lundi 13 novembre 2023

"Les Heures heureuses", Pascal Quignard, 1

 "Les heures heureuses" de Pascal Quignard représente la quintessence de la démarche de cet écrivain  si particulier, si singulier et si unique dans le panorama littéraire d'aujourd'hui. Ce douzième tome du "Dernier Royaume", entamé il y a plus de vingt ans, se lit avec une délectation joyeuse. Le vaste cycle de l'écrivain explore le Temps sans "fond", nommé le "Jadis", temps de l'origine du monde. Résumer un ouvrage de Pascal Quignard tient de la gageure mais je vais essayer de rendre compte à ma façon de la lecture des "Heures heureuses". A quoi ressemblent ces "heures heureuses" ? Chaque vie individuelle compte malgré tout des moments de bonheur souvent indicibles. La méthode littéraire de Pascal Quignard demeure la même depuis la naissance du "Dernier Royaume" : réflexions, aphorismes, souvenirs, anecdotes, citations, récits, poèmes, légendes, mythes. Des fragments de vie, du passé comme du présent, insérés dans des chapitres courts, donnent un rythme musical au texte. Un critique du "Monde des Livres" analyse ainsi la posture du lecteur : "On entre dans l'écriture comme on entre dans l'eau : d'abord le saisissement sensible, puis l'abandon, puis le retour au lieu de la naissance". Des rares bribes biographiques surgissent parfois comme un souvenir d'Ischia où le narrateur a vécu des "heures heureuses, infiniment heureuses".  L'auteur chante les paysages, les heures naissantes, les fleurs, le matin et le soir, les changements infimes des instants de vie. Tous ces mots, crépuscule, aube, le soleil, l'ombre, le jour, la nuit, prennent une valeur poétique dans le texte quignardien. Et la mer symbolise la vie du "Jadis" : "Le bruit en bordure de mer est un tonnerre. Tout assourdit l'âme. Le passé revient sans cesse sous la forme d'étranges vagues qui ne sont jamais semblables". Une ode aux "rares" résume la pensée de Pascal Quignard qui apprécie la solitude, la marge, le retrait, tous ceux et toutes celles qui ne sont pas assujettis au temps social  : "Rares les hommes qui ne sont pas pris en otage par le temps métrique et pour ainsi dire pulsatile des portables". (La suite, demain)