lundi 15 mars 2021

"Une femme en contre-jour"

 Personne ne connaissait la photographe américaine, Vivian Maier (1926-2000) mais une écrivaine française, Gaëlle Josse, a dressé sa biographie dans son récit, "Une femme en contre-jour", publié chez Noir sur Blanc. En 2004, le talent de Vivian Maier a été découvert par hasard : un agent immobilier de Chicago achète un lot de photos, de pellicules et de films. Il découvre l'identité de la photographe, un mois après la mort de celle-ci, dans un article nécrologique. Dans cet amas de clichés, il remarque le regard unique de la photographe : "Par cet œil posé sur la vie, sur toutes ces histoires qui se dévoilent en un cliché, histoires urbaines, dans le mouvement, dans la matière compacte de la ville. Le terrible, le tendre, le drôle, l'insolite. Le vrai. Le presque rien qui révèle un destin". Le jeune homme va vite se rendre compte qu'il possède un trésor et il veut, à tout prix,  le faire connaître au public. Pourtant, les musées de New York ne s'intéressent pas à cette découverte culturelle. Il mène une enquête sur cette femme mystérieuse et découvre alors sa vie humble, simple et démunie : "Entrer dans une vie, c'est brasser des ténèbres, déranger des ombres, convoquer des fantômes. C'est interroger le vide et tendre l'oreille vers des échos perdus". Le succès surgit et Vivian Maier se voit enfin reconnue. Son destin se résume dans cette phrase : "La force de dépasser un enfermement programmé dans une condition sociale de domestique et dans une histoire familiale pleine d'effroi". Gaëlle Josse remonte sur les traces de ses origines entre des racines françaises du côté de sa mère et une branche paternelle austro-hongroise. Ses parents ne forment pas un couple uni et la petite Vivian sera une petite fille un peu délaissée voire quasi abandonnée. Elle se rendra en France avec sa mère dans la vallée du Champsaur pour retrouver sa famille, la seule époque heureuse de son enfance. A 17 ans, la voilà libre et seule avec un appareil Kodak en bandoulière : "Vivian invente sa vie, une vie vierge de toutes les scories familiales, de tous les conflits, les déchirements, de tout les manques. Une pellicule vierge". Elle décide de garder des enfants comme gouvernante et ce travail lui laissera assez de disponibilité pour photographier la vie autour d'elle pour "saisir la lumière des choses avant qu'elle ne s'efface". En 1956, elle quitte New York pour Chicago et se fait embaucher dans une famille où elle éduquera trois garçons pendant 17 ans. Cela ne l'empêche pas de voyager dans quelques pays. Elle finira sa vie à Chicago dans la solitude et dans la pauvreté. Gaëlle Josse dresse un portrait très nuancé de cette femme-mystère, de cette femme-blessure entre fugue et errance, solitude et dévouement,  une vie en sourdine, mais une vie dense, vouée à l'art de la photographie : "Humbles existences qui ne savent que traverser le monde, voir le monde, dire le monde sans s'en emparer, en vainqueurs ou en conquérants. Vivian, et tant d'autres. Les voyants, ces invisibles". Un très beau récit à découvrir, une écrivaine d'une sensibilité empathique et une merveilleuse photographe américaine à admirer.