mardi 22 octobre 2019

"A la première personne", 1

Alain Finkielkraut a pris la plume dans son nouvel opus autobiographique, "A la première personne" pour désamorcer les attaques qu'il subit depuis de nombreuses années. Il sait par la presse et par ses désagréments propres qu'il est souvent rejeté, critiqué, détesté. Je me souviens de l'incident des Gilets jaunes où il a été insulté et traité de sioniste. Il ne peut plus entrer à Sciences Po pour donner une conférence. Dès les premières lignes de l'ouvrage, le philosophe avoue sa fatigue et son découragement face à cet état de faits mais il ne souhaite pas renoncer à chercher "le vrai du réel, l'élucidation de l'être, des événements". Il revendique sa posture d'intellectuel pour justifier son parcours depuis les années 80. Il évoque son engagement militant en Mai 68 en qualifiant ce moment révolutionnaire de conformisme social, un dogmatisme de jeunesse, une comédie festive. Sa rencontre avec Pascal Bruckner l'a "décoincé" et il raconte ce temps là avec une ironie distancée. Il revient sur ses ouvrages qu'il a composés avec sincérité et regrette aujourd'hui que "son passé ne le constitue pas, il me toise. Rien ne me remplit d'être, rien ne me protège, rien ne me rassure, rien ne vient combler le néant qu'aujourd'hui je suis". Cet aveu mélancolique mérite toute notre admiration pour cet homme si tourmenté par son "chagrin patriotique". Il rend hommage à Michel Foucault, un philosophe charismatique, à Philip Roth, un écrivain qu'il adule et influence sa réflexion sur sa judéité. Un des chapitres les plus émouvants concerne son héritage familial. Ses parents, rescapés d'Auschwitz, n'ont pas voulu léguer leur mémoire meurtrie et en lisant le chef d'œuvre de Daniel Mendelsohn, "Les Disparus", il a compris qu'il avait été plus qu'un fils négligeant avec eux car il n'a pas sondé leur passé douloureux pour témoigner, révéler, inscrire leur tragédie dans l'Histoire : "Je ne remplirai jamais les blancs de mon histoire familiale". Il aborde la question de l'antisémitisme avec une lucidité clairvoyante et remarque la détestation d'Israël par certains milieux alors qu'il avoue son admiration pour ce pays fragile. Il relate son amitié pour Milan Kundera, cet écrivain majeur qui l'a détourné de la théorie littéraire pour le plonger dans l'univers de la vérité romanesque, dans la force intemporelle de la littérature. Il cite ses écrivains de prédilection : Henry James, Dostoïevski, Grossman, Camus, Conrad, Roth, Blixen. "Les grands livres nous lisent", nous révèle Alain Finkielkraut. Cet hommage à la littérature, une passion "sacrée", semble un peu paradoxale pour un philosophe, mais quelques essais d'Alain Finkielkraut confirment cette dimension de critique littéraire . Il veut "payer" ses dettes à ceux qui l'ont formé à commencer par Charles Péguy, Emmanuel Levinas, Hannah Arendt, Heidegger. Sa gratitude envers ses "maîtres" à penser rappelle son obsession pour l'héritage culturel… Un défaut impardonnable pour les ennemis de ce philosophe et une qualité essentielle pour ses amis…