jeudi 21 février 2019

"Manifesto"

Leonor de Récondo vient de publier son dernier opus, "Manifesto" aux Editions Sabine Wespieser. Chaque roman de cette écrivaine française se lit avec un plaisir évident. "Pietra viva" évoque le talent génial de Michel Ange, "Amours", l'homosexualité féminine, "Point cardinal", le transexualisme. Tous ces sujets sensibles se retrouvent dans ces textes avec un point de vue singulier et poétique. Dans "Manifesto", elle offre à ses lecteurs(trices) un récit autobiographique sur la mort de son père qui vit ses dernières heures dans une chambre d'hôpital où il est plongé dans un coma profond. La narratrice et sa mère accompagnent Felix, peintre et sculpteur. Le récit se déroule en deux temps : le présent dans cet hôpital et le rêve du mourant, un rêve fiction qui permet à Felix de rejoindre Ernest Hemingway pour lui raconter son enfance, la guerre civile en Espagne, son exil à Hendaye. L'écrivain américain se met aussi à se souvenir de ses voyages à Pampelune, de ses amours et de sa passion de l'Espagne. La narratrice évoque aussi la disparition tragique de sa fratrie, deux frères et une sœur partis dans leur jeunesse à cause de la drogue pour deux d'entre eux. Le père aura donc connu le malheur de perdre ses propres enfants. La petite Leonor plonge aussi dans son enfance quand elle a découvert le violon, l'instrument qui fera d'elle une excellente musicienne. Dans un chapitre où elle se remémore sa mère chantant dans la nuit, elle écrit : "L'art se lie à la nature, à l'amour, à l'enfance il s'y mêle parfois à s'y méprendre". En violoniste confirmée, l'écrivaine exécute une partition familiale, une élégie d'amour à son père et aux siens. La tonalité du texte s'appuie sur des notes graves parmi des notes plus légères. Sa sensibilité à fleur de peau donne au récit une poésie indéniable. Avant la mort de son père, elle réinvente sa vie en introduisant son amitié avec Hemingway et montre avec une infinie délicatesse les chagrins de cet homme, sculpteur de métier et de sa vie. J'ai retrouvé le charme subtil qui se dégage de tous ses romans et une fois ces pages refermées, la musique verbale de Leonor de Recondo se rejoue dans nos rêves, peut-être…  

mercredi 20 février 2019

Ma kindle

J'ai craqué, craqué, hélas craqué… pour une Kindle ! Moi, la passionnée du papier, de son odeur, de sa plasticité, de son format, de sa maniabilité ! J'ai acquis son horrible concurrent, inodore, rigide, incolore. Evidemment, cet objet technologique ne me tentait guère et j'ai même nié son utilité en me situant dans les anti-liseuses. Oui, cet objet moderne s'appelle une "liseuse", je préfère ce mot porteur de symbole. La lecture mute beaucoup depuis dix ans. J'avoue que je lis la presse sur ma tablette ainsi que diverses informations sur des sites culturels, des blogs littéraires de qualité. J'ai donc des habitudes de lectrice sur le Net et j'ai gravi une marche de plus en optant pour cet outil. Car, au fond, c'est banalement un outil informatique pratique. Nous baignons dans cet univers depuis plus de vingt ans et ce serait vain de nier cette nouvelle civilisation qui nous influence à utiliser les smartphones, les ordinateurs, les GPS, les tablettes, etc. D'ailleurs, les citoyens non connectés souffrent de cette marginalisation technologique. J'ai moi-même encouragé l'informatisation des petites bibliothèques en Isère quand je travaillais au Conseil Général dans les années 90. A l'époque, les taches de catalogage et des prêts se faisaient à la main et on ne reviendrait plus aujourd'hui sur ces méthodes ancestrales. Il faut bien épouser tranquillement la modernité sans pour autant succomber à la folie des achats compulsifs sur les derniers modèles. Ma Kindle va surtout m'accompagner dans mes voyages et mes déplacements. Je l'apprivoise au fil des jours pour constituer ma bibliothèque portative. J'ai donc téléchargé quelques romans classiques gratuits : Flaubert, Proust, Stendhal, Nerval. J'ai aussi constitué un rayon philosophie : Marc Aurèle, Nietzsche, Paul Valéry. Dans le catalogue, j'ai trouvé Rimbaud que je relirai avec plaisir. Cet objet se glisse dans un sac à dos et n'encombre pas. Le seul petit problème réside dans sa charge. Il ne faut pas oublier la prise et le cordon… Sinon, pas de lecture en vue. Imaginer tant de livres dans cet espace minime aurait fait rêver des lecteurs compulsifs d'antan. J'ai donc succombé à ce cadeau d'anniversaire et je l'utilise dans mes déplacements… J'ai l'impression de transporter des tonnes de livres pour éviter une panique à bord quand je ne suis pas entourée de ces murs de papier… 

mardi 19 février 2019

Alain Finkielkraut

Depuis samedi, les médias ont montré la vidéo consternante des injures immondes, adressées au philosophe Alain Finkielkraut. J'ai déjà évoqué la personnalité clivante du philosophe, peu apprécié de la gauche extrême et même d'une gauche traditionnelle. J'ai lu presque tous ces ouvrages et je l'ai toujours défendu. On peut ne pas être d'accord avec toutes ces théories mais je ne comprends pas la haine qu'il attire tant. L'antisémitisme qu'il subit vient d'une frange minoritaire des Gilets jaunes mais ces actes inqualifiables ne devraient pas surgir lors d'une manifestation soi disant pacifiste. Cette scène hallucinante a bien eu lieu à Paris en 2019. Elle était précédée des croix gammées sur le visage de Simone Veil, du mot Juden sur une épicerie de bagels, un arbre coupé sur le lieu où fut retrouvé le corps supplicié d'Ilan Halimi et j'apprends aujourd'hui les quatre-vingt tombes profanées dans un cimetière juif. Sans oublier les horribles attentats islamistes contre les enfants à Toulouse, et bien d'autres après. L'antisémitisme est une lèpre abominable et rampante qui saisit les racistes. Alain Finkielkraut a donc été nié dans son identité, sa vie de philosophe. Il avait aussi été insulté lors d'une visite aux "Nuits debout" à Paris. Son courage d'affronter la haine, sa détermination pour ne pas porter plainte méritent toute notre adhésion. Je l'ai vu évoquer cet incident détestable en philosophe se posant la question essentielle : pourquoi cette haine des Juifs ? D'où vient-elle ? De l'ultradroite fasciste, de l'ultragauche antisioniste, de la bêtise crasse, des intégristes islamistes… C'est affligeant, triste et incompréhensible. Je soutiens et soutiendrai Alain Finkielkraut contre vents et marées, sans discussion, sans hésitation, sans restriction.  La scène ignoble que l'on a vue ce samedi m'a particulièrement touchée car je me suis sentie insultée et salie par ces individus sinistrement antisémites. J'espère que la Justice va punir les agresseurs, et vite… Je voulais marquer ma solidarité avec ce philosophe si français, si cultivé, si malheureux de voir "la défaite de la pensée", une de ses œuvres emblématiques. 

lundi 18 février 2019

"Chien-loup"

J'ai déjà signalé le roman de Serge Joncour, "Chien-loup", adopté par Mylène comme coup de cœur dans l'atelier lectures de février. J'ai donc voulu plonger dans l'univers de cet écrivain. Dès les premières pages, la magie opère et les heures de lecture forment une bulle temporelle à deux temps. Les chapitres se succèdent sur deux époques : la Première Guerre Mondiale et la France de 2017.  Franck et Lise, parisiens fatigués, partent en vacances pour trois semaines et choisissent une maison ancienne en plein Quercy, entourée d'hectares inhabités, dans un cadre bucolique.  Cette mise au vert enchante Lise mais effraye Franck, addict à son smartphone qui ne capte plus la Wi-Fi. Il travaille dans le milieu du cinéma comme producteur et commence à ressentir un certain malaise pour sa carrière finissante. Lise, comédienne, ne reçoit plus d'appels pour jouer des rôles. Leur maison de campagne a abrité, durant la Première Guerre Mondiale, un dompteur allemand et ses fauves. Il les cache pour leur épargner un massacre certain. Cet Allemand fuit la guerre et vit isolé. Les villageois se méfient de cet ennemi avec ses lions qui pourraient quitter la colline et envahir le village. Le couple apprivoise leur maison et les environs. Lise s'adapte parfaitement au silence, à la solitude et se voue à la peinture. Franck lui reproche cette sérénité alors qu'il descend au village pour capter ses messages et ses méls tellement il est en manque du Net. Un évènement va colmater son angoisse par la présence d'un chien-loup, à demi-sauvage. Le citadin commence alors sa mutation : il oublie peu à peu la civilisation moderne en apprivoisant le chien-loup. Leur complicité se manifeste dans les longues randonnées. Il découvre en pleine forêt une grande cage abandonnée. Le lien passé-présent surgit dans le récit et Franck se demande à quoi servait ce piège. En fait, le dompteur piégeait du gros gibier pour nourrir ses bêtes. Les villageois avaient peur que les lions dévorent leurs brebis cachées dans la montagne. En 1915, la peur en fait règne partout : peur de la guerre, des lions, de la nature sauvage. En 2017, la peur a changé de nature mais elle est bien là : Franck craint ses deux jeunes collègues qui admirent les dévoreurs du net, les GAFA, qui mettent en péril sa carrière professionnelle. Le chien-loup va apprendre à Franck qu'il faut se défendre des prédateurs. Je ne vais pas raconter tous les détails romanesques de ce roman-conte fabuleux, composé comme une symphonie de couleurs, de sons, d'odeurs à la manière d'un Giono. Sylvain Tesson a salué le livre de Serge Joncour, la comparant à une fable écolo-philosophique lucide : "Il n'est pas de paix possible en ce monde, pas de vie paisible". Un des plus beaux romans de la rentrée sur la relation aux animaux, à la nature et à la liberté. A lire sans tarder. 

vendredi 15 février 2019

Rubrique cinéma

Je suis allée voir "La Favorite" du réalisateur grec,  Yorgos Lanthimos, film coproduit par les Etats Unis, l'Angleterre et l'Irlande. Au château de la Reine Anne, la dernière de la lignée des Stuart, le pouvoir se conjugue au féminin. De 1702 à 1707, la souveraine ne s'intéresse guère aux affaires du royaume. Elle souffre de la goutte, maladie handicapante. Sa vie confinée dans ses appartements ne semble pas si royale alors que son pays est en guerre contre la France. Son caractère de petite fille, entourée de ses lapins, dans son immense chambre démontre sa futilité et son instabilité. Sa favorite, la duchesse de Marlborough, a pris les reines du pouvoir et gère avec une main de maître la multitude de courtisans de la cour. Elle a aussi la charge de prodiguer du plaisir à la Reine. Ses fonctions de maîtresse, conseillère et nounou lui donnent un statut indéfectible. Un jour, une cousine de la duchesse, arrive à la cour pour lui demander du travail. Cette jeune femme a perdu son rang à cause de son père, ruiné par le jeu. La Favorite a pitié d'elle et l'engage au sein de la cuisine. Mais, Abigail ne manque pas d'ambition. Elle concocte une mixture d'herbes pour la Reine qui souffre le martyr avec sa goutte. En lui donnant des soins, la Reine se sent tellement soulagée qu'elle va regarder attentivement cette jolie femme et la nomme femme de chambre. La bataille commence entre la Duchesse et Abigail. Pendant que les hommes de la cour s'adonnent à des jeux absurdes (courses d'oie, lancers d'oranges), les deux femmes se livrent à des intrigues dont dépend leur survie. Abigail empoisonne la Favorite à petites doses. Celle-ci tombe d'un cheval en se blessant le visage. En se retirant dans son domaine, elle laisse sa place à Abigail qui devient la nouvelle Favorite. Mais, la Reine prend conscience au fil du temps que la Duchesse lui manque. Elle reçoit une lettre de son ancienne Favorite. Mais, la jeune intrigante l'intercepte et la brûle pour évincer sa concurrente. Le réalisateur décrit un monde raffiné mais trivial, au fond, un milieu théâtral où l'artifice et la vacuité règnent entre la comédie et la tragédie. Ce film historique à costumes et avec une bande son baroque dénonce le pouvoir monarchique, ses mirages et ses mensonges et seule, la relation de la Reine et de sa Favorite, même si elle se termine dans la tristesse, est vraie dans ce décor somptueux et sulfureux… Un film à voir, étonnant, détonant, original… 

jeudi 14 février 2019

Atelier Lectures, 5

Je poursuis dans ce dernier billet le compte-rendu des romans de Shalev Zeruya. En 2014, le roman "Ce qu'il reste de nos vies", a reçu le prix Femina étranger. Ce récit de famille conte la saga d'une grand-mère, Hemda, qui se meurt dans son lit d'hôpital à Jérusalem. Sa fille, Dina, et son fils cadet, Avner, lui rendent visite et entament un bilan de leur propre vie. Les personnages, dans de longs monologues introspectifs,  s'interrogent sur leurs blessures, leurs ressentiments et leurs frustations. Dina ne supporte pas la désertion de sa fille adolescente et à 45 ans, elle songe fortement à adopter un enfant pour prolonger cet amour si profond. Le frère aussi se lamente sur ses échecs amoureux. Leur mère se souvient de ces années au Kibboutz, son mariage raté, ses parents trop exigeants. Ce huis clos familial évoque les moments les plus paroxystiques de toute vie d'adulte. Chacun prendra une décision au fil des pages dans un maelstrom de pensées, de sensations, d'intuitions. La grand-mère veut partir avec plus de sérénité. Au fond, le titre du roman résume le sujet essentiel du texte : que reste-t-il d'une vie ? La réponse de l'écrivaine se tient dans un seul mot : l'amour, malgré les non-dits, les malentendus, les maladresses. Ce livre me semble le meilleur de Zeruya Shalev car il condense tous ces thèmes de prédilection. La famille multi-générationnelle devient grâce à sa magie de l'écriture un champ antique, une tragédie et une comédie, liées par la recherche de l'amour dans toutes ses dimensions. Je terminerai par l'évocation de son dernier roman, "Douleur", paru en 2017 chez Gallimard. Iris, la narratrice a été victime d'un attentat, dix ans avant. Malgré des douleurs persistantes sur le plan physique, elle souffre aussi moralement. Sa relation avec son mari se dégrade, son fils va quitter le foyer pour l'armée afin d'effectuer son service militaire et sa fille la rejette et rejoint une sorte de secte. Son travail de directrice d'école dévore son temps. Alors qu'elle passe une visite médicale, elle reconnaît sous les traits d'un médecin son premier amour, Ethan. Elle l'avait quitté lorsqu'elle avait dix sept ans. Iris plonge à nouveau dans ce passé amoureux qu'elle a envie de revivre, car sa vie actuelle la déçoit amèrement. Cette passion qu'elle croyait éteinte va-t-elle renaître ? Je ne dirai pas la fin du roman car il vaut mieux ouvrir ces pages et le dévorer. Zeruya Shalev poursuit son parcours de psychanalyste familiale. Les séquelles du passé laissent des traces indélébiles qu'il faut bien accepter. La narratrice comme dans tous les précédents romans se heurte à la dure réalité et traverse une crise existentielle. Elle doit faire un choix… Et toutes les questions qu'elle se pose trouveront peut-être des réponses… Lire Zeruya Shalev n'est pas reposant, ni plaisant, mais c'est ressentir des émotions denses et retrouver le goût d'une littérature très épicée… 

mercredi 13 février 2019

Atelier Lectures, 4

Quatre romans ont été lus au sein de l'atelier et je les évoquerai par ordre chronologique. "Mari et femme" (2004) raconte l'histoire d'un couple en faillite. Naama et son mari Oudi se sont aimés très jeunes au lycée et ont donné naissance à une petite fille. Il est guide touristique dans le désert et elle, assistante sociale. Un matin, Oudi ne peut plus se lever, ses membres se paralysent. A l'hôpital, les médecins déclarent cette maladie neurologique, psychosomatique. Naama ramène son mari à la maison et lui, s'enferme dans le silence et la dépression. Leur fille de dix ans ne comprend pas la situation et reproche à sa mère d'être responsable de la situation. La narratrice décortique au scalpel son couple. Elle était attirée par un peintre sans tromper son mari, d'une jalousie féroce. Les relations entre eux deviennent orageuses, inquiétantes et sombrent dans un malentendu indémêlable. Naama se refugie dans son travail d'assistante sociale où elle s'occupe des mères célibataires qui abandonnent leur bébé pour l'adoption. Son mari s'enfonce tellement dans la paralysie corporelle et mentale qu'elle fait appel à une guérisseuse bouddhiste. Le destin frappe alors à sa porte… Son mari guérit et quitte Naama en tombant amoureux de la jeune femme soignante. Naama comprend que sa vie de couple se fracasse sur le rocher de l'infidélité. La voilà libérée et seule, et une nouvelle page s'ouvre pour elle. Dans le deuxième roman, "Théra", l'écrivaine utilise la trame romanesque du couple, sujet essentiel et indémodable… La narratrice met fin à l'aventure maritale et se retrouve seule avec son fils de six ans. Ses parents ne comprennent pas cette décision et elle ressent de la culpabilité pour son enfant. Elle rencontre un ami, lui aussi, en instance de divorce. Les deux esseulés vont s'unir et réunir leurs enfants en une seule famille. Mais, ce projet heureux ne se passe pas comme prévu. Zeruya Shalev pose le problème délicat et complexe de la famille recomposée. Dans ces deux romans, des points communs relient ces deux histoires : un monologue intérieur féminin, des relations difficiles entre hommes et femmes, entre parents et enfants, une vision lucide voire pessimiste de la famille, lieu pathologique par excellence. Rien n'est simple et serein dans les œuvres de Zeruya Shalev… La suite, demain. 

mardi 12 février 2019

Atelier Lectures, 3

Après les coups de cœur, nous avons évoqué l'écrivaine israélienne, Zeruya Shalev. J'ai proposé les romans "volcaniques" de cette femme courage, née en 1959 dans un kibboutz en Israël. Chaque fois que j'ouvrais une de ses œuvres, je ne pouvais plus la lâcher. Comme ses romans m'avaient particulièrement frappée, je me suis demandée si ses livres toucheraient les lectrices de l'atelier. En trois mots, j'adopterai ces expressions pour qualifier les œuvres de Zeruya Shalev : tempête psychologique, ouragan narratif, vents furieux relationnels. Les amies lectrices ont succombé à leur tour au charme indescriptible de l'écrivaine israélienne. Je commencerai par quelques éléments biographiques. Elle a grandi dans un milieu familial où l'écrit et la littérature tenaient une place exceptionnelle. Père, critique littéraire connu, oncle écrivain, cousin poète, la jeune Zeruya a baigné dans une atmosphère propice à la création. Elle pousse même son amour de la littérature en épousant un romancier… En 2004, elle est victime d'un attentat suicide, suite à l'explosion d'un bus. Dix personnes meurent dans cet attentat et elle est très gravement blessée. Elle restera immobilisée pendant plusieurs mois. L'écrivaine explique dans Libération : "Mais vivre en Israël, c'est comme vivre sous un volcan, ça rend créatif, c'est une inspiration. En ce sens, la réalité israélienne influence mes livres, ne serait-ce que parce que je vis dans une ambiance très tendue, chaque jour est plein de peurs et de dangers, à tout moment, tout peut arriver". Cette tension permanente qu'elle décrit dans cet entretien se retrouve dans ses cinq romans, de "Vie amoureuse" à "Douleur". Dans son œuvre, les femmes vivent souvent une vie sentimentale compliquée, prises dans les mailles de l'amour, des mailles serrées ou lâches, entre mari, amant, parents, enfants et adolescents sans oublier la présence essentielle des grands-parents. Lire Zeruya Shalev, c'est entrer par effraction dans un monologue intérieur fulgurant où le rythme de la phrase souvent longue nous entraîne dans une folle sarabande. Comme dans toute œuvre, lire, c'est se lire… Son lectorat se retrouve dans ses textes où les "femmes sont au bord de la crise de nerfs" comme le dirait Almodovar… La suite, demain.

lundi 11 février 2019

"Olga"

Bernhard Schlink, écrivain allemand, a écrit en 1995, "Le liseur", un succès remarqué et remarquable. Fils de pasteur antinazi, l'écrivain né en 1944, aborde souvent le problème de la culpabilité du peuple allemand après la guerre. Dans cette œuvre la plus célèbre, traduite en 37 langues et adaptée au cinéma, le narrateur découvre l'implication de sa maîtresse plus âgée dans un camp de concentration où elle était gardienne. Ce passé lourd et impardonnable ne cesse d'obséder l'univers fictionnel de Schlink. Dans son dernier opus, "Olga", il renouvelle son art du récit en racontant le destin singulier d'une jeune allemande de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe. Olga perd ses parents très tôt et sa grand-mère l'élève dans un village de la Prusse orientale. Enfant, elle fréquente une frère et une sœur de la haute société bourgeoise de l'époque. Une relation privilégiée va naître entre Olga et Herbert, le fils du riche industriel. Ce garçon n'a qu'un rêve : courir, partir, fuir, voyager. Il rejette son rôle d'héritier et affirme son amour pour Olga. Mais, la famille du garçon désapprouve cette relation illégitime à leurs yeux. A cause de sa condition sociale, Olga ne peut pas entrer à l'université interdite aux femmes mais elle accède au statut d'institutrice dans son village. Herbert choisit l'armée, grisé par le patriotisme de Bismarck. L'esprit de l'aventure le conduit en Namibie et il participe au massacre des Héréros en 1904. Quand il revient en Allemagne, il retrouve Olga mais ne pense qu'à repartir. Il veut atteindre l'Arctique et réaliser un exploit digne d'Amundsen. Il disparaît dans une de ses expéditions et ne donne plus de nouvelles à Olga. Au fil du récit, la jeune femme ne veut pas se résigner à la mort d'Herbert. La Première Guerre mondiale éclate, puis la Deuxième. Olga raconte ensuite sa vie à un jeune homme qu'elle considère comme son fils. Lui même va découvrir le secret d'Olga dans des lettres qu'un antiquaire a récupérées dans un grenier. Je ne dévoilerai pas la fin de ce beau roman qui couvre des décennies en Allemagne et des espaces divers. L'amour total et sacrificiel d'Olga pour Herbert, son aventurier fugueur, ne constitue pas le seul sujet du livre. Bernhard Schlink évoque la pesanteur tragique de l'Histoire dans les destins individuels. Le patriotisme excessif de l'époque a préparé le terreau du nazisme et l'écrivain montre ces racines du mal dans la société allemande, ivre de conquêtes et de revanches. Ce portrait d'une femme anonyme et modeste mais généreuse et solitaire réserve des surprises à la fin du livre. A lire pour l'infinie patience d'Olga, la qualité de l'écriture, l'arrière plan historique et le rebondissement final…

vendredi 8 février 2019

Rubrique cinéma

Ce premier film de David Roux, "L'ordre des médecins", montre le milieu hospitalier avec une vérité remarquable. Un pneumologue reconnu doit garder toujours son calme pour soigner des malades atteints de maladies très graves. Mais, quand il voit sa mère dans un couloir de l'hôpital, il commence à paniquer. Admise dans un service voisin, le médecin se transforme en fils éperdu de chagrin pour la sauver car elle souffre d'un cancer incurable. Le réalisateur connait cet univers par son frère médecin et il décrit ce monde à la manière d'un film réaliste et documentaire. La trame romanesque repose sur la famille du médecin : sa mère lucide et courageuse (interprétée par Marthe Keller), sa sœur dévouée, son père, effondré sous le choc de la nouvelle. La maladie resserre les liens familiaux, les renforce inévitablement. Le jeune médecin trentenaire n'accepte pas le verdict terrible de son confrère qui ne veut pas opérer sa mère. Son quotidien au sein de l'établissement montre le courage, l'abnégation du personnel soignant. Le réalisateur a suivi lui-même le rythme infernal du quotidien hospitalier pour montrer que ces soignants vivent un stress permanent en côtoyant la maladie, l'angoisse des soignés, la présence permanente de la mort. Dans un interview, David Roux évoque cette expérience : "C'est fou, une journée dans un hôpital. (…) On comprend très vite pourquoi leur métier nécessite une certaine distance : elle est nécessaire pour rester lucide, pour prendre les bonnes décisions". Le film met l'accent sur les relations entre médecins, parfois concurrents, parfois solidaires, sur la vie d'un service entre fêtes délirantes pour décompresser et repas pris en commun. Le jeune médecin (le meilleur rôle de Jérémie Renier) ne pourra pas lutter contre l'inévitable malgré ses compétences, son savoir médical et son amour filial. Ce film raconte cette défaite annoncée et malgré ce désastre, il faut continuer, reprendre le chemin de la vie, sauver des malades. Ce film juste, honnête, sobre et vrai parle de courage, d'empathie et de solidarité et surtout, rend un hommage fraternel à tout le personnel soignant des hôpitaux… 

jeudi 7 février 2019

Atelier Lectures, 2

Mylène a présenté le roman, "Chien-loup" de Serge Joncour qu'elle a bien apprécié. Le récit se déroule en deux temps, pendant la Première Guerre Mondiale et de nos jours. Ces deux histoires s'entremêlent à un siècle de distance avec un point commun : la bâtisse isolée dans le Lot. Les deux parisiens quinquagénaires, Franck et Lise, choisissent ce lieu étrange pour trouver la paix loin d'un monde technicisé à outrance, sans réseau wifi, ni GPS activé. Ce retour à la nature et à la simplicité ne se passe pas comme prévu. Il est question aussi d'un dompteur allemand qui a déserté pour éviter la guerre. Il cachait des lions et des tigres pour les sauver. Mylène évoque le thème majeur du livre : la peur règne partout dans ce lieu et donne une tension permanente au fil du récit. Ce roman singulier et puissant a marqué la rentrée littéraire et il n'a pas eu besoin de prix pour rencontrer un très grand succès auprès du public. A lire sans tarder. Mylène a aussi parlé de l'autobiographie de Michelle Obama qui se lit avec plaisir. Danièle a choisi "Je n'ai plus peur" de Niccolo Ammaniti. L'histoire se passe en Italie, dans les Pouilles en 1978. Un jeune garçon repère un abri abandonné dans lequel se trouve un enfant enchaîné comme un animal. Il recueille cet enfant et va découvrir la terrible vérité des adultes dans son entourage. Ce roman initiatique, écrit en 2001, a reçu le prix littéraire le plus important en Italie. Danièle nous a rappelé que cet écrivain a écrit le scénario de l'excellente série "Il Miraculo", diffusée sur Arte récemment. Régine a lu avec beaucoup l'intérêt le prix Goncourt, "Leurs enfants après eux" de Nicolas Mathieu, publié chez Actes Sud. Ce roman sociologique décrit une France périphérique (la Lorraine), le monde des adolescents en panne d'espérance pour leur avenir respectif. Les garçons et les filles ne rêvent que d'amour et d'amitié. Les parents se débattent dans leurs difficultés quotidiennes. L'ennui règne dans cet univers sans horizon. Seules, les deux adolescentes finissent par trouver une issue salvatrice grâce aux études. Le déterminisme social plombe les personnages de ce roman, par ailleurs, superbement écrit. Un prix Goncourt amplement mérité. Evelyne a relu "Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates" de Mary Ann Shaffer, publié dans la collection 10/18 en 2011. En 1946, Juliet Ashton, écrivain, entreprend une correspondance avec les membres attachants d'un cercle de lecteurs à Guernesey. Ce petit bijou littéraire avait enchanté les lecteurs(trices) lors de sa parution. Geneviève a terminé la partie des coups de cœur avec deux livres. Elle a beaucoup aimé "Le jeu des ombres" de la grande Louise Erdrich. Les deux personnages principaux, Gil et Irène, se déchirent sous les yeux de leurs trois enfants. Cette guerre psychologique est intensifiée par la lecture du journal intime d'Irène que Gil lit en cachette. Elle devine cette intrusion et décide d'écrire un deuxième carnet pour manipuler son lecteur de mari. Un très bon roman à découvrir. Geneviève a aussi évoqué des très bonnes nouvelles de Primo Levi, "Dernier Noël avant la guerre". Les coups de cœur, éclectiques et originaux, deviendront, je l'espère, des formidables lectures… 

mercredi 6 février 2019

Atelier Lectures, 1

Nous nous sommes retrouvées au sein de la Maison de quartier du centre ville pour évoquer les coups de cœur de l'atelier, le cinquième de la saison depuis la rentrée. J'ai rappelé que les lectrices pouvaient choisir un roman, un essai, un documentaire, un livre-outil et même un album jeunesse ou une bande dessinée. J'engage même les membres de l'atelier à présenter leurs lectures dans une diversité des sujets et la séance qui a suivi reflète bien leurs choix personnels. Odile a donc évoqué un ouvrage d'Edwy Plenel, "La valeur de l'information", publié aux Editions Don Quichotte. Le journaliste, cofondateur et responsable de Médiapart, relate l'histoire de ce média, né en 2008, une particularité unique dans le panorama de la presse française. Il prône le besoin essentiel de la liberté, de l'indépendance financière et des valeurs basées sur la démocratie, l'honnêteté du métier de journaliste et l'appui des lecteurs. La valeur de l'information est mise au service de l'intérêt général. Cet essai peut intéresser tous ceux(celles) qui sont attachés à la liberté de la presse. Annette a pris le relais avec Pierre Michon et son "La vie de Joseph Roulin". Ce livre l'a enthousiasmée et elle nous a présenté très finement la structure de l'ouvrage, les personnages et surtout le style somptueux de l'écrivain. La vie du facteur Roulin et le destin de Vincent Van Gogh sont à jamais liés par la grâce de la littérature. Annette qualifie ce récit de "fugue lumineuse" qui regorge de couleurs, un hymne à la peinture, à l'art. Pierre Michon ennoblit ses personnages et les hausse au niveau des rois. Ce magnifique texte est un classique publié dans la très bonne maison d'édition Verdier, située dans l'Aude. A lire ou à relire pour savourer la prose poétique de Pierre Michon, l'un des plus grands écrivains français. Agnès a choisi "Home" de Toni Morrison, publié dans la collection 10/18 en 2013. Un jeune soldat rentre dans son pays après la guerre de Corée. Il revient traumatisé du front et il va rejoindre sa sœur malade qui a besoin de lui. Il veut la ramener à Lotus dans leur ville natale. Ce voyage à travers les Etats-Unis le replonge dans ses souvenirs d'enfance. Il va se reconstruire peu à peu en prenant soin de sa sœur. Agnès a lu ce roman avec beaucoup d'émotion et elle nous a donné envie de redécouvrir Toni Morrison, une grande dame de la littérature américaine, prix Nobel en 1993. Cette œuvre dense et brève représente la quintessence de son œuvre car Toni Morrison évoque l'injustice de la condition des afro-américains. Barak Obama lui a décerné en 2012 la médaille présidentielle de la Liberté. La suite, demain.  

mardi 5 février 2019

"Serotonine"

Le dernier Houellebecq, son septième roman, "Sérotonine" ressemble comme un petit frère à tous les aînés de la fratrie. Le narrateur, Florent-Claude Labrouste, âgé de 46 ans, survit grâce à un antidépresseur, le Captorix, basé sur la sérotonine, l'hormone dite du bonheur. Très déprimé, cet ingénieur agronome parcourt une certaine France, oubliée par la mondialisation. Le narrateur décide de quitter son travail et entame une déambulation à travers le pays pour trouver peut-être une issue à sa crise existentielle. Entre son ami agriculteur qui subit de plein fouet la faillite de son entreprise agricole et sa relation amoureuse avec une femme japonaise, Yuzu, le narrateur explore un pays où le bonheur de vivre s'est un peu absenté. Comme dans tous les ouvrages houellebecquiens, la neurasthénie du anti-héros rythme sa vision pessimiste de la vie : amours impossibles, amitiés superficielles, sexualité pornographique, misogynie, naufrage des corps et absence d'espoir. Dès la première page, il dit de lui-même : "Je n'ai jamais été capable de contrôler ma propre vie, bref, il paraissait vraisemblable que la seconde partie de mon existence ne serait, à l'image de la première, qu'un flasque et douloureux effondrement". Mais, pour apprécier cet écrivain iconoclaste, il faut lire ses textes comme une tentative de survie dans un monde complexe où les individus ne maîtrisent plus leur propre destin. Il dénonce la mutation d'un monde paysan en perte d'identité. Son ami agriculteur finira même par se suicider. Un constat glacial et lucide. La seule consolation que le narrateur s'accorderait réside dans une dernière et belle histoire d'amour. Il songe à Camille qu'il a aimée mais il l'a trompée bêtement. La jeune femme l'a quitté et Florent-Claude ne l'a jamais oubliée. Il part à sa recherche. Je ne dévoilerai pas la fin du roman qui se termine comme un thriller. Dans la revue hebdomadaire le Numéro 1, consacré à la France de Houellebecq, Agathe Novack-Lechevalier, responsable d'un Cahier de l'Herne sur l'écrivain, raconte sa fascination : "Chez Houellebecq, l'urgence est du côté de l'écriture, pour se sauver, il faut écrire ; mais, il y a aussi une résonance du côté de la lecture, pour se sauver, il faut lire". "Sérotonine", un grand roman réaliste et j'ose le dire,  d'un romantisme échevelé… Au fond, Michel Houellebecq cherche son double à travers une compagne de vie. Mais comme il ne la trouve pas, sa vie est une perpétuelle quête nervalienne. Il paraît que l'écrivain s'est récemment marié. Son prochain livre va peut-être nous donner la clé du bonheur… Je ne le reconnaîtrai plus, Michel Houellebecq… 

lundi 4 février 2019

"Un fils obéissant"

Laurent Seksik, ancien médecin des Hôpitaux de Paris, s'était intéressé au destin tragique de Stefan Zweig dans son roman biographique, "Les Derniers jours de Stefan Zweig", publié en 2010. Il a rencontré l'estime des lecteurs avec d'autres titres dont "le cas Eduard Einstein" et "Romain Gary s'en va-t-en guerre". La critique littéraire qualifie ses romans d'exofiction, basés sur la vie romancée des écrivains. Son dernier livre, "Un fils obéissant", paru en 2018, évoque son père et les relations étroites qu'il entretenait avec lui. Pour la première fois, il se saisit de son "je" pour retracer sa vocation littéraire. Il se rend en Israël pour assister à la célébration de la mort de son père,  homme solaire et bienveillant. Il doit écrire un discours et dans l'avion, il raconte à une femme inconnue, sa famille particulière. Sa mère voulait qu'il devienne médecin et en "fils obéissant", il exerce la médecine tout en ne renonçant pas à l'écriture. Laurent Seksik relate même sa visite à J.M.G Le Clezio à Nice pour lui quémander son avis sur un manuscrit alors qu'il n'avait que vingt deux ans. Son père a toujours manifesté ses encouragements pour sa passion de la littérature : "Tu dois exceller en médecine ; plus tard, tu excelleras en littérature… Chez nous, le devoir passe avant, tu sais". Plus loin, le narrateur écrit : "Nous vivions dans une sorte d'émulation, un peu comme si nous concourions ensemble pour le César du Meilleur rôle dans un film familial, lui dans la catégorie du Père modèle, moi dans celle du Fils parfait". Ce couple, père-fils, ne subit aucune fêlure, aucune contrariété même si l'auteur estime parfois l'amour de ses parents un peu étouffant. Il faut savoir se "délester" d'une partie de ce poids familial pour vivre sa propre vie, celle de l'écriture pour Laurent Seksik. Ce long voyage de deuil abonde d'anecdotes, de rencontres et de légendes familiales. Le narrateur observe le vieillissement de ce père héros du quotidien, charmeur et espiègle. Ce récit sensible et émouvant repose sur des relations assez exceptionnelles au sein d'une famille unie. Laurent Seksik a eu la chance de recevoir cet héritage immatériel, un tremplin essentiel pour réussir sa vie d'adulte. Au fond, ce récit autobiographique donne une leçon d'optimisme sur les relations familiales, qui peuvent se vivre dans la plus belle harmonie à condition d'intégrer l'estime, le respect et l'amour réciproques… 

vendredi 1 février 2019

"Gaspard de la nuit"

Elisabeth de Fontenay enseigne la philosophie à la Sorbonne. Elle a publié des ouvrages sur Diderot et surtout sur la cause animale. Son dialogue amical avec Alain Finkielkraut, "En terrain miné" a suscité beaucoup d'intérêt. Dans ce récit autobiographique, "Gaspard de la nuit" , la philosophe révèle l'existence de son frère, handicapé mental, âgé aujourd'hui de 80 ans. Elle n'emploie pas ce terme pour qualifier ce frère, qui "persévère dans une irréversible absence".  Son prénom, Gaspard, est un pseudonyme, car elle ne veut pas révéler son vrai prénom qui lui rappelle Gaspard Hauser, ce jeune homme allemand inconnu,  hagard et mutique, recueilli à Nuremberg en 1828. Et elle cite aussi deux vers de Verlaine qui se terminent ainsi : "Ô vous tous, ma peine est profonde, priez pour le pauvre Gaspard". Elisabeth de Fontenay écrit : "La nuit de Gaspard évoque un soi qui n'a pas accédé à la condition de sujet, à la possibilité ordinaire et prodigieuse de dire "je". Elle est une énigme humaine supplémentaire, inattendue, impénétrable". Dans un souci de respect profond et de pudeur intime, la vie de son frère n'est pas du tout exposée, mais elle raconte sa colère contre les neuroleptiques qui ont assommé Gaspard dans son enfance. Sa famille a gardé ce secret longtemps et a même occulté la disparition de quelques uns de ses membres à Auschwitz. Cette culture du secret l'encourage à se libérer de ce poids familial en choisissant la philosophie. Dans cet ouvrage qui recèle de références sur le monde de la psychiatrie, elle évoque Michel Foucault et son histoire de la folie, Bruno Bettelheim et "la forteresse vide". Elle interroge les personnages torturés de Dostoïevski, en particulier, "L'Idiot". Son immense culture littéraire, philosophique et sociologique apporte au récit une distance nécessaire pour ne pas sombrer dans le désespoir. Son frère est placé dans une institution en Suisse en pleine nature où il s'occupe des animaux dans une ferme thérapeutique. Il ira plus tard à Toulouse dans une maison de retraite. La vie de ce frère absent l'a fortement influencée dans sa démarche philosophique et dans ses engagements politiques à gauche. Elle a écrit cet ouvrage si sensible pour rendre hommage à ce frère malade et pour "sauver notre minuscule fratrie qui disparaîtra sans descendance". La dernière phrase du livre révèle son projet initial : "Notre nom et nos prénoms, imprimés, sauvegardés, survivront un temps dans le clair-obscur des bibliothèques qui sont les seuls tombeaux d'où il arrive parfois qu'un lecteur vous fasse revenir". Cet essai-témoignage a obtenu le prix Femina des essais à la rentrée littéraire. Une lecture indispensable…