mardi 17 juillet 2018

"Dans les forêts de Sibérie"

J'éprouve une certaine méfiance pour les best-sellers, ces livres trop sympathiques qui veulent plaire à tout le monde et qui ne dérangent pas le confort des lecteurs(trices). J'ai pris par hasard sur la table de la médiathèque, le journal de Sylvain Tesson, "Dans les forêts de Sibérie", édité chez Gallimard en 2011. Prix Médicis de l'essai, cet ouvrage attire souvent les amoureux de la nature, les marcheurs de grandes étapes, les grimpeurs de sommets, les écologistes décroissants, les aventuriers, les baroudeurs et tant d'autres compétiteurs d'efforts physiques. Je m'attendais à une lecture ennuyeuse car je ne suis pas attirée par la littérature voyageuse. Quand je découvre la description des lieux, les problèmes d'intendance, les exploits du corps et les tourments de l'âme, le livre me tombe des mains. J'ai ouvert la première page du livre et j'ai accompagné jusqu'au bout, Sylvain Tesson, dans son expérience d'ermitage. Il a choisi la Russie, le lac Baïkal, précisément (voir une carte pour comprendre l'isolement du lieu) et a vécu six mois dans ce milieu hostile de février à juillet 2010. Cet hyperactif planétaire s'est arrêté pendant ces mois pour se lancer un défi intime : vivre dans le froid glacial largement au dessous de zéro, sentir la solitude, goûter le silence, maîtriser le temps, se ressourcer. Son habitat, une isba en bois, va devenir sa matrice essentielle. Sa cabane en Sibérie se transforme en personnage principal, un recours et un secours tellement l'extérieur le menace sans cesse avec les tempêtes, la présence des ours, le passage de quelques visiteurs inopportuns. Il écrit : "Dans ce désert, je me suis inventé une vie sobre et belle, j'ai vécu une existence resserrée autour de gestes simples. J'ai regardé les jours passer, face au lac et à la forêt. J'ai coupé du bois, pêché mon dîner, beaucoup lu, marché dans les montagnes et bu de la vodka à la fenêtre." Le narrateur organise son quotidien ainsi : activités intellectuelles le matin et taches matérielles l'après-midi. Il aime couper son bois pour le poêle, pêcher pour son repas du soir, chercher de l'eau, marcher tous les jours sous un climat extrême. En lisant ce journal intime, je ne m'attendais pas à rencontrer un amoureux des livres ! La nature ne lui suffit pas, il a besoin de ces compagnons silencieux pour vivre son expérience capitale. Il manie l'humour au fil des lignes et il raconte qu'il avait du retard dans ses lectures. Sa décision de vivre en ermite découle peut-être de cette passion pour les livres… J'ai noté dans sa liste des philosophes (les Stoïciens, Kierkegaard, Nietzsche, Schopenhauer), des écrivains classiques (Rousseau, Yourcenar, Camus, Jünger, Kundera). Sylvain Tesson se nourrit de lectures et cite souvent les auteurs qu'il aime. Il rencontre aussi des Russes et raconte leurs discussions saugrenues. Il décrit son amitié partagée avec deux chiens, des mésanges visiteuses. Son expérience à la Thoreau (Walden) lui permet de s'interroger sur lui-même, sur son envie permanente de bouger sans cesse. Il a compris que les voyages pouvaient aussi se vivre à l'intérieur de soi. Sa philosophie d'une vie proche de la nature, dans un rejet de la société de consommation, loin du tumulte de l'Histoire, est résumée dans cette phrase de l'écrivain : "Et si la liberté consistait à posséder le temps ? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence - toutes choses dont manqueront les générations futures ? Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu". Et j'ajouterai les livres, évidemment…