lundi 2 mars 2020

"Hors de moi"

Claire Marin avait écrit l'année dernière un essai passionnant, "Ruptures" et j'ai eu la curiosité de lire un autre récit, "Hors de moi", publié chez Allia en 2008. Elle relate sa maladie, une maladie auto-immune rare, dont elle est atteinte. Sa première phrase annonce son avenir compromis : "Il n'y aura pas de fin heureuse. Autant le savoir d'emblée. C'est une histoire tragique, faite de répétitions et d'aggravations. Quelques silences entre les soupirs, les gémissements, les pleurs ou les cris, de douleur et de rage. Une vie intense". Claire Marin appelle avec ironie, sa maladie, "une compagne fidèle", une "démolition secrète" qui la diminue. Quand elle apprend cette nouvelle catastrophique, la narratrice sait que sa vie a changé et qu'une nouvelle commence : 'On roule sur la bande d'arrêt d'urgence". Ce cataclysme provoque aussi "une sensibilité qui s'était endormie", une accélération du temps présent, une amplification des rapports à soi et aux autres. Cette expérience existentielle la plonge dans "le vif de la vie, dans sa démesure". Elle manie même un humour caustique en qualifiant sa maladie de compagne "d'une fidélité sans faille", "une relation passionnée et éternelle". Sa colère et sa rage se manifestent dans les mots forts et intenses de cette maladie qui la frappe comme une injustice insupportable : "Cette maladie me met hors de moi. La colère dit cette insupportable dépossession. C'est de ma propre vie, de mon identité que je suis amputée". Elle décrit les ravages de la maladie sur son corps, les "giclées de douleur au creux des poignées, dans les bras, les hanches", "une fatigue harassante". Elle raconte la chosification de son corps devant les soignants, ses nombreux passages à l'hôpital, la cohabitation avec des malades beaucoup plus âgés qu'elle,  le sentiment de "l'invisibilité" du patient, le bruit, l'indifférence. La patience du malade s'avère infinie et ce mot de patiente caractérise la condition du soigné. La narratrice entre "en maladie comme on entre en religion". Quand le médecin lui annonce sa "rémission", Claire Marin raconte les crises qui s'atténuent, le courage qui revient, le retour de l'espoir. Ce témoignage d'une écriture magnifique communique une énergie rageuse et reconstitue la vie difficile et fragile de tout malade. Le désir inattendu et renaissant surgit à la fin de ce très beau récit.