jeudi 29 juillet 2021

"Adieu Fantômes"

 Le deuxième roman, "Adieu Fantômes", de l'écrivaine Nadia Terranova, se passe en Sicile, à Messine plus précisément. Ida, la narratrice, vit à Rome, s'est mariée et travaille à la radio en animant une émission sur des histoires vraies. Sa mère, restée à Messine dans leur appartement familial, l'appelle pour l'aider à ranger ses affaires personnelles. Le toit-terrasse de l'appartement présente des fuites qu'il faut aussi réparer avant de le vendre. Elles ont vécu dans ce lieu après la disparition inexpliquée du père il y a une bonne dizaine d'années. Cet ancien professeur de littérature latine, en proie à une dépression sévère, a fermé la porte de l'appartement et n'est jamais revenu chez lui : "Après des semaines d'immobilité dans le lit conjugal, il s'était levé, il avait éteint son réveil programmé à six heures et demie, et il était sorti de l'appartement pour ne jamais revenir". Est-il mort ou vivant ? Ce père fantôme hante la mémoire d'Ida et l'empêche même de vivre. Il s'est "décomposé en effluves aquatiques", mais, comme personne n'a retrouvé son corps, il peut réapparaître en "réclamant sa moitié de lit et son couvert à table". A vingt ans, Ida a fui sa Sicile et quand elle revient passer quelques jours à Messine, le passé lui revient en plein cœur et elle voit le spectre écrasant de son père partout. Elle retrouve son ancienne chambre "morte, envahie par les flots de souvenirs". Ainsi à treize ans, la narratrice est devenue la fille d'un "disparu" : "les vrais morts meurent, ils s'enterrent et se pleurent". Ida, adulte et vingt trois ans plus tard, cohabite avec la jeune adolescente orpheline. Pour tourner cette page indélébile, elle va vivre une expérience "flottante" car l'eau, l'élément aquatique, prend une grande place dans ses sensations. Elle songe à son père qui aimait nager, à la pluie qui dégouline sur la terrasse, à la mer proche, aux pleurs qui la dévastent la nuit, toutes ces notations symbolisant la douleur permanente. Ida enfin peut parler de ce chagrin à sa mère, règle ses comptes avec une ancienne amie, évoque son mari à la fois présent et absent, ses déambulations dans la ville entre mer et ciel. Ce très beau roman subtil et captivant, mêlant le réel et le surréel voire le fantastique, plonge le lecteur et la lectrice dans les méandres proustiens aux accents de Messine, reflétant les tourments de la narratrice. Sa culpabilité de ne pas avoir sauvé son père de la dépression, reste une blessure inguérissable : "Nous étions coupables, un homme dépressif avait quitté la vie parce que nous n'avions pas pu le retenir, nous voyions notre crime comme une tache écarlate et impunie". Elle trouvera pourtant le courage de se libérer du fantôme, ce fantôme qui a hanté sa vie, son père. Une écrivaine italienne de Sicile vient de naître avec ce roman émouvant sur le deuil et sur la perte... A découvrir.