jeudi 15 avril 2021

"Un Vertige"

 J'avais remarqué la prose élégante et subtile d'Hélène Gestern à la parution de son premier roman, "Eux sur la photo", édité en 2011. Cette écrivaine, née en 1971, vit et travaille à Nancy. Enseignante-chercheuse à l'Université, elle est rattachée à un laboratoire spécialisée dans l'étude du lexique. De plus, elle anime à Paris une équipe de recherche consacrée aux écrits personnels comme les autobiographies, les journaux et les correspondances. Dans ce texte de 100 pages, "Un vertige", publié en 2017, la narratrice relate deux moments de sa vie : le vertige en question et la séparation. La narratrice remarque un homme dans la rue en 1996 mais elle le reconnaît aussitôt car il participait à un colloque dans son institut. Elle l'invite dans un restaurant et leur histoire commence par une relation amoureuse chaotique... Marié et père d'un enfant, il ne veut pas quitter sa femme : "Un homme a aimé une femme, il lui a promis un avenir et elle y a cru. Lui aussi, peut-être. Puis, il s'est lassé, a changé d'avis et l'a abandonnée. Fin de l'histoire". La narratrice analyse cette relation traumatique qui se transforme en obsession maladive dans sa vie : "Je m'interrogeais sur la force qui nous pousse, au mépris le plus élémentaire de nous-même, dans des amours invivables - sur ce que cela suppose de défaillance - puisque l'on finit par tout abdiquer - de masochisme et de désir de mort. Mais aussi sur la valeur intrinsèque de cette démence, celle qui nous porte hors de nous et de voir de près, au moins une fois, le grand vertige de la vie qui bascule". Cette passion amoureuse à base de déchirures permanentes, de ruptures et de retrouvailles hante la narratrice qui finit par choisir à contrecœur la séparation, la seule solution pour sa survie. Elle comprend qu'elle ne partagera jamais une vie en commun avec lui. Elle doit alors se reconstruire sur les "ruines de ce qu'elle a été".  Ce récit clinique d'une rupture annoncée s'appuie sur une renaissance de la narratrice qui se penche sur la question lancinante pour elle : "Pourquoi me suis-je lancée dans une aventure amoureuse vouée à l'échec ?". Hélène Gestern n'est pas la seule écrivaine à raconter une rupture amoureuse. Influencée par Annie Ernaux, elle propose une analyse fouillée, quasi archéologique d'une mésentente avérée malgré la passion qui unit les deux protagonistes. Ce "vertige" amoureux l'emporte dans un flux de conscience à la Virginia Woolf. Dans son deuxième texte, "La séparation", elle admet que cette histoire douloureuse l'a laissée exsangue : "Il est resté là, en moi, fiché comme une écharde, ensuite irrigant mon sang, ma peau, ma conscience". Ce récit incandescent composé comme un chant d'amour funèbre renoue avec la tradition d'une écriture réparatrice qu'Hélène Gestern revendique dans ses différents écrits. Enfin un texte bref, condensé, percutant sans pathos et écrit avec un style remarquable. A découvrir.