair, fabriqué par un menuisier professionnel. J'y tenais beaucoup. Philippe Lançon raconte dans son magnifique "Lambeau" son premier projet à sa sortie de l'hôpital : fabriquer une vraie bibliothèque en bois pour enfin déposer ses livres dans un écrin protecteur, un barrage symbolique contre la violence du monde, pour lui qui a vécu l'invraisemblable et horrible attentat de Charlie Hebdo.  Dans mes étagères, se retrouvent tous mes écrivains préférés : de Quignard à Annie Ernaux, de Kundera à Virginia Woolf et tant d'autres. Je possède une trentaine de Pléiades : Flaubert, Stendhal, Proust, Rimbaud, Duras, René Char, Larbaud, Julien Gracq et tant d'autres. Ce rangement s'avère stable depuis l'origine. Je collectionne les livres d'art dans des meubles plus bas en bois clair pour pouvoir les saisir avec facilité. Je les ai classés par époques avec une prédilection pour l'Antiquité, la Renaissance, l'art moderne, l'art du livre, des bibliothèques, des monographies de peintres, de sculpteurs, etc. Je ramène beaucoup de catalogues des musées que je visite dans mes escapades en Europe. Ces beaux livres, lourds et denses, se destinent souvent au feuilletage. En ce moment, je voyage avec ces beaux vaisseaux de papier surtout dans cette période de surplace. Dans la chambre d'ami, j'ai plusieurs rayonnages pratiques (de la célèbre marque suédoise) pour ranger les livres de poche, les guides de voyage, la section philosophie, les revues littéraires et les livres récents acquis et prêtés en attente de lecture. Autant, je ne bouge pas pratiquement plus les bibliothèques de mon salon, autant dans la chambre, j'effectue des changements : désherbage, dons, étagères revisitées. Le salon ou mon jardin à l'italienne, stable et permanent, la chambre, mon jardin à l'anglaise, brouillon et changeant. Si je m'écoutais, je coloniserai tous les espaces de ma maison. Mais, il faut savoir se raisonner en acceptant de ne plus acheter de meubles pour caser mes acquisitions régulières. Quand un de mes compagnons de papier rentre chez moi, je fais du tri pour lui trouver une place. Cet acte d'évacuation se double d'un geste de générosité. Je donne, je fais circuler à la médiathèque dans les chariots de dons. Quel plaisir de les regarder ces livres qui m'accompagnent depuis des décennies ! Témoins silencieux et discrets, ce sont mes plus fidèles repères de lectrice passionnée. Ranger sa bibliothèque, un plaisir retrouvé et un passe-temps consolant...