lundi 22 août 2022

"Le cas du docteur Koukotski", Ludmila Oulitskaïa

 Après avoir découvert le très beau recueil de nouvelles de Ludmila Oulitskaïa, "Le corps de l'âme", j'avais envie de compléter ma connaissance de cette écrivaine russe si singulière. J'ai donc lu cet été, "Le cas du docteur Koukotski", publié chez Gallimard en 2 000 et traduit par Sophie Benech. Cette saga familiale se situe dans l'URSS du XXe siècle. Le jeune chirurgien, Pavel Alexeïevitch Koukotski, descendant d'une longue lignée de médecins, possède un don particulier : il devine par une vision radiologique sans appareil les maladies dont souffrent ces patients. Mais ce don disparaît dès qu'il a des relations sexuelles avec une femme. Sauf avec Elena, une patiente qu'il sauve lors d'une opération au début de la Seconde Guerre Mondiale. Cette femme est mariée à un certain Anton qui va mourir pendant la guerre. Sa fille, Tania, sera adoptée et adorée par son nouveau père, le docteur Koukostki. Un quatrième personnage, Vassilissa Gavrilovna, vit au sein de la nouvelle famille comme servante, et symbolise la Russie ancestrale. Sa piété quasiment mystique la tient à l'écart de tous les soubresauts historiques et politiques du pays. La jeune Tania recueille aussi à l'école, une écolière de son âge, Toma. Sa mère est morte dans un avortement clandestin et devenant orpheline, le docteur et sa femme l'intègrent dans leur foyer. Ce quatuor invraisemblable va donc traverser les péripéties politiques de l'URSS entre des certitudes matérialistes issues du communisme ambiant et des valeurs intimes comme l'amour, les rêves, le doute. l'individualité.  Le docteur Koukostki n'évite pas la compromission avec la médecine officielle et accepte des thèses contraires à la vérité scientifique. L'écrivaine russe dénonce la faillite du stalinisme, vécu comme un totalitarisme inhumain. Pavel sombre dans l'alcoolisme pour fuir cette réalité effroyable. Elena s'invente une vie rêveuse sans mémoire précise pour ne pas souffrir. Elle tient un journal intime au centre de ce grand roman polyphonique. Cette fresque si personnelle de Ludmila Oulitskaïa recèle des passages homériques sur la vie de ces quatre personnages emblématiques d'un pays immense et souvent difficile à comprendre. Tania et Toma grandissent ensemble au milieu de ce foyer complexe mais aimant. On ne sort pas indemne de cette lecture car l'écrivaine russe pose des questions essentielles sur la vie, sur la mémoire, sur l'amour sans éviter les fracas de l'Histoire entre science et religion. Un grand livre qui n'a rien perdu de son actualité brûlante.