mardi 17 janvier 2012

Atelier d'écriture, souvenir d'enfance

Mylène, notre animatrice de l'atelier d'écriture, nous a donné deux exercices : le premier n'est pas terminé. Je dois le compléter car il fallait écrire un poème de dix vers en trois strophes sans employer la voyelle "i". Cette contrainte "oulipienne" demande du temps pour élaborer un poème. Le deuxième exercice s'avéra plus conforme à ma forme d'imagination. Après la lecture d'un texte de Victor Hugo sur une cuisine, Mylène nous a demandé d'écrire notre cuisine imaginaire ou réelle. Voilà mon texte :
"Dans les années 50, mes parents ont acheté un vieux bar, un très vieux bar de village, au Boucau, près de l'Adour et à deux pas de l'océan. Le bar fut transformé. De bois, il devint formica, la modernité faisant foi. Mais une pièce échappa à ce massacre de la défiguration. Cette pièce centrale, c'était la cuisine. Elle se situait derrière le bar et tenait lieu de salon rustique, de salle à manger familiale, d'entrée, de bureau. Au centre de la cuisine, trônait la grande table avec un nappe cirée, sur le côté, une armoire avec des grandes portes, des petites, des portes vitrées où se cotoyaient des assiettes, des verres, des bols, des couverts, mélangés au sucre, à la farine, aux biscuits, au café et à d'autres paquets en carton, loin de l'explosion des couleurs d'aujourd'hui, symbolisant un monde sobre et simple. Ce qui fascinait mes yeux d'enfant, c'était le fourneau à charbon où ma mère, quand les clients lui demandaient, confectionnait héroïquement des plats du pays : piballe à l'ail, cèpes, palombes, poissons de l'Adour et autres gourmandises du Sud-Ouest. Je me souviens aussi de mon plat préféré : des pommes de terre qui cuisaient lentement dans le four. Je les coupais en deux et les nappais d'une noisette de beurre. La cuisine se transformait à tous moments de la journée : calme le matin, bruyante à midi, sereine l'après-midi et bouillonnante le soir. Un palier à l'étage s'ouvrait sur la cuisine et je m'appuyais sur la rembarde pour observer comme un capitaine de bateau les activités de ces drôles d'adultes, mes parents, qui s'agitaient dans ce laboratoire de vie. Ce lieu matériel se métamorphosait en lien maternel car ma mère était derrière le bar à servir les clients-tyrans qui m'enlevaient mes parents, harassés de fatigue et d'absence. J'adoptais cette cuisine, elle me mettait à l'abri du monde, à l'abri du bruit des clients du bar. C'est peut-être pour cela qu'une cuisine, pour la femme que je suis et pour la petite fille que j'étais, ressemblera à cette cuisine de mon enfance, vivante et odorante, multiple et unique."