jeudi 14 janvier 2021

"L'été avant la nuit"

 J'ai écouté une émission sur France Culture concernant Doris Lessing. Pourquoi Doris Lessing ? Cette écrivaine anglaise à l'œuvre protéiforme m'avait vraiment passionnée à partir des années 70 quand j'avais découvert son "Carnet d'or". J'ai presque tout lu : "Des enfants de la violence" aux "Carnets de Jane Sommers" en passant par ses mémoires, ses nouvelles et ses essais. Seuls, les romans de science-fiction ne m'ont pas attirée. Je connais bien cette grande dame des lettres britanniques, née en 1919 et morte en 2013 à l'âge de 94 ans. Elle a reçu le prix Nobel de Littérature en 2007 pour son talent de "conteuse épique de l'expérience féminine, qui, avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire, scrute une civilisation divisée". Sa réputation de femme engagée dans le marxisme, l'anticolonialisme et l'anti-apartheid lui a donné une image de rebelle, d'anticonformiste et de féministe sans qu'elle le revendique. En furetant dans les cabanes à livres, j'ai découvert un livre de poche de Doris Lessing, "L'été avant la nuit" que je n'avais pas lu. Quel plaisir de retrouver la prose de Doris Lessing ! Ces pages n'avaient pas pris une ride et me plongeaient pourtant dans l'univers de ma jeunesse. La condition féminine a pourtant bien changé depuis des décennies avec des conquêtes irréversibles. Pourtant, en suivant les traces de Kate Brown, je me sentais sa contemporaine. A quarante trois ans, Kate a consacré plus de vingt cinq ans à sa famille et à sa maison. Mais, l'été qui vient semble ne plus ressembler aux précédents. Son mari, neurologue de renom, part travailler aux Etats-Unis. Ses quatre enfants quittent le foyer pour leurs études et s'éparpillent pendant leurs vacances. Un cycle se ferme. Comment va-t-elle prendre ce tournant ? La voilà disponible et seule. Un ami de la famille connaissant ses compétences dans les langues lui propose un poste d'interprète pour remplacer un employé absent. Elle se lance dans cette opportunité avec un soulagement certain et elle se révèle très efficace dans les congrès de l'ONU. A Istanbul, elle séduit un jeune américain qui l'embarque dans une virée en Espagne. Mais, son aventure amoureuse se termine mal car le jeune homme tombe gravement malade. Son retour à Londres ne se passe pas comme prévu. L'été se déroule dans une solitude volontaire, ponctuée de rencontres éphémères avec sa colocataire et ses amis. Kate finira par surmonter son angoisse de vieillir, de se sentir délaissée par les siens : "Elle savait à présent, elle se trouvait finalement obligée de le comprendre, que toute sa vie un fluide invisible l'avait soutenue : l'attention des autres. Mais le fluide s'était évaporé". Dans ce roman de l'âge mûr, Doris Lessing raconte le sort des femmes qui ont usé leurs forces au service des autres, de leur mari, de leurs enfants. L'équilibre est rompu quand tout son entourage prend le large... Ce portrait de femme vouée à la "servitude volontaire", publié en 1973, ouvre le grand bal des interrogations sur la soumission millénaire de la condition féminine. Doris Lessing, Simone de Beauvoir, un air de famille, tout de même... Deux écrivaines intellectuelles dans le bon sens du terme qui posent les jalons d'un féminisme humaniste et universaliste.