vendredi 4 juin 2021

Rubrique cinéma

 Enfin, le cinéma Astrée a ouvert ses portes après huit mois d'interruption. Une impression bizarre m'a saisie quand j'ai acheté le billet à l'entrée : j'avais presque oublié qu'il existait des salles de cinéma où on peut regarder un film sur un grand écran dans une ambiance feutrée et quand éclate le fond sonore qui enveloppe nos oreilles, la mémoire rectifie l'impression d'inconnu. J'ai retrouvé le goût de la vie normale, la vie d'avant cette catastrophe sanitaire de mars 2020. La jauge est respectée et les spectateurs doivent conserver le masque pendant la séance. Je suis allée voir "The Father" du dramaturge français, Florian Zeller. Il a adapté sa pièce de théâtre en film et le résultat me semble plus que réussi. L'immense comédien, Anthony Hopkins, joue une partition émouvante en interprétant un vieil homme en proie à la maladie d'Alzheimer. Pour apprécier ce film difficile, le spectateur doit se mettre tout de suite dans la peau du malade. Que voit-il autour de lui ? Que ressent-il en perdant ses repères quotidiens ? Pourquoi ne reconnaît-il ses proches ? Le réalisateur film un huis clos entre ce père vieillissant et sa fille, Anne, jouée par l'excellente actrice, Olivia Colman. Sa fille s'occupe de lui de façon admirable mettant son propre couple en danger. Sa patience infinie, sa détresse réelle, son amour filial illuminent ce film sobre sur cette maladie impitoyable. Il faut décrypter dans toutes les images le dérèglement de la vie quotidienne. Anthony veut conserver sa dignité d'indépendance, refuse l'aide des soignants, joue l'humour, la gaité alors que tout s'effondre en lui. Il réclame sa deuxième fille alors qu'elle est morte dans un accident de voiture. Sa fille prend en charge ce père déroutant au caractère fort et encombrant. Seule, l'écoute de la musique semble l'apaiser. Il ne comprend pas sa fille Anne qui lui annonce son départ pour Paris. Il semble perdu, désorienté et oublie les gestes les plus banals comme s'habiller le matin. Anne résiste longtemps, le plus longtemps possible pour le garder avec elle. Quand elle quitte Londres, Anthony devient le pensionnaire d'une maison de retraite spécialisée. La fin du film est particulièrement poignante quand il se blottit dans les bras d'une soignante en la confondant avec sa mère. Cette sombre réalité de la maladie d'Alzheimer percute de plein fouet les spectateurs, plutôt des spectatrices majoritaires dans la salle. Pourtant, ce film raconte aussi l'amour entre un père et sa fille, la générosité d'Anne, la sollicitude des soignants parfois maladroits, l'exaspération de son gendre, les détails précis de ses pertes de mémoire, de son effondrement psychique. Quand le cerveau normal abandonne sa cohérence intelligente, son adaptation au monde et aux choses, sa normalité cognitive, restons-nous toujours des hommes et des femmes dans leur belle humanité ? Cette question médicale est traitée de façon artistique et cinématographique et illustre en beauté le crépuscule qui attend un nombre important d'hommes et de femmes d'un certain âge. Ce que l'on se dit quand on sort de ce film terriblement humain : pourvu que l'on ne finisse pas comme Anthony ! Un film pur, émouvant, sobre, à ne pas manquer.