vendredi 4 décembre 2020

"La Voyageuse de nuit", 2

 Laure Adler s'insurge sur la notion dévalorisante de la vieillesse : "La jeunesse a pris valeur de modèle pour l'existence entière, reléguant ainsi les âges de la vieillesse non à l'idée de l'accomplissement mais à celle de surplus, de rebut, voire de non-sens". Elle rappelle que l'âge n'est pas un handicap pour la création en citant des écrivains et des artistes qui ont écrit et composé leur chef d'œuvre à 80 ans et plus comme Picasso, Matisse, Victor Hugo, Rembrandt, etc. L'essayiste évoque l'art de vieillir le mieux possible quand on a la chance de ne pas tomber malade. Elle revient souvent sur Simone de Beauvoir qui écrit dans son livre sur "la Vieillesse" : "Tout vieux a été jeune mais tout jeune  n'a pas eu, comme chaque vieux, le privilège de mettre à distance les vacarmes du temps qui obstruent l'intensité du présent". Pour la forme physique, Laure Adler ne cache qu'elle est un peu "au ralenti", qu'elle oublie ses clés, des noms mais, elle ne ressent pas de nostalgie pour le passé. Elle se demande plutôt quand elle voit le printemps poindre : "Combien m'en reste-t-il à vivre ?". Plus loin, elle s'interroge : "La vieillesse serait-elle l'abandon des oripeaux sociaux, le patient et lent recentrement autour de ce qui nous importe vraiment, une sorte de dépouillement de tous les apparats pour arriver enfin à l'essentiel ? " . Elle-même se sentait "désaccordée" dans sa jeunesse et apprécie l'âge de la maturité pour plus de sérénité. Laure Adler n'oublie pas la dimension sociologique de la vieillesse en visitant une EHPAD, donne des chiffres précis, cite des spécialistes. Son carnet intime contient donc aussi des informations solides pour éclairer la situation des aînés dans notre société, le déni de la maladie, l'occultation de la mort. Les dernières pages de l'essai reprennent le chemin de l'intimité et Laure Adler souhaite vieillir le mieux possible : "Garder le goût du monde, trouver chaque jour le sel de la vie, tenter d'être à la hauteur de Simone de Beauvoir qui observe : "Moi je suis devenue une autre, alors que je demeure moi-même". Cet essai revigorant et énergisant se lit avec beaucoup de plaisir surtout quand on se sent concerné et cerné par un âge certain...