jeudi 30 janvier 2020

"Le Consentement", 2

Cette histoire amoureuse hors-norme va se déliter quand la jeune Vanessa va enfin ouvrir les yeux sur son prédateur pervers. Elle commence à comprendre que son cher G.M. entretient des relations épistolaires avec d'autres jeunes filles. Elle constate "sa frénésie sexuelle" même s'il lui déclare qu'elle est la seule qu'il aime. Très fin stratège, l'écrivain raconte qu'il nourrit son œuvre avec toutes ses expériences, "ses conquêtes collégiennes". Vanessa devient sa muse et aussi un personnage de fiction. La Brigade des Mœurs le convoque pour des renseignements mais cette entrevue ne provoque aucune suite, ni une visite chez lui. L'écrivain peut mener la vie qu'il veut, se sentant protégé par les pouvoirs en place, en particulier l'ancien président François Mitterrand… Vanessa Springora accompagne le "Grand Ecrivain" dans une émission littéraire et elle écrit : "Et personne ne se montrera choqué, ni même embarrassé par le contraste entre le G. et mes joues pleines de gamine, sans fard ni accidents de l'âge". La narratrice raconte enfin  "La déprise" quand elle tombe sur un paragraphe d'un ouvrage où G.M. se met en quête de petits garçons de onze ans à Manille. Elle se sent "avilie et plus seule que jamais". Cet homme "n'était pas bon. Il était bien ce que l'on apprend à redouter dès l'enfance : un ogre". Cette découverte dissipe "le sortilège amoureux".  Le fatidique et grotesque Prince Charmant s'est transformé en pitoyable citrouille. Sentant que la jeune Vanessa s'éloigne, le quinquagénaire odieux la retient dans son emprise. Mais, Vanessa a enfin compris qu'elle se fourvoyait. Elle renoue des relations avec des jeunes de son âge. Elle met fin à cette relation en lui envoyant une lettre de rupture. Un certain Youri a permis ce dévoilement et commence pour la jeune fille une reconstruction de son être. Au fil des années, elle constatera que G.M. évoque cet amour dans ses ouvrages. Elle se sent instrumentalisée comme une proie, cet homme étant un vampire. Après une psychanalyse salvatrice, elle décidera d'écrire "Le Consentement" pour dénoncer l'exploitation de son image. Son témoignage provient d'une réaction quand elle a appris que cet écrivain avait obtenu un prix littéraire assez réputé dans les années 2010. Sa réputation littéraire pourtant très confidentielle (petits tirages de ses œuvres) avait donc mérité cette récompense. Invraisemblable, selon la narratrice et elle termine son récit en racontant son geste : elle déchire et découpe les livres de G.M. en "grand carnaval de confettis". Cette libération cathartique permet à Vanessa d'écrire ce très beau récit autobiographique sans haine, ni ressentiment. La littérature peut être souvent amorale mais, il ne faut pas oublier qu'elle n'est pas au dessus des lois, n'en déplaise à certains défenseurs de cet immonde imposteur… 

mardi 28 janvier 2020

"Le Consentement", 1

Vanessa Springora vient d'écrire sa vérité, une vérité qui surgit trente ans après son "consentement" auprès d'un écrivain, Gabriel Matzneff, impuni jusqu'ici malgré ses comportements pédophiles. Ce comportement criminel, puni par la loi, n'a pas alerté le milieu littéraire. Bernard Pivot l'a souvent reçu dans Apostrophes et seule, une écrivaine, Denise Bombardier, s'était indignée. La société fermait les yeux et une pétition, initiée par Gabriel Matzneff, stipulait l'impunité des relations sexuelles entre adultes et mineurs. Elle a été signée par de grands intellectuels (Sartre, Beauvoir, Barthes). L'époque libérale de l'Après 68, prônait la liberté où chacun pouvait se livrer à sa vie amoureuse comme il le sentait. Il ne fallait pas contrarier les pulsions sexuelles… Le libertinage d'un prédateur comme cet écrivain était accepté sans aucune règle morale. Il faut bien du courage à l'écrivaine et nouvelle directrice des Editions Julliard, pour raconter avec un calme distant, apaisé, l'histoire de ce drôle de couple improbable. Vanessa Springora vit à Paris avec sa mère qui travaille dans le monde de l'édition. Le père est absent, très occupé et le couple en crise se sépare.  La jeune adolescente accompagne sa mère dans un dîner et elle s'ennuie au milieu des adultes. Un homme l'observe, la regarde, la fixe avec ses yeux bleus redoutables. Cet homme possède une réputation flatteuse de lettré et connaît beaucoup de gens importants. Elle va rencontrer dans cette soirée, son ogre… La narratrice comprend quelques années plus tard  ce moment fatidique où toutes les conditions sont réunies : "Un père aux abonnés absents qui a laissé dans mon existence un vide insondable. Un goût prononcé de la lecture. Une certaine précocité sexuelle. Et, surtout, un immense besoin d'être regardée". La fascination envers ce "grand écrivain" se transforme vite en passion amoureuse, exaltée et lyrique. Elle a 14 ans et lui 50 ans… Il commence ses contacts par une relation épistolaire intense. Elle accepte de le voir et ils se retrouvent dans son studio. Leur relation démarre et quand sa mère apprend qu'elle est la maîtresse de ce homme âgé, elle lui révèle que ce G. M. a une réputation de pédophile. Elle ne croit pas cette mère en colère. Comme beaucoup d'adolescentes en révolte, elle défie l'autorité des adultes et se jette dans les bras de cet homme pervers. Vanessa Springola relate avec une parfaite maîtrise cette relation anormale, son initiation sexuelle, un nouveau continent pour cette jeune fille timide. Elle écrit : "Je suis amoureuse, me sens aimée comme jamais auparavant". Leur rencontre est un miracle, lui dit-il. Il l'emmène dans les musées, au cinéma, lui conseille des lectures, l'attend à la sortie du collège. Leur amour doit rester secret. Sous emprise de cet homme qu'elle admire pour sa culture et son intelligence, la jeune fille impose son amant quinquagénaire à sa mère qui finit par adouber cette relation exceptionnelle.  (La suite, demain)

lundi 27 janvier 2020

En me promenant

J'ai l'habitude de marcher au bord du lac deux à trois fois par semaine quand la météo le permet. Trois itinéraires me plaisent particulièrement : l'esplanade d'Aix Les Bains jusqu'au port, les Mottets jusqu'au Lido, et le port du Bourget du Lac jusqu'à Bourdeau. Trois balades de six à huit kilomètres pour marcher, prendre l'air, observer le lac, les nuages, les arbres, les mouettes et les cygnes. Cette semaine, j'ai découvert au Bourget, dans la petite maison aux livres, un ouvrage de Gaston Bachelard, "La poétique de l'espace" que je voulais acheter après avoir découvert un ouvrage de la sociologue, Mona Chollet, "Chez soi", qui analyse l'importance primordiale de l'habitation, de sa maison ou de son appartement. Ce livre a été déposé pour moi et c'est mon ange gardien qui a pensé à Bachelard… J'ai aussi retiré deux "Folio" de Philip Roth et un de Sylvain Tesson, "Dans les forêts de Sibérie". C'est quand même rare de trouver dans ces dépôts des romans de qualité ou des ouvrages de philosophie. Les livres me poursuivent partout ! Tant mieux et j'en ai même rencontré dans le tout petit village de la Thuile dans une cabine téléphonique transformée en bibliothèque gratuite. En me promenant, j'écoute France Culture sauf quand je me retrouve dans un espace silencieux comme les Mottets au Viviers du Lac. Deux émissions en podcasts ont particulièrement retenus mon attention accrue. Il s'agit des "Chemins de la Philosophie" animés par Adèle Van Reth. Cette journaliste très cultivée propose tous les jours un thème et le vendredi, un portrait de philosophe. J'ai écouté ainsi des commentaires sur Marc Aurèle, sur Jankélévitch, sur Bergson, sur Cynthia Fleury, sur Nietzsche, etc.  Des sujets sont abordés sous le regard de la philosophie : "l'attente, le pouvoir de la parole, sous le soleil, le rêve, le père", etc. Toutes ces émissions se trouvent sous la rubrique des Idées. Comme j'assiste deux fois par semaine à un atelier philo d'une richesse inouïe grâce à Agnès, professeur de philosophie à la retraite, ces informations complémentaires m'apportent des éclairages d'une clarté formidable et à la portée de tous. Mon esprit balance ainsi entre les Idées et la Littérature. France Culture est une magnifique radio nationale qui rend tous ces auditeurs plus intelligents… J'écoute aussi "La Compagnie des Œuvres" où le journaliste raconte les écrivains. De très beaux portraits s'écoutent avec plaisir. J'ai revisité Julien Gracq, Claude Simon, Toni Morrison, Milan Kundera, etc. Je marche en admirant le lac et je me cultive tout en me promenant. Mes jambes fonctionnent et mon esprit jubile… Le corps et l'esprit, un couple essentiel... 

mercredi 22 janvier 2020

Atelier Lectures, 3

J'avais proposé dans l'atelier de décembre un choix d'ouvrages dans la collection des "Petits éloges" car je voulais des textes courts et festifs. Je sais que les périodes des vacances d'hiver ne sont pas favorables à une lecture sérieuse et longue… Danièle a démarré avec "Petit éloge de la mémoire" de Boualem Sansal et elle n'est pas rentrée dans le livre. La rencontre n'a pas eu lieu alors qu'Annette a beaucoup aimé cet ouvrage. L'auteur présente l'épopée des peuples qui ont façonné l'Afrique du Nord depuis quatre mille ans. Je cite cette phrase de ce grand écrivain algérien : "La nostalgie est comme la spéléologie, une démarche risquée, on entre en soi, on avance pas à pas dans les profondeurs de son âme, de sa mémoire, de son histoire, avec toujours, l'espoir d'atteindre le fond et de pouvoir retrouver le chemin du retour". Annette a aussi présenté le "Petit éloge de la joie" de Mathieu Terence qui l'a un peu désarçonnée. Elle avait choisi ce sujet avec joie et s'est retrouvée sans trop éprouver cette étincelle vibrante quand on découvre un texte avec gourmandise. Certains passages étaient intéressants et malgré une petite déception, elle le conseille quand même. Il est question de l'histoire de la joie à travers les arts, la littérature, la peinture et la musique. Grâce à des aphorismes et des réflexions plus personnelles, l'écrivain montre à ses lecteurs comment reconnaître la joie en toute chose, dans la nature, dans sa vie quotidienne. Un petit manuel indispensable pour saisir le concept de la joie. Régine n'a pas apprécié le "Petit éloge de la rupture" de Brina Svit mais a préféré le "Petit éloge de l'ironie" de Vincent Delacroix. Arme préférée de Socrate, l'ironie est présentée en trois tableaux : des fragments, un dialogue entre Moi, l'ironiste et Lui, le détracteur et un conte parisien sur le thème de l'ironie du sort. Un texte un peu difficile d'accès mais à découvrir avec un petit effort... Janine a bien aimé le 'Petit éloge des brumes" de Corinne Atlan. Des brumes météorologiques aux brumes métaphoriques, de Giverny à Kyoto, l'écrivaine et spécialiste de la littérature japonaise nous enrobe dans ces brumes de mots aux accents poétiques. Une citation pour goûter cette prose délicate : "Nos lectures et nos songes guident nos existences plus sûrement que toute certitude. Tout commence dans la brume du rêve et de l'incréé". Odile a lu le "Petit éloge de la vie de tous les jours" de Franz Bartelt. Un ouvrage, teinté de nostalgie, d'humour et d'ironie. Cette petite collection originale de la maison Gallimard, des Folio à deux euros, est marquée par l'éclectisme des sujets et des auteurs. Je n'énoncerai pas la liste mais la lecture de certains titres commentés peut stimuler notre curiosité… 

lundi 20 janvier 2020

"Miss Islande"

De l'Islande, on connaît ses volcans aux noms imprononçables, sa population de 350 000 habitants, son hiver rigoureux et glacial, ses paysages originels et Audur Ava Olafsdottir ! L'écrivaine s'est fait connaître en France pour son roman "Rosa Candida", publié chez Zulma en 2010. Cet automne, "Miss Islande" a obtenu le Prix Médicis étranger. En 1963, Hekla, vingt et un ans, quitte son village,  la ferme de ses parents, sa terre de pêcheurs de la "Saga des gens du Val-au-Saumon" et prend le car pour la capitale, Reykjavik. Dès la première page, la jeune fille annonce son amour de la littérature en lisant le fameux et incompréhensible "Ulysse" de Joyce qu'elle a d'ailleurs un peu de mal à décrypter. Dans ses bagages, elle emporte une machine à écrire et trois manuscrits. Sa vocation ne se démentira pas : elle sera écrivain. Son voisin de car, un homme d'affaires, lui propose de briguer l'élection de Miss Islande, un but à l'époque pour une jolie jeune fille, d'après ce goujat patriarcal, traditionnellement préoccupé par la beauté féminine. Evidemment, Hekla décline cet offre méprisable. Elle rejoint son amie, Isey, mariée et mère d'un bébé avec qui elle partage son secret de devenir écrivain : "Tu te souviens, quand on avait six ans et que tu as noté dans un cahier, de ton écriture enfantine, que la rivière avançait comme le temps ?". Hekla retrouve aussi son meilleur ami, John John, son confident, homosexuel caché et amoureux de la mode. Il travaille dans les bateaux de pêche et accueille son amie chez lui. Il l'emmène un jour dans un café littéraire. Elle rencontre un jeune poète avec qui elle va partager sa vie. Il lui déclame ses poésies creuses sans se rendre compte que sa "muse" écrit elle-même tout en lui cachant sa machine à écrire. Hekla va finir par le quitter. Ses textes sont enfin publiés et elle réalisera son rêve. Isey, son amie, se résignera à jouer le rôle de mère pour ne pas heurter son mari pêcheur. John John part à l'étranger pour vivre sa différence sexuelle. Chacun poursuit son chemin entre renoncement et épanouissement. Ce roman délicat et féministe se lit avec un plaisir certain. On ne se souvient plus de ces années du siècle dernier où les femmes se soumettaient à l'ordre patriarcal (et aujourd'hui encore, hélas !), où les homosexuels étaient moqués et rejetés. Hekla possède en elle la force d'un volcan islandais, la passion de l'écriture et elle trace sa route littéraire avec une volonté hors du commun. Un très bon roman. 

jeudi 16 janvier 2020

"Le dernier hiver du Cid

Les jeunes d'aujourd'hui n'ont jamais entendu parler de Gérard Philippe. Je l'ai constaté en interrogeant mes nièces trentenaires… (Oh, le choc culturel des générations !). Je me suis étonnée devant elles car je leur ai parlé du livre de Jérôme Garcin, "Le dernier hiver du Cid", consacré aux derniers moments du comédien, mort en novembre 1959. Il est mort d'un cancer incurable à l'âge de 36 ans. Sa disparition, en pleine célébrité, a frappé  et endeuillé les Français qui adoraient cet homme incarnant la beauté, l'intelligence, l'appétit de vivre. Dans les années 50, il avait réussi à reconcilier la haute culture avec le peuple sous l'égide d'un Jean Vilar, créateur du Festival d'Avignon. Il a incarné le Rodrigue du Cid, Fanfan la Tulipe, le Prince de Hombourg, Julien Sorel dans "le Rouge et le Noir". Jérôme Garcin est lié à Gérard Philippe car il vit avec sa fille, Anne Marie, et cette proximité familiale lui impose ce devoir de mémoire. Il évoque les six derniers mois du comédien entre Ramatuelle et Paris. Son dernier été s'est donc passé dans sa résidence de vacances au milieu des vignes et des pins, entouré de sa femme Anne et de ses deux enfants, Anne Marie, (4 ans) et Olivier (3 ans). Il revient du Mexique où il a joué dans un film de Buñuel et il ressent une fatigue éprouvante. Cet homme impatient vivait dans un tourbillon avec ses films, son théâtre, ses engagements politiques à gauche (PC), ses voyages et sa famille. Il dort très mal, se plaint de maux de ventre, de démangeaisons. Sa femme commence à s'inquiéter et son entourage aussi. Les médecins constatent lors d'une intervention que son cancer hépatique est inopérable. Mais, le comédien n'en saura rien. Anne ne lui révèle pas l'issue fatale : quelques semaines de répit. Mais, il meurt deux semaines plus tard. Jusqu'à sa mort, Gérard Philippe annotait des tragédies grecques, voulait incarner Hamlet au théâtre et se préparait à interpréter Edmond Dantès, comte de Monte-Cristo. Ce récit rappelle le témoignage poignant d'Anne Philippe, dans "Le temps d'un soupir", paru en 1963 chez Gallimard. Cet éternel jeune homme, lumineux et charismatique, a laissé une trace indélébile dans la mémoire du pays. Cet ouvrage rallume à bon escient le souvenir de cette France des années 50 où Gérard Philippe représentait une culture d'excellence à la portée de tous. Un récit émouvant de Jérôme Garcin. 

mercredi 15 janvier 2020

Atelier Lectures, 2

Agnès a beaucoup aimé un roman de Jeanne Benameur, "L'enfant qui", publié en 2017 chez Actes Sud. Fable, roman, conte, récit fabuleux, poème, ce texte assez court parle d'un enfant en quête de sa mère disparue. La narratrice s'adresse à cet enfant et l'accompagne dans une forêt avec un chien. Le père intervient dans le récit ainsi que la grand-mère. Ce roman très particulier peut enchanter le lecteur(trice) ou le dérouter. Régine a proposé un thriller diplomatique très bien ficelé, "Les saisons inversées" de Renaud S. Lyautey. Un diplomate français est retrouvé mort dans son salon à Paris. Le contre-espionnage prend l'affaire au sérieux et un fonctionnaire du Quai d'Orsay s'occupe de l'enquête qui va le mener jusqu'en Iran et même au-delà. Une lecture agréable où on apprend beaucoup sur ce drôle de milieu, la diplomatie. Mylène avait presque terminé le roman de Jonathan Coe, "Le cœur de l'Angleterre", publié chez Gallimard. L'écrivain anglais chronique l'Angleterre des années 2000 : les émeutes de Londres, la vie politique, les Jeux olympiques, le référendum du Brexit. Comment en est-on arrivé là ? se demande l'auteur qui explore avec son ironie habituelle les désillusions publiques et privées d'une nation en crise. La famille Trotter  reprend du service dans ce troisième tome après "Bienvenu au Club" et "Cercle fermé". Les sujets récurrents de son univers romanesque ressurgissent : le problème de l'identité, le politiquement correct, le nationalisme, les relations humaines, l'usure du temps. Mylène nous a donné envie de lire ce roman que l'on peut découvrir sans avoir ouvert les précédents. Annette a bien aimé un roman de Philippe Hayat, "Ou bat le cœur du monde", publié en 2019. A Tunis, dans les années 30, Darius Zaken est frappé de mutisme après la mort de son père. Sa mère l'élève seule et sacrifie tout pour qu'il fasse des études. Mais, le jazz le rattrape et contredit la volonté maternelle. Une autre vie s'offre à lui, plus intense. Il devient musicien et monte sur tous les scènes du monde en passant par l'Europe et l'Amérique. Un auteur à découvrir. Je termine l'évocation des coups de cœur avec le dernier récit de Jérôme Garcin, "Le dernier hiver du Cid", publié chez Gallimard. Les derniers mois de la vie courte de Gérard Philippe (il meurt à 39 ans) sont racontés avec une élégance toute pudique. L'écrivain est marié à la fille de Gérard Philippe. Ce Prince du théâtre a fasciné les Français dans les années 50 et beaucoup l'ont oublié. Ce livre-hommage rappelle de très bons souvenirs pour ceux et celles qui ont connu cet homme magnifique à travers ses films et ses pièces de théâtre. Un très bon récit à lire pour les nostalgiques d'une France qui a bien changé… 

mardi 14 janvier 2020

Atelier Lectures, 1

Beaucoup d'absentes pour des raisons diverses liées surtout à la santé aujourd'hui pour le premier rendez-vous de l'année, ce mardi 14 janvier. Nous nous sommes retrouvées en petit comité toujours motivé pour évoquer les coups de cœur et les petits éloges de la collection Folio. Danièle a démarré la séquence "coups de cœur" avec la très passionnante autobiographie d'Edgar Morin, "Les souvenirs viennent à ma rencontre", publiée en juin 2019. Né en 1921, directeur émérite au CNRS, son œuvre abondante connaît un rayonnement international. Il raconte dans ce livre ses "émotions, ses ferveurs, ses douleurs et ses bonheurs" : "Ils témoignent que je suis devenu tout ce que j'ai rencontré". Il relate souvent avec humour son passé de Résistant, ses engagements politiques, son œuvre de sociologue et de philosophe. Il n'oublie surtout pas de parler des femmes de sa vie et de ses amitiés. Il ne cesse encore de se demander à 99 ans (!) "qu'est-ce que l'homme, la vie, l'univers ?". Danièle nous a convaincues de lire cette autobiographie chatoyante et intelligente. Odile a bien aimé "Les Grands cerfs" de Claudie Hunzinger. Dans ce roman "écologiste", Pamina habite en montagne avec Nils, son compagnon. Elle est entourée par un clan de cerfs, invisibles et mystérieux. Léo, un photographe animalier, lui propose de guetter ces rois de la forêt. Pamina va découvrir la beauté de la nature et aussi la cruauté des hommes, des chasseurs. Odile a aussi proposé "Changer l'eau des fleurs" de Valérie Perrin. Le personnage principal, Violette Toussaint, est garde-cimetière dans une petite ville de Bourgogne. Les gens de passage se confient dans sa loge. Mais pourquoi Violette s'investit autant dans sa mission ? Il faut lire ce roman empathique pour découvrir son secret. Janine a présenté le Prix Goncourt, "Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon" de Jean-Paul Dubois. Un très bon roman avec un héros de tous les jours, concierge amical et généreux, qui va se heurter à la bêtise d'un co-propriétaire. Il va se défendre mais ce geste le conduit en prison. La vie est un peu tragique pour Paul (et pour Jean-Paul Dubois) qui perd sa compagne dans un accident d'hydravion. Un roman qui se lit d'une traite avec un grand plaisir. La suite des coups de cœur, demain. 

lundi 13 janvier 2020

Mes dix meilleurs récits et essais, 2

Je poursuis ma liste des dix meilleurs récits et essais. En août, j'ai vraiment beaucoup apprécié l'essai de Lydie Salvayre, "Marcher jusqu'au soir". Avec une humeur ironique et joyeuse, l'écrivaine a écrit son journal de bord après avoir accepté de passer une nuit au musée Picasso pour questionner le milieu artistique et ses institutions. Elle évoque aussi son enfance pauvre et son père violent qu'elle redoutait. Un récit attachant et comme j'aime les musées, je me suis retrouvée dans ses interrogations sur l'art. En septembre, je ne pouvais qu'apprécier le livre d'Andrea Marcolongo, jeune auteur helléniste d'un  manifeste pour le grec ancien : "La langue géniale, 9 bonnes raisons d'aimer le grec". Elle récidive son chant d'amour pour la Grèce ancienne avec "La part du héros, le mythe des Argonautes et le courage d'aimer". Que nous dit-elle dans cet ouvrage : il faut savoir larguer les amarres, être héros de sa propre vie, accepter de souffrir pour apprendre, oser sans trahir, avoir le courage d'aimer. Les mythes antiques revisités par Andrea Marcolongo ne cessent de parler aux humains de tous les temps. En octobre, comment ne pas choisir le dernier récit de Sylvain Tesson, "La panthère des neiges" ? Une ode à la nature sauvage, un mea culpa sur sa vie d'agité compulsif avant la rencontre avec sa panthère, un éloge du silence, de l'affût, de la contemplation. Un ouvrage dépaysant, rafraîchissant à lire pour s'évader de l'actualité toujours démoralisante. Une pause sereine au milieu d'une nature où les panthères sont encore reines. En novembre, j'ai lu avec émotion le récit de Riss, le directeur de Charlie Hebdo, "Une minute 49 secondes", le temps de l'attentat où les terroristes islamistes ont assassiné l'équipe du journal. Ce texte autobiographique deviendra un des témoignages les plus forts sur cette déflagration sociétale concernant la liberté d'expression, une des conquêtes les plus belles de la démocratie occidentale. En décembre, j'ai retrouvé avec un grand plaisir Jean Giono dans la biographie d'Emmanuelle Lambert, "Giono furioso". Cet essai très enlevé sur cet écrivain mal connu et un peu oublié aujourd'hui m'a permis de découvrir une de ses œuvres : "Jean le Bleu" que je n'avais pas encore lu… Un pur joyau de style, une Provence rugueuse, un portrait attachant de son père. Mes dix meilleurs récits et essais montrent ma insatiable curiosité pour la littérature, l'art, la marche du monde et les voyages. Je me rends compte que la lecture des récits non fictifs commence presque à empiéter sur les romans… 

jeudi 9 janvier 2020

Mes dix meilleurs récits et essais, 1

En détaillant ma liste de lectures, je me rends compte que je lis de plus en plus d'ouvrages qui ne relèvent pas de la fiction. Dans la journée, je lis plutôt des essais et le soir, je me berce avec un roman. Je renouvelle la forme de mes coups de cœur de janvier à décembre en évoquant des essais, des récits, des ouvrages de référence, de philosophie. En janvier, j'ai beaucoup aimé "Gaspard de la nuit" de la philosophe Elisabeth de Fontenay. Elle évoque son frère handicapé déjà âgé et lui déclare dans ce texte un amour familial, teinté de douleur. La philosophe cherche à déchiffrer ses trop rares messages, tente l'impossible compréhension d'un frère autiste. Un récit rare et émouvant, surprenant de la part de cette grande philosophe, spécialiste de Diderot. En février, j'ai lu avec intérêt la biographie de Laure Adler sur Simone Weil, la philosophe mystique. Pour comprendre un peu mieux la pensée complexe des philosophes, je lis en amont une biographie, une porte d'entrée moins intimidante que leurs textes. En mars, j'ai été conquise par un écrivain peu connu, Jean Mattern, pour "La perte et autres petits bonheurs". Il évoque un archéologue à Pompéi et le mirage de l'amour, Freud, sa propre psychanalyse, ses pertes et ses deuils, un bilan de vie. En avril, je n'hésite pas à proposer mon plus grand coup de cœur de l'année dans la catégorie "essais" : l'ouvrage de Yannick Haenel, "Solitude Caravage". Comme j'aime l'Italie, ce peintre maudit, la création littéraire, la littérature, ce texte m'a vraiment marquée et je le relirai sans aucun doute. En mai, je me suis intéressée au thème de l'effondrement en découvrant "Le mal qui vient" de Pierre-Henri Castel, philosophe, historien des sciences et psychanalyste. Il constate que l'humanité se trouve au pied du mur. La tentation du pire anime déjà ceux qui savent la fin des temps possible. Un essai pessimiste mais peut-être d'une lucidité éclairante. En juin, encore un document sur la collapsologie, "Comment tout peut s'effondrer" de Pablo Servigne. Ce livre analyse tous les indices des faits provoqués par le réchauffement climatique, l'épuisement des énergies fossiles, la disparition des espèces animales, etc. Si le moral est moyen, je conseille de ne pas lire cet ouvrage… En juillet, je me suis réconciliée avec la légèreté d'être en lisant "Venise à double tour" de Jean-Paul Kaufmann. Ce voyage initiatique dans cette ville aquatique et mélancolique met l'accent sur les églises abandonnées, délaissées et oubliées. Cette évocation d'une Venise au bord de l'effondrement rend la cité des Doges encore plus précieuse, plus émouvante, plus désirante. La suite, demain. 

mardi 7 janvier 2020

Mes dix meilleurs romans de 2019, 2

Le mois d'août est toujours un temps fort pour la lecture où j'ai lu une majorité de romans,  j'ai préféré "La salle de bal" d'Anna Hope. Cette romancière anglaise prend la relève littéraire après Doris Lessing, Anita Brookner, Penelope Lively et bien d'autres magiciennes britanniques. Elle raconte le sort de ces pauvres femmes, enfermées dans des asiles pour des raisons dérisoires. Une improbable histoire d'amour naît entre un pensionnaire masculin et l'héroïne du récit. En septembre, la rentrée littéraire est un rendez-vous incontournable pour découvrir les nouveautés qui vont rythmer l'automne jusqu'aux prix. Dans les parutions de la rentrée, j'ai surtout retenu "Les choses humaines" de Karine Tuil qui méritait le prix Goncourt. Après le mouvement "Me Too" qui dénonçait l'harcèlement sexuel après l'affaire Weinstein, l'écrivaine s'est saisie d'un fait divers aux Etats Unis : un viol perpétré par un étudiant qui ne semble pas mesurer la portée criminelle de son acte. Ce roman dense, percutant, social évoque ce sujet délicat et universel. En octobre, j'ai redécouvert Marie-Hélène Lafon avec "Joseph" et "Pays". Son monde paysan du Cantal est décrit avec un style ciselé, aux accents flaubertiens. Son œuvre, influencée par Pierre Michon et par Pierre Bergougnioux, s'installe définitivement dans le panorama de la littérature française. En novembre, je n'ai aucun doute sur mon choix : "Car la nuit approche" de l'écrivaine néerlandaise, Anna Enquist. Ce très beau roman constitue la suite de "Quatuor". Quatre amis musiciens composent un quatuor amical. Ils vont vivre un agression violente traumatisante ensemble. Mais, chaque membre du quatuor ne réagit de la même façon. La "nuit approche" pour un des personnages du groupe, Caroline, qui va chercher en Chine, une raison de survivre. L'irruption de la violence aveugle au sein d'une communauté amicale remet tout en question. En décembre, j'ai vécu une belle surprise en choisissant par hasard "Un monde sans rivage" d'Hélène Gaudy. Une vraie découverte pour ce livre pris par hasard sur la table des nouveautés de la Médiathèque. Grâce à l'imagination fantastique d'Hélène Gaudy, j'ai partagé l'aventure arctique de ces trois scientifiques perdus sur la Banquise. J'ai senti la détresse de ces hommes perdus, seuls au monde, d'un courage surhumain. Ils savaient peut-être qu'ils ne s'en sortiraient pas et pourtant, ils ont lutté pour leur survie. Voila pour mes dix meilleurs romans de l'année dernière. Je n'ai pas respecté la parité hommes-femmes car j'ai proposé huit femmes et deux hommes… Tant mieux, la qualité littéraire change de camp ! La littérature n'est ni égalitaire, ni paritaire… On dit que la majorité des lecteurs sont des femmes et je me suis retrouvée peut-être davantage dans un monde décrit par elles… 

lundi 6 janvier 2020

Mes dix meilleurs romans de 2019, 1

L'an 2019 s'en est allé, bonjour 2020. Le temps des bilans est arrivé. Voila mes dix romans préférés en 2019 dans l'ordre chronologique de janvier à décembre. Je ne préfère pas établir un classement préférentiel car mes coups de cœur ne se mesurent pas d'excellent à médiocre. Les titres que j'indique ont surnagé dans ma mémoire (parfois encombrée par les années…) et m'ont laissé un souvenir indélébile. En janvier, j'ai choisi le roman de Michel Houellebecq, "Serotonine". Même si j'ai préféré "Soumission", cet ouvrage prophétique évoque l'esprit du temps avec la rébellion d'un agriculteur ruiné, la recherche de l'amour, le mal-être du narrateur, la solitude contemporaine, la sexualité tarifiée, la violence sociale. Même si on n'est pas attiré par l'univers un peu glauque de ce grand contemporain, je recommande évidemment la lecture de toute son œuvre. En février, une des nouveautés de la rentrée m'a beaucoup intéressée : "Chien-loup" de Serge Joncour qui se lit d'une traite. Retour à la nature d'urbains fatigués, une légende rurale, un secret familial, des personnages gionesques. En mars, j'ai redécouvert avec admiration les récits autofictionnels de Jean Rouaud avec "Kiosque", "Misère du roman", "Une façon de chanter", "Un peu la guerre". A mes yeux, un écrivain majeur d'aujourd'hui, un Proust des classes modestes, un monde perdu et retrouvé grâce à la fée littérature. En avril, j'ai beaucoup aimé "Une amie de la famille" de Jean Marie Laclavetine. La noyade de la sœur du narrateur a provoqué un séisme familial et cette jeune femme était devenue une amie pour nier sa disparition. Un beau récit sur le deuil et la résilience. En mai, je n'hésite pas à rappeler l'extraordinaire saga d'Elena Ferrante, "L'amie prodigieuse" en quatre tomes et j'ai lu "L'enfant perdu" avec un très grand plaisir et aussi avec nostalgie, le dernier volume. A lire absolument ne serait-ce que pour l'Italie. En juin, "La danse du temps" d'Anne Tyler a confirmé mon intérêt pour cette romancière américaine, spécialiste de beaux portraits féminins en pleine crise existentielle. Elle analyse finement les couples vieillissants, les relations familiales, la classe moyenne américaine. En juillet, j'ai succombé au charme d'une écrivaine italienne, Goliarda Sapienza. J'avais lu le magnifique "L'art de la joie" et j'ai lu ses récits autobiographiques : "L"université de Rebibbia" et "Les certitudes du doute" où elle raconte son passage en prison et le retour à la liberté. La solidarité féminine n'est pas un vain mot pour cette sicilienne volcanique. La suite, demain. 

vendredi 3 janvier 2020

Eloge éternel de la lecture

Comme tous les ans, je reviens sur mes lectures. Je n'ose pas dire le nombre de livres que j'ai lus (une belle centaine et plus…) car je sens que c'est une anomalie dans ce monde contemporain où cette activité n'est pas toujours considérée comme un mode de vie souhaitable. Et pourtant, j'ai appris que les livres poursuivaient leur belle vie tranquille dans les librairies et dans les bibliothèques. Les Français les ont placés en tête des cadeaux offerts à Noël. Ce constat me tient chaud au cœur. Je n'ai jamais raconté la cause profonde de ma passion des livres. Elle est née dans mon enfance assez tardive, vers neuf ans, quand j'ai commencé à dévorer les "illustrés" que j'achetais dans un bureau de tabac, proche du bar-café de mes parents au Boucau, près de Bayonne. Quand je vois la richesse de la littérature jeunesse depuis quarante ans, je suis ravie que les enfants découvrent le plaisir de lire pratiquement dès leur naissance… Mes parents, très occupés par leur travail (un esclavage à l'époque avec quinze heures par jour), ne nous racontaient pas d'histoires pour nous endormir et ne nous lisaient pas des albums, faute de temps. Loin de vivre ce manque comme un traumatisme, je comprenais parfaitement la non-disponibilité parentale et jamais, non jamais, je n'ai voulu leur reprocher leur attitude. Il faut dire qu'à cette époque, je me demande quels étaient les enfants qui ont vraiment bénéficié de cette attention dans les années 50.  Il fallait découvrir par soi-même le goût de lire. Je suis donc tombée dans l'océan de papier quand j'ai souffert d'une maladie (un souffle au cœur) qui m'a bloquée au lit pendant trois mois à l'âge de onze ans. Mon adorable mère a joué un rôle majeur en m'achetant toute la collection verte d'Hachette en particulier tous les Jules Verne. Un livre par jour (pas de télé à l'époque…) et la passion de lire m'a guérie et ne m'a jamais quittée. Le livre de poche, étant né dans les années 50, a permis une démocratisation culturelle extraordinaire. Je les ai dévorés avec gourmandise. Si je les avais gardés, je devrais acheter un château pour tapisser les murs avec tous ces exemplaires… Hélas, ma vie professionnelle de bibliothécaire a impliqué des changements de lieu et n'a pas favorisé l'agrandissement permanent de ma bibliothèque. Je le regrette un peu mais il faut bien faire du vide. Pourtant, chaque ouvrage que j'ai tenu dans mes mains, pouvait à mes yeux se transformer en madeleine de Proust. La mémoire engrange d'innombrables images où la lecture prend toute sa place. J'ai lu tout Balzac quand j'étais dans ma chambre de lycéenne studieuse. J'ai découvert Proust avec une émotion incroyable dans cette petite maison de Salies de Béarn. J'ai dévoré mes écrivaines féministes à Bayonne dans ma librairie entre deux clients. J'ai savouré des recueils de poèmes sur les plages basques. Un lieu, un livre, une émotion. Et on dit que lire n'est pas vivre… Mon éloge éternel et sempiternel de la lecture est peut-être une rengaine,  mais j'assume parfaitement cette passion. En ce début d'année 2020, une deuxième rentrée littéraire prend forme et je me réjouis de découvrir de nouveaux talents littéraires et de poursuivre mon compagnonnage avec les "anciens"... 

jeudi 2 janvier 2020

"Un monde sans rivage"

Hélène Gaudy a publié cet automne un très beau récit, "Un monde sans rivage", aux éditions Actes Sud. L'écrivaine raconte qu'elle est tombée par hasard sur cette histoire dans un musée de Copenhague. En juillet 1897, trois explorateurs s'envolaient dans un ballon à hydrogène pour découvrir et photographier le Pôle Nord. Trois mois plus tard, ils n'ont plus donné de nouvelles. Ils s'appelaient Nils Strinberg, Knut Fraenkel et Salomon August Andrée et entraient dans la légende du pays : "De ces trois hommes, l'absence avait fait des créatures mythiques, pirates fantômes, marins engloutis dont les spectres ne cessaient de sillonner les mers". En 1930, on retrouva par hasard leurs restes, des pellicules photographiques encore exploitables, du matériel divers et un journal tenu par l'un d'entre eux. Cette découverte inouïe a permis de comprendre leur errance sur cet espace sans fin, ce "monde sans rivage". Les corps ont été autopsiés et les scientifiques ont essayé pendant des années de comprendre les raisons de leur échec. A partir des photographies récupérées, l'écrivaine se saisit de cette aventure scientifique fascinante pour raconter ce périple aventureux et dangereux. Les trois hommes deviennent des personnages fictifs et pourtant bien réels. Elle leur invente une vie, un caractère, une mission, des amours, des amitiés. Pourquoi ont-ils erré sans trouver une issue dans ce monde blanc et glacial ? Ils poursuivaient leur projet scientifique en ramassant du plancton, des algues, des feuilles prises dans la glace. Leur passion pour le Pôle Nord réclamait un mental de fer dans ce milieu effrayant où la neige et la glace les engloutissaient sans cesse. Ils se nourrissaient en chassant les ours, marchaient sans cesse, s'abritaient comme ils le pouvaient. Ils étaient trompés par la banquise instable, par le brouillard épais les éloignant de la terre ferme. Ils incarnent à eux trois, l'insatiable curiosité humaine, une raison de vivre (et de mourir) pour la science de l'époque. Cet ouvrage d'une écriture dense, poétique, précise évoque l'épopée humaine avec ses victoires et surtout ses échecs. Hélène Gaudy écrit : "Rien n'a changé depuis leur disparition : il faut percer les mystères, inventer des vies, chercher au fond des mers les boîtes noires englouties, et il faut être nombreux pour le faire, une autre chaîne, qui ne s'élève pas vers le ciel mais creuse dans les profondeurs, une chaîne souterraine, faite de scientifiques, d'internautes, d'écrivains, de curieux qui trouvent dans l'enquête un moyen détourné de fouiller en eux-mêmes, de gratter là où ils ne savaient pas qu'il y avait eu une plaie". Un roman original, d'une belle écriture, d'une dimension universelle et qui comblera les amateurs du Pôle Nord, de l'aventure arctique, des ours blancs et d'une catégorie d'hommes hors du commun. A découvrir sans tarder. 

mercredi 1 janvier 2020

"La part du fils"

Jean-Luc Coatalem s'est longtemps penché dans ses livres sur les destins dits exotiques. Gauguin et Segalen le fascinent car ces artistes sont "dévorés par l'inconnu". Dans sa propre vie, l'ombre de son grand-père a surgi dans sa vie et il raconte cette histoire familiale dans "La part du fils" qui a obtenu le prix Giono. Son récit évoque Paol, cet aïeul disparu sous l'Occupation. Il a été arrêté dans son travail et déporté aussitôt sans motif apparent. Son père, ses oncles et sa famille ne parlaient jamais de cet homme, installant un creux, un vide, un manque. Paol, né en 1894, héros de la Première Guerre Mondiale et ancien officier colonial, s'est installé en Bretagne dans un petit village du Finistère. Son petit-fils mène une enquête exhaustive sur cet homme fantôme et cette absence le hante : "Je ne l'ai pas connu. Parti trop tôt, trop vite, comme si le destin l'avait pressé. Mais il nous reste sa Bretagne à lui qui est devenue la nôtre". Son père, Pierre, avait douze ans quand Paol a été arrêté en 1943. L'écrivain imagine la vie de son grand-père emprisonné à Brest. Il comprend mieux son propre père, tétanisé par cette disparition brutale : "Je comprenais la peine énorme de mon père. Il s'était forgé avec elle, il avait dû composer avec cette déflagration originelle". Cette souffrance paternelle a rebondi sur celle de l'auteur et cette tentative d'éclaircissement devient une thérapie : "Ce poids de mémoire close était devenu le mien. J'en restais meurtri, dépossédé de ma propre histoire. Qu'aurais-je pu faire sinon la remonter, l'éclaircir et la raconter ? Ecrire comme un travail de deuil. Une effraction et une floraison. Une respiration entre deux apnées". Jean-Luc Coatalem reconstruit la vie de son grand-père en Indochine, se demande quels étaient ses goûts, ses lectures, ses rêves. Il est ce petit-fils transformé en "archéologue". Ce défi biographique s'installe dans le récit au fil de son enquête, submergée par l'émotion. Il part à la recherche de la moindre trace que son grand-père a laissée dans le passé. Son enquête minutieuse, obsessionnelle, précise l'emmène dans les Archives départementales où l'arrestation est bien consignée au motif "inconnu". Il s'intéresse à son oncle, Ronan, un résistant de la première heure et au passé sulfureux dans le contre-espionnage. Le narrateur ne néglige aucune piste, recherche des témoins, se rend dans la caserne qui a servi de camp, part en Allemagne visiter le camp de Dora. Ce récit autobiographique redonne vie à ce grand-père magnifique. Le petit-fils découvre la raison de son arrestation et je n'en dévoilerai pas le contenu pour garder le mystère de sa disparition. Dans chaque famille, plane souvent un aïeul injustement inconnu, oublié, mort trop jeune. Jean-Luc Coatalem a offert à cet homme une deuxième vie, littéraire évidemment, mais essentielle pour rendre justice.