jeudi 11 août 2022

"Amour"

 Quand je lis "Le Monde des Livres", je remarque souvent la rubrique de Camille Laurens, écrivaine française de grand talent et les critiques qu'elle compose attirent toujours mon attention. C'est le cas de Sara Mesa avec "Amour", venue d'Espagne et éditée chez Grasset en 2022. Natalia, trentenaire et traductrice commerciale, s'installe dans un petit village, La Escapa dans la région de la Rioja, Elle loue une petite maison dans un état déplorable à un propriétaire intrusif et quelque peu belliqueux. Mais, elle a besoin de cette location pour fuir la grande ville et ses problèmes que l'on découvre au fil du texte. Un sentiment d'insécurité l'envahit et ses voisins proches semblent bien inquiétants. Natalia adopte un chien un peu sauvage pour atténuer sa solitude et reçoit la visite de Piter, un ancien hippy et artisan verrier, un peu envahissant. Un couple étrange habite la maison la plus proche de la sienne. Il ne s'agit pas dans son roman du thème traditionnel traité régulièrement en littérature : le retour des citadins à la campagne, la néo-ruralité, "la renaissance champêtre" selon Camille Laurens. Elle reçoit un jour une proposition étonnante d'un voisin, appelé l'Allemand, qui lui propose de réparer le toit de sa maison si elle accepte une relation sexuelle avec lui. Cette proposition la choque mais elle consent à cet acte en échange d'une réparation trop coûteuse pour elle. Cet homme mutique et insignifiant lui impose ce troc sexuel et finit même par la soumettre à sa volonté. Car, traductrice de métier, elle n'arrive pas à comprendre cet homme qui ne montre aucun affect à son égard. Ce roman singulier met en scène la relation ambigüe entre ses deux êtres solitaires et qui trouvent dans la sexualité une solution à leur propre marginalité. Natalia ressent cette incommunicabilité : "On ne peut atteindre ce qui se trouve derrière ses paupières". La jeune femme s'est compromise aux yeux du village qui la rejette de plus en plus. L'avenir semble bien sombre pour la jeune femme. Mais, elle trouvera une issue face à l'impasse de sa vie confinée dans ce village perdu. Sara Mesa est souvent comparée à l'écrivain sud-africain, J.M. Coetzee dont on connaît la lucidité, teintée d'un pessimisme sur l'humain.  Ce roman sans concession met en scène les enjeux de la sexualité, la notion de domination homme-femme, la marginalité et la violence sociale. La littérature espagnole peut compter dorénavant sur Sara Mesa.