mercredi 17 juillet 2019

"Sonate de sortie"

A mon avis, une des plus beaux livres de ces dernières années, s'appelle "Le Lambeau" de Philippe Lançon. Je radote car j'ai déjà évoqué ce choc que je ne ressens pas toujours devant un livre. Je le relirai certainement tellement il m'avait fascinée. Ce témoignage bouleversant sur la reconstruction de l'écrivain après l'attentat de Charlie Hebdo aura certainement une seconde vie quand il paraîtra en livre de poche. De temps en temps, je feuillette à la Médiathèque, la Nouvelle Revue Française, fondée en 1908 et publiée par Gallimard. Cette revue se compose d'un éditorial, signé par Michel Crépu, de textes d'écrivains, d'un entretien, de critiques, de notes de lectures sans oublier quelques considérations sur l'art. Dans le numéro de novembre 2018, Philippe Lançon a composé une "sonate de sortie". Il raconte dans ce texte la mort de son père à 84 ans alors que son témoignage était en cours de création. Le narrateur accompagne cet homme jusqu'à la fin en lui faisant écouter du Bach et des appels de ses copains de la Marine. Il écrit : "La musique l'accompagne là où les autres ne vont plus. C'est en elle, peut-être, que s'unissent les vivants et les morts". Philippe Lançon sortait de trois ans d'hôpital quand la maladie a saisi son père. "Un passage de relais", selon l'auteur. Il s'est senti sauvé par "l'écriture qui seule m'a permis de rétablir la durée, la sensation d'exister autrement que par une série d'instants physiquement déterminés". Puis, l'auteur évoque la date symbolique du 14 juin 2015, une étape essentielle dans sa guérison. Deux policiers viennent le chercher à l'hôpital pour le conduire dans un appartement où une surprise, organisée par son ex-femme et des amis, l'attend. Devant lui, un piano noir et un homme se lève pour venir le saluer. Cet homme s'appelle Alexandre Tharaud, le grand virtuose. Cette rencontre lui permet de fouiller sa mémoire jusqu'à Berlin où un ami lui avait fait écouter Rameau au piano interprété par Alexandre Tharaud. Il joue devant lui tous les morceaux qu'il a écoutés dans sa chambre d'hôpital. Ce moment de pur bonheur suspend le temps de sa maladie. Le lendemain, le pianiste va rendre visite à Philippe Lançon et quand ils se retrouvent devant un piano désaccordé, Alexandre Tharaud interprète les Variations Golberg : "le vieux piano s'est réveillé, les douleurs ont disparu". Philippe Lançon offre un beau texte d'hommage à la musique à tous ses lecteurs(trices) qui ont "Le lambeau" gravé dans leur mémoire. J'avais l'impression de retrouver un ami dans ce salon où "la sonate de sortie" symbolise un retour à la vie, une vie physiquement bonne et diablement belle pour un survivant.