mardi 28 décembre 2021

Philosophie Magazine

 L'excellent Philosophie Magazine a sorti son dernier numéro de l'année en posant la question cruciale qui intéresse un vaste public : "A quoi voit-on qu'on a vieilli ?". Ce dossier central sur l'âge propose plusieurs articles sur le temps et ses effets, sur des stratégies philosophiques pour affronter la vieillesse et un entretien passionnant avec Pascal Quignard. Ce grand écrivain singulier a accepté de parler de sa propre vieillesse. Son œuvre entière, "un magnifique palais de la mémoire", est imprégné de Temps. Il convoque dans ses textes les Grecs et les Romains, les auteurs du Moyen Age, des souvenirs personnels archaïques, des contes et des rites, tout un matériau mémoriel qu'il sculpte avec ses mots : "Les êtres vivants sont truffés de morts, de fantômes affamés de vie, d'êtres plus anciens que nous-mêmes". Pascal Quignard compare le grand âge à l'adolescence, deux étapes essentielles qui transforment l'individu dans sa pulsion de vie. Pour lui, cette pulsion de vie est "invieillissable" et par-delà le temps, "la vague nous porte". Comment se manifeste son âge (il a 73 ans) ? Il constate quatre transformations : une force affaiblie, l'irruption de l'insomnie avec une abondance des rêves nocturnes, l'absence de jugement et l'amoindrissement de l'égo. La vieillesse se définit aussi par la connaissance du monde : '"Pour savoir le nom des fruits, des arbres et des fleurs, pour connaître la nuance des choses du monde, il faut avoir vu plusieurs neiges et plusieurs saisons". Cet entretien se termine par cette belle phrase : "Je crois que les gens heureux sont les mélancoliques. Ceux qui sont pleins de futur connaissent beaucoup de déboires". Pascal Quignard recommande un conseil capital : "Il y a de la jouissance à avoir vécu. Profiter de tous les instants du jour est très suffisant". Après les paroles de sagesse de cet écrivain français, le plus original et le plus profond que je connaisse, la revue toujours aussi éclectique contient les rubriques habituelles et reflète les questions sociétales comme la transsexualité. Ce numéro très réussi met à la portée de tous l'histoire de la philosophie en revisitant Nietzsche et son Zarathoustra. Un magazine précieux et intelligent. Pourvu qu'il vieillisse longtemps !  

lundi 27 décembre 2021

"Le Voyant d'Etampes"

 Dès que j'ai lu les premières lignes du roman d'Abel Quentin, "Le Voyant d'Etampes", j'ai eu le sentiment que j'allais passer quelques heures très agréables en sa compagnie. Lauréat du Prix Flore, ce jeune écrivain de 36 ans aurait mérité un prix littéraire bien plus médiatisé. Jean Roscoff, professeur d'Histoire à l'Université à Paris VIII, spécialiste du maccarthysme, vient de prendre sa retraite à 65 ans. Divorcé malgré lui, il traverse une crise et noie trop sa dépression dans l'alcool. Il lui faut un projet pour supporter la vacuité de son existence. Il décide d'écrire une biographie d'un poète ayant vécu à Etampes : "J'allais conjurer le sort, le mauvais œil qui me collait le train depuis près de trente ans. Le Voyant d'Etampes serait ma renaissance et le premier jour de ma nouvelle vie. J'allais recaver une dernière fois, me refaire sur un registre plus confidentiel, mais moins dangereux". Cet ex-militant de SOS racisme a commis un ouvrage dans les années 90 où il avait dénoncé l'exécution à la chaise électrique des époux Rosenberg aux Etats-Unis. Son ouvrage paraît clamant l'innocence du couple accusé d'espionnage en faveur des Russes. Peu après, les services américains ont prouvé leur culpabilité. Le livre de Jean Roscoff devenait ridicule et mensonger. Le professeur trop pétri d'un esprit de gauche plus que naïf se réfugie dans son métier d'universitaire routinier. Mais, comme il est de nouveau libéré de sa mission professorale, il se met à rêver d'une revanche intellectuelle. Il veut remettre à l'honneur un poète obscur, Robert Willow, un américain communiste, fuyant son pays. Il a traversé le Paris branché de Saint Germain des Prés au temps de Sartre et de Camus. Ce poète romantique, à contre-temps, s'est tué au volant de sa voiture dans son exil volontaire à Etampes. Il contacte un éditeur confidentiel pour publier les poèmes de l'américain et pour éditer sa biographie. Jean Roscoff se heurte très vite à un oubli involontaire dans sa biographie. Robert Willow était un poète "afro-américain" et ce fait, laissé de côté, l'embarque dans un tourbillon de critiques sur les réseaux sociaux : "J'avais posé un regard non racisant sur mon sujet, Robert Willow. Je l'avais déracisé. Je n'avais vu, je n'avais voulu voir que le poète frère, mon frère mélancolique. Je n'avais pas vu le Noir". Le choix de réhabiliter le poète seulement dans son talent littéraire tombe dans le piège de l'antiracisme. Cet emballement imprévisible va obliger notre personnage à la clandestinité. Son crime se résume en quelques mots : il s'est approprié d'un sujet qu'il n'aurait pas du traiter, lui un homme blanc ! Ce roman drôle et  enlevé pose la question actuelle de la culture woke, dominante dans les milieux universitaires et dans la presse. Lui, l'ancien militant antiraciste se voit accusé de racisme. C'est un comble ! Abel Quentin met habilement en scène le harcèlement médiatique, la toxicité des réseaux sociaux, la cancel culture, le fossé générationnel. Le professeur trouvera une issue à cette déferlante médiatique mais je ne dirai pas laquelle. Il faut lire ce roman hilarant, tonique et "mécontemporain" dirait Alain Finkielkraut. Sourire en ce moment tient de l'exploit et Abel Quentin a réussi ce coup de maître ! Un des meilleurs romans de l'année 2021. 

vendredi 24 décembre 2021

"Un hiver avec Schubert"

 Schubert (1797-1828, le plus grand compositeur de la musique romantique allemande, m'accompagne depuis de nombreuses années. J'ai même visité la maison de son enfance à Vienne et j'étais émue de voir ses objets familiers, ses instruments et ses partitions. Ce musicien mélancolique a composé un ensemble de lieder (poèmes en musique) d'une grande beauté, des symphonies et de la musique de chambre. Xavier Bellamy anime une émission sur Radio Classique et cet ouvrage, "Un hiver avec Schubert" rend un hommage vibrant au musicien viennois : "En savourant le livre "Un été avec Montaigne" d'Antoine Compagnon, je me suis dit sur le mode de la plaisanterie, à condition de passer l'hiver avec Schubert". Une quarantaine de textes courts raconte l'homme : son caractère, sa famille, ses amis, sa vie à Vienne, ses amours déçues, sa passion de la musique, sa mort prématurée. Un premier romantique tout en restant classique. Un esprit pur, le meilleur des amis, un homme timide, introverti et seul malgré son culte de l'amitié. Xavier Bellamy définit le musicien ainsi : "Car être musicien, c'est traverser le temps en vivant intensément chaque temps de la composition, principalement les temps faibles qui réclament plus d'imagination. (...) C'est approcher une idée de l'absolu qui échappe à la raison et se dérobe sans cesse". Evidemment, Schubert n'a rien d'un gai luron. Sa douleur de vivre se rapproche d'un mode d'être. Il écrit dans son journal : "La douleur aiguise la raison et renforce le sentiment". Du courage, il en prend sa part en menant une vie simple, sans fortune et même inconnu dans sa ville de Vienne. Il quitte le lycée impérial à seize ans pour composer, devient instituteur dans l'école de son père. A vingt ans, il vit sans protecteur, sans salaire, sans logement à lui. En fait, il vit chez ses amis, tous musiciens, poètes, peintres. Le critique musical évoque les œuvres musicales de Schubert avec une simplicité qui permet une compréhension immédiate. Pour lui, le lied est la "forme la plus naturelle de l'art de Schubert et les découvertes qu'il y fait vont se retrouver dans sa musique instrumentale". Dans un dernier chapitre, l'auteur relate une rencontre avec Pascal Quignard qui a répondu d'emblée que Schubert correspondait à la définition suivante : le musicien "incarnerait le mieux cette façon de s'interroger en solitaire, de méditer librement, dans un état semi-éveillé, tous les sens en alerte, en un éternel retour vers le pays de l'enfance où un mystère s'est perdu". J'ai assisté à un de mes plus beaux concerts à Naples où dans le théâtre de la ville, Schubert était à l'affiche. L'esprit musical schubertien me transporte dans un hors-temps nécessaire pour atteindre une zone de sérénité... Comme celle de Bach, sa musique ressemble toujours à une journée de soleil, un soleil voilé par des nuages, un soleil discret et timide comme lui, Franz Schubert, l'éternel jeune homme. 

mercredi 22 décembre 2021

Atelier Littérature, 4

 Après le thème de l'hiver en littérature et les coups de cœur, les lectrices ont choisi de partager leurs commentaires sur un sujet très délicat, "la fin de vie" à travers deux témoignages : celui de Noëlle Chatelet, "La dernière leçon" et celui d'Emmanuelle Bernheim, "Tout s'est bien passé". Le premier récit autobiographique, publié en 2004, a déclenché une vague émotionnelle dans le public car l'autrice évoquait sans fard la décision de sa mère de "mourir dans la dignité". Par ailleurs, cette femme de caractère, présidente de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, organise son propre suicide avec un courage tout romain. A 92 ans, cette ancienne sage-femme se sent fatiguée, déprimée et ne veut pas peser sur la vie de ses enfants (dont Lionel Jospin, notre ancien premier ministre). Déterminée et obstinée, elle effectue un geste militant en organisant son départ au bon moment quand "elle a toute sa tête". Quand elle annonce sa disparition programmée, Noëlle Chatelet, sa fille, conteste cette décision, essaie de la persuader de rester en vie. Mais, devant la fermeté sereine de sa mère, elle accepte cette décision. Ce sujet éminemment personnel et aussi universel est traité d'une façon intimiste et emporte l'adhésion des lecteurs et des lectrices. Peut-on aussi imaginer l'acte de cette femme comme de l'égoïsme ? Chacune peut éprouver des sentiments mêlés concernant ce témoignage délicat. Le second, "Tout s'est bien passé" d'Emmanuelle Bernheim, publié en 2013, aborde la question du suicide assisté en Suisse. Le père de la narratrice a subi un AVC massif et il est devenu dépendant physiquement. Cet homme, marchand d'art, ne supporte plus son état et décide d'en finir : "Papa m'a demandé de l'aider à en finir. Je me répète cette phrase, elle sonne bizarrement". Avec sa sœur, l'écrivaine va relater avec une précision de détails la dernière aventure de son père : ses contacts avec l'association, l'organisation de son départ, ses adieux avec sa famille et ses amis. Ce récit syncopé, tranchant évite le pathos, les larmes et les lamentations. La décision irrévocable de cet homme courageux et stoïque mérite toute l'admiration de ses filles. Il part seul en Suisse en taxi pour accomplir son geste ultime. Les deux récits se télescopent en traitant le thème du suicide, la dernière liberté de mourir dans la dignité. Ce sujet choisi a permis aussi aux lectrices de s'exprimer sur ces récits vécus. La vie réserve parfois des drames humains surtout dans son dernier parcours. Les mots possèdent une valeur curative et peuvent souvent nous aider à surmonter ces épreuves difficiles.  

lundi 20 décembre 2021

Atelier Littérature, 3

 Régine a présenté son coup de cœur, "Là où chantent les écrevisses", le premier roman de l'écrivaine américaine, Delia Owens. Dans les années 30, lors de la Grande Dépression, une famille défaite, pétrie de violence, se délite et finit par abandonner leur petite fille de dix ans, Kya. Elle parvient à survivre dans ces marais de la Caroline du Nord avec Tate qui lui vient en aide et l'initie à la lecture et à l'écriture. Quand il part à son tour, elle ne peut plus compter que sur elle. Régine a apprécié cette histoire d'une petite fille un peu sauvageonne, débrouillarde et libre dans une nature hostile mais aussi nourricière avec la pêche et la récolte des coquillages. Un beau roman à découvrir. Véronique a cité son coup de cœur, "Le tatoueur d'Auschwitz" d'Heather Morris. Cette histoire vraie d'un amour au cœur de l'enfer concentrationnaire raconte la rencontre entre Lale, un déporté qui est chargé de tatouer les siens. Un jour, il lève les yeux sur Gita, une jeune femme et cet enfer qu'il traverse sera un peu moins dantesque. Odile, notre nouvelle participante, a évoqué un livre qui l'a bouleversée. Il s'agit de "Lambeaux" de Charles Juliet. L'écrivain célèbre dans cette autobiographie ses deux mères : sa mère biologique, une paysanne déprimée et sa mère adoptive aimante. La première mourra dans une institution psychiatrique quand le garçon atteint l'âge de huit ans. La seconde élèvera Charles Juliet au sein d'une famille nombreuse. Entre une enfance solitaire et une adolescence orpheline, cet écrivain a toujours mené un combat courageux contre sa propre dépression pendant de longues années. Son très beau journal intime en plusieurs tomes relatent cette lutte incessante. Odile a apprécié "La carte postale" d'Anne Berest. Cette enquête sur le destin romanesque des Rabinovitch commence en Russie, puis en Lettonie en passant par la Palestine. Mais quand ils arrivent à Paris, la guerre éclate. L'écrivaine raconte avec empathie l'histoire de sa famille juive et ce roman historique s'apparente à celui des "Disparus" de Daniel Mendelssohn. Un des meilleurs romans de cette rentrée littéraire. Danièle a choisi "Sages femmes" de Marie Richeux. La narratrice s'attache aux "filles-mères" que la société a malmenées et mises à l'écart. Elle s'interroge sur les tisserandes et les couturières en admirant leurs humbles travaux, leur courage et leur abnégation. Cet hommage pudique à une longue et belle généalogie féminine ressemble à une allégorie sur son propre destin : tisser sa vie pour affirmer sa liberté. Belle découverte de Danièle à découvrir. Annette a évoqué un roman de Marion Muller-Colard, "Wanted Louise". Chris, écrivaine, mère et grand-mère, lance un avis de recherche qui concerne Louise, sa fille, ayant quitté son foyer sans explication. La grand-mère hérite de ses deux petits-fils et d'un gendre désemparé. Annette et Mylène apprécient beaucoup cette écrivaine drômoise. (La suite demain)

vendredi 17 décembre 2021

Atelier Littérature, 2

 Odile B. a présenté "Un hiver à Rome" d'une écrivaine italienne, Elisabeth Rasy. Dans ce roman paru au Seuil en 2014, Costanza traverse une crise à la cinquantaine. Vincenzo, son mari retraité, vit à la campagne : "sa vie à la campagne avait pris, à ses yeux, l'allure d'un crissement de craie sur une ardoise". Elle arpente les rues de Rome et déniche un mausolée de la sainte dont elle porte le nom. Cette rencontre due au hasard lui fait entrevoir la clef d'un mystère commun. Elle a travaillé avec un photographe allemand de grand talent, Bruno, qui lui a laissé un ordinateur à sa mort. Elle découvre un fichier de photographies de statues "en miettes", parabole peut-être de sa propre vie. Un courrier électronique d'un ami de Bruno va bouleverser sa vie. Un roman subtil, étrange, voire envoûtant. Véronique a lu "Un hiver arctique" d'Arnaldur Indridason, mais comme elle n'a pas apprécié ce roman policier, elle a proposé un autre roman islandais, "La dame de Reykjavik" de Ragnar Jonasson. Une inspectrice, à la veille de sa retraite, mène sa dernière enquête sur la mort d'une jeune russe, demandeuse d'asile. Ce roman policier semble avoir comblé les attentes de Véronique et l'hiver islandais est bien présent dans la littérature scandinave. Régine a beaucoup apprécié "Chronique d'hiver" de l'écrivain américain, Paul Auster. Il pose un regard du sexagénaire qu'il est devenu sur son corps en utilisant le tutoiement. Cet autoportrait sans complaisance revient sur la mort prématurée de son père, sur le destin chaotique de sa mère. Il analyse avec humour son rôle d'époux et de père. Grand amateur de base-ball, fumeur invétéré, héritier culturel de la lointaine Europe, Paul Auster évoque aussi ses maladies, ses défaillances et son corps devient sa propre maison alors qu'il avoue sa vingtaine de déménagements. Cette autobiographie singulière et originale est un des ouvrages les plus intimistes de l'auteur américain. Il a livré son paysage mental dans une suite intitulée, "Excursions dans la zone intérieure", publié en 2016. Evidemment, Régine a quand même avoué que cette lecture d'Auster n'améliorera pas le moral parfois fragilisé des lecteurs et des lectrices. Nous avons ensuite évoqué les coups de cœur. Mylène a pris la parole pour dévoiler le titre d'un roman qu'elle a beaucoup aimé. Il s'agit de "S'adapter" de Clara Dupont-Monod, prix Fémina 2021 et prix Goncourt des Lycéens. Les pierres de la cour témoignent. Dans cette famille, la naissance d'un enfant lourdement handicapé bouleverse la fratrie. L'aîné protège cet enfant, la cadette le rejette et le dernier tentera de réconcilier cette famille durement enracinée dans le chagrin. Un roman lumineux à offrir pendant ces Fêtes de Noël. (La suite, lundi)

jeudi 16 décembre 2021

Atelier Littérature, 1

 L'Atelier Littérature de décembre, le quatrième de la saison, a réuni une bonne dizaine de lectrices avant les Fêtes de Noël.  J'avais choisi des romans autour de l'hiver et cette journée un peu brouillardeuse et froide coïncidait avec le thème de notre rencontre. Geneviève a démarré avec un roman de Laura Kasischke, "Esprit d'hiver", paru en 2014. C'est le jour de Noël et le blizzard s'est levé. Holly, la mère de famille, attend des invités qui ne pourront pas venir. Elle se retrouve donc seule avec sa fille adolescente adoptive, Tatiana. Sa fille devient irascible, inquiétante, étrange et l'angoisse monte dans cette maison de famille. Holly s'interroge sur Tatiana, adoptée en Sibérie. Ce huis-clos glaçant entre une mère et sa fille a particulièrement inquiété Geneviève qui a bien aimé ce thriller psychologique un peu terrifiant, amplifié par l'ambiance du blizzard opaque. Annette a lu "Les Contes d'hiver" de Karen Blixen. Les onze contes qui composent le recueil ont charmé Annette qui a présenté les thèmes abordés par l'écrivaine danoise : la gratitude, la culpabilité, la générosité, le rêve, la poésie. On peut lire l'histoire d'un jeune mousse qui sauve un faucon, d'un écrivain malheureux qui fuit sa propre vie, de deux sœurs ruinées qui jouent aux riches héritières, d'une héroïne de la Grande Guerre. Le style quelque peu suranné n'a pas gêné notre lectrice motivée. Agnès a beaucoup aimé le roman de Jean-Philippe Blondel, "Un hiver à Paris", paru en 2016. Victor, professeur d'anglais, reçoit une lettre qui va raviver un souvenir enfoui. En septembre 1984, Victor monte à Paris pour intégrer sa deuxième année de Prépa. Il ne s'intègre pas et ne connaît pas les codes sociaux de l'école. Il se lie tout de même avec un autre garçon, étudiant de première année littéraire. Or, un jour, au lycée, en sortant d'un cours, Mathieu commet l'irréparable : il se jette dans le vide et meurt sur le coup. Ce drame va déclencher chez Victor un changement dans sa propre vie. Le père du garçon veut connaître l'ami de son fils. Comment interpréter le geste fatal de Mathieu ? Ce roman sensible aborde avec délicatesse la difficile question du suicide. Odile et Danièle ont lu "Un roi sans divertissement" de Jean Giono. Dans le Trièves, il se passe de drôles de choses. Au bout de trois meurtres inexpliqués, le commandant Langlois recherche cet assassin mystérieux. Odile a éprouvé une certaine difficulté pour rentrer dans cette fiction étrange, cette parabole sur l'ennui existentiel.  'Un roi sans divertissement est un roi plein de misère" a écrit Pascal. Giono illustre avec sa prose somptueuse une série romanesque très noire, centrée sur le mal et sur la misère humaine loin du soleil de sa Provence natale. Ce roman inaugure le cycle des chroniques dans les années 50 avec des formes narratives plus audacieuses. La présence de plusieurs narrateurs rend la lecture plus ardue. Mais, notre Giono mérite amplement tous les efforts du monde pour se plonger avec ravissement dans son univers singulier. (La suite, demain)

mercredi 15 décembre 2021

La lecture encouragée

Notre Président a décrété que la lecture serait une grande cause nationale. Le Centre National des Lettres (le CNL) est chargé d'effectuer cette grandiose mission. Les publics restent toujours les mêmes : les jeunes, les ruraux et les publics dits "empêchés", terme technocratique très en vogue dans le milieu des bibliothèques. En fin novembre, les initiatives ont fleuri et j'ai relevé quelques perles. Gustave Flaubert, né en 1821, va peut-être redevenir à la mode... Dans ce cadre du bicentenaire de sa naissance, des lycéens d'une classe de première d'un lycée professionnel vont lire le roman mythique de Flaubert, "Madame Bovary" en tweets... Je rêve ! Un comédien va quand même se saisir du texte flaubertien pour lire quelques passages. Plusieurs manifestations vont se dérouler d'ici le mois de juillet pour donner le goût de la lecture en démultipliant les rencontres avec des auteurs, en stimulant la lecture à voix haute très tendance avec la collaboration du sympathique et du dynamique François Busnel. Le public pourra vivre follement des nuits de la lecture dans les librairies et dans les bibliothèques. On verra des résidences d'écrivains dans le milieu scolaire, dans les entreprises, etc. Le journaliste du journal Le Monde reprend la formule lapidaire : il faut "désacraliser" les livres ! Quand je lis cet effet de style, je hoche la tête pour désapprouver cette formule éculée. Pour moi, je préfère "sacraliser" les livres. Pourquoi avoir peur de ce verbe si positif ? Les livres ne sont pas des objets vulgaires, anodins, insignifiants. Au contraire, ils ressemblent à des colonnes de marbre, des piliers d'église, de temple dans leur solidité, dans leur pérennité. J'oserai presque affirmer qu'ils participent à une forme de "religion" laïque, raisonnable, ouverte, tolérante, nuancée, intime. Une librairie, une bibliothèque, une maison d'édition composent un espace "sacré" où chacun peut aller en toute sérénité chercher un supplément d'âme. Le CNL ne manque pas d'idées car des auteurs seront rémunérés 2000 euros par mois à condition d'accorder 30% de leur temps aux publics "empêchés", ceux des "clubs de sport, des entreprises, des bailleurs sociaux" sans oublier les réfugiés, les pensionnaires des EHPAD, la population carcérale. Un chantier colossal. Le CNL aidera les bibliothèques rurales pour conforter la lecture dans ses zones désertées. Ces vœux pieux vont coûter quelques millions d'euros mais, pour une bonne cause, il ne faut pas déplorer ces nouvelles dépenses. J'ai appris dans cet article que le pass culture accordé aux jeunes a bénéficié aux mangas japonais. Tant mieux pour les droits d'auteur de ces dessinateurs. Depuis trente ans, la part des non-lecteurs s'accentue mais, grâce à ses généreuses initiatives, cette regrettable statistique diminuera certainement. Soyons optimistes en cette période de Noël où les livres auront une place privilégiée sous le sapin ! 

lundi 13 décembre 2021

"L'admirable tremblement du temps"

 Dans les années 70, Albert Skira, éditeur d'art, lance la collection "Les Sentiers de la création". J'ai conservé dans ma bibliothèque deux exemplaires de cet éditeur : "L'admirable tremblement du temps" de Gaétan Picon et "L'arrière-pays" d'Yves Bonnefoy. Il m'arrive de temps en temps de saisir un de mes livres d'art et celui-ci s'est présenté à moi pour une seconde lecture bien plus féconde que la première. J'ai trouvé enfin un des bénéfices de l'âge : relire des ouvrages consultés dans ma jeunesse et ressentir à travers les pages, une admiration retrouvée. Les livres d'art m'accompagnent depuis presque quarante ans quand j'ai commencé à les collectionner. Ces deux survivants de mes déménagements successifs méritent une seconde lecture bien plus féconde qu'à l'origine de mon achat. Gaétan Picon (1915-1976), bien oublié aujourd'hui, était écrivain et critique d'art. Ami d'André Malraux, il travaille à ses côtés pour organiser les premières Maisons de la Culture. Agrégé de philosophie, il a écrit des essais sur Ingres, Picasso, Dubuffet, l'impressionnisme et le surréalisme. L'ouvrage "Admirable tremblement du temps" a été réédité chez L'Atelier contemporain. Le titre évoque une citation de Chateaubriand dans la "Vie de Rancé" quand il commente un tableau de Poussin : "qu'il rappelle quelque chose de l'âge délaissé et de la main du vieillard" et il ajoute : "Quel admirable tremblement du temps". L'auteur développe dans cet essai magnifique le rôle de l'âge avancé dans la création artistique. Ces "fruits mûrs de la vieillesse" se nomment "Le déluge" de Poussin, des toiles de Rembrandt, du Titien, de Chardin, de Giacometti et de tant d'autres artistes qui ont tenu le pinceau jusqu'à leur dernier souffle. Dans les caves du Musée de l'Acropole, il découvre "l'érosion des statues de Madhia, qui ont longtemps séjourné au fond de la mer, ne les rend pas plus belles, mais plus émouvantes : elle rappelle l'œuvre de l'homme à l'usure de la roche, à la flétrissure de la chair. Admirablement tremblement du temps, de tout ce qui se désagrège et pullule, rompt l'ordre menteur de l'impérissable qui nous laisserait, si nous n'étions environnés que de ses signes, aussi seuls que le néant". Ce voyage intemporel à travers l'art traverse des contrées parfois ardues mais l'effort de lecture est largement récompensé. Il écrit : "Quelques uns des plus beaux tableaux viennent de la vieillesse des peintres et nous en aimons le tremblement. Nous aimons aussi la craquelure de la toile, l'érosion des pierres (...) L'art, pour nous, est chose passée. C'est l'haleine du temps qui témoigne de la vie d'une œuvre". Ce texte sur la peinture, érudit et profond, aborde la question du temps dans une dimension philosophique et plonge le lecteur(trice) dans une interrogation permanente. Un essai salutaire sur l'art et sur son rapport au temps, question essentielle. 

jeudi 9 décembre 2021

Rubrique Cinéma, "Las madres paralelas"

 J'ai vu au cinéma l'Astrée le dernier film de Pedro Almodovar, "Las madres paralelas", un film dans la tradition subversive et tonique de ce réalisateur espagnol qui, à 72 ans, n'a rien perdu de sa flamme cinématographique. Les premières images montrent une jeune femme de 40 ans, Janis, photographe de mode qui dresse le portrait d'Arturo. Cet anthropologue, responsable d'une fondation qui participe aux fouilles de fosses communes de la Guerre en Espagne, intéresse particulièrement la jeune femme. Son arrière-grand-père a été assassiné par les franquistes et elle sait où se trouvent les traces de la fosse commune. Ils deviennent amants et Janis attend un bébé que son compagnon ne peut assumer car sa femme est malade. Janis se retrouve dans la maternité en même temps qu'une jeune fille de 17 ans, Ana, effrayée et traumatisée, qui donne naissance à Anita. Les deux femmes se sentent solidaires sans aucun homme à l'horizon. Leurs deux petites filles sont placées en observation. Quand elles quittent la maternité, elles échangent leur numéro de téléphone sans savoir qu'elles vont se retrouver dans quelques mois. Janis, influencée par Arturo qui a des doutes sur sa paternité, remarque la différence physique avec son bébé et elle effectue un test génétique qui lui révèle qu'elle n'est pas la mère biologique de Cecilia. Janis, abasourdie, garde le secret pour elle. Ana revient dans la vie de Janis quand elles se rencontrent dans le bar du quartier et Janis apprend la mort subite du bébé d'Ana. Le film prend une tournure plus intense quand Ana travaille pour Janis et s'installe chez elle pour s'occuper de Cecilia. Elles forment alors un duo amoureux et Janis, prise de remords, avoue à sa jeune amante que sa fille est la sienne après un test génétique. Ana quitte le foyer en emportant sa petite fille chez sa mère. Revient en scène Arturo qui a enfin obtenu l'autorisation d'entamer les fouilles de la fosse commune. Janis l'accompagne et le présente aux villageois pour recueillir des détails sur les disparus. Pedro Almodovar n'avait jamais évoqué dans ses films les débats passionnés sur les charniers de la guerre civile qui divisent les Espagnols en deux camps, le camp de l'oubli et le camp de la mémoire. Le destin de Janis est lié à cette question historique délicate et clivante. La petite Cecilia assiste à la cérémonie finale où les squelettes sont exhumés comme un geste symbolique adressé à la jeunesse du pays : n'oubliez jamais la tragédie de la guerre civile. Janis se réconcilie avec Ana et attend un enfant d'Arturo. La famille se recompose sans drame, sans rancœur et cette fin heureuse ressemble à un conte de Noël hispanique, dernier clin d'œil d'un réalisateur apaisé. Ce film ? Un hymne à la vie entre drame et espoir. Et Almodovar raconte l'Espagne avec passion et aussi avec lucidité.  

mardi 7 décembre 2021

"Notre solitude"

 Yannick Haenel, écrivain et chroniqueur au journal satirique, "Charlie Hebdo" a couvert le procès des attentats terroristes de janvier 2015 durant deux mois et demi. Dans ce journal de bord, "Notre solitude", l'écrivain raconte son expérience : "J'ai en effet assisté au procès des attentats de janvier 2015, qui s'est tenu de septembre à décembre 2020. Cet événement a bouleversé mes façons de sentir et de penser car j'y ai vu, chaque jour, les ténèbres et la lumière s'affronter concrètement à travers les paroles échangées à l'audience". Il a tenu une chronique quotidienne sur le procès, disponible sur le site internet du journal. Ce journal intime relate ses nuits d'insomnie et d'écriture, son engagement solidaire avec Charlie hebdo, son amitié avec Riss, Coco, Sigolène Vinson et Simon Fieschi. Son témoignage exceptionnel, émouvant, puissant, rappelle sans cesse ce devoir essentiel : "Je m'étais fait le serment de ne jamais oublier les morts". Plus loin, il explicite le rôle de la justice : "A travers la répétition des témoignages, on entendait battre leurs cœurs et on retrouvait leur voix". Yannick Haenel analyse ce  rapport avec les disparus comme une mission sacrée : "Ecouter les morts, cette éthique du silence s'appelle littérature". Ecrire une chronique quotidienne le remplit d'une angoisse particulière. Il craint la panne d'inspiration tellement cet exercice impose une ascèse difficile à vivre et un sacrifice familial. Il fallait tenir ce rythme d'écriture pendant deux mois et demi, le temps des audiences.  Sa mission d'écrivain, il la conçoit de cette façon : "Les écrivains sont des créatures étranges qui ont l'absolu pour ambition, qui se rendent malade pour une virgule mal placée et n'écrivent en réalité pour personne, sinon pour la littérature elle-même, en laquelle ils voient une déesse aussi ardente qu'inaccessible". Il évoque souvent Riss, son compagnon de devoir qui a écrit un magnifique témoignage inoubliable sur l'attentat terroriste de Charlie Hebdo, intitulé "Une minute quarante neuf secondes". Cet homme "côtoie le néant des choses et supporte patiemment la connerie des hommes : la présence de la mort dans votre vie vous sépare de toutes les vanités". Il décrit les dix terroristes, ces accusés qui représentent la quintessence du mal selon lui. Malgré les passages terribles sur ces sinistres individus, tous imbibés d'une idéologie islamiste totalitaire apocalyptique, l'auteur met à l'honneur les survivants de ce cauchemar français, en particulier les journalistes de Charlie Hebdo qui ont vécu cet atroce attentat. Ce texte ne peut se résumer d'une façon exhaustive tellement il possède une intensité constante. Yannick Haenel prouve par son livre que les mots demeurent indispensables pour décrire l'horreur de la mort mais aussi la force de vie chez les survivants : "J'insiste, c'est important, il y a toujours quelqu'un qui témoigne pour le témoin. Cela s'appelle la littérature". Un beau récit, lumineux et sombre à la fois, un témoignage indispensable pour ne jamais oublier cette semaine de janvier 2015 où le temps s'est arrêté pour ces journalistes de Charlie Hebdo. "Notre solitude", un titre symbolique sur la communauté des témoins, des vivants qui, grâce à ce procès, "ont donné aux disparus une dernière fois, la place qu'on leur a prise". Une méditation profonde sur cet événement impensable. 

lundi 6 décembre 2021

"La plus secrète mémoire des hommes"

 Le verdict est tombé le 3 novembre : le Prix Goncourt a été attribué à Mohamed Mbougar Sarr pour "La plus secrète mémoire des hommes", publié chez Philippe Rey. Ce jeune écrivain sénégalais francophone de 31 ans a déjà écrit trois romans et pour ce quatrième, la critique l'avait donné gagnant pour le Goncourt alors que le Médicis lui convenait davantage. Ce roman polyphonique où plusieurs voix s'entremêlent raconte le destin d'un "Rimbaud nègre", auteur fulgurant d'un ouvrage mythique et introuvable en librairie, "Le labyrinthe de l'inhumain", paru en 1938. Ce portrait d'un poète maudit s'inspire d'un écrivain africain, "l'affaire Ouologuem", ayant obtenu le Prix Renaudot dans les années 70. Le narrateur, un jeune écrivain, Diégane Latyr Faye, se saisit de cette quête quasi mystique pour découvrir cet écrivain accusé injustement de plagiat. T. C. Elimane aurait utilisé sans le préciser une légende africaine. Le jeune narrateur s'engage dans cette enquête en employant la méthode des témoins, tous ceux et toutes celles qui ont rencontré l'auteur mystère. Se détache dans cette fresque romanesque, la figure emblématique de Siga, la sulfureuse autrice, espoir de la littérature africaine francophone. L'histoire commence donc dans le Paris littéraire des années 2010, côté afro, où se pose la question de la littérature et de sa mission. Le texte devient presque vertigineux à lire car le narrateur passe du présent à Paris aux années 30 au Sénégal, de la Deuxième Guerre Mondiale aux dictatures sudaméricaines. Il traverse les continents : de Paris à Dakar, d'Amsterdam à Buenos Aires. Le portrait tout en mosaïque d'Elimane reste inaccessible, flou, équivoque. Plus le texte avance, plus la quête de l'écrivain maudit s'opacifie. Il faut aussi tenir la corde dans les différents registres littéraires que le narrateur emploie :  journal intime, monologues, coupures de presse, entretiens, lettres, extraits d'ouvrages. L'auteur évoque des écrivains fétiches comme Ernest Sabato et Gombrowicz, amis d'Elimane. Ce roman-monde brasse des personnages singuliers, des faits historiques comme la colonisation, la vie politique au Sénégal, le rôle des ancêtres. Cette enquête littéraire sur un écrivain africain se termine par une découverte sur la fin de sa vie. Tous les accusateurs se sont suicidés ou morts brutalement. Et Elimane a enfin rejoint sa terre natale pour mourir en paix. Mohamed Mbougar Sarr rend un hommage intense et immense à la littérature et aux livres en intégrant de nombreuses citations.  Il écrit : "Aucune blessure n'est unique. Rien d'humain n'est unique. Tout devient affreusement commun dans le temps. Voilà l'impasse : mais c'est dans cette impasse que la littérature a une chance de naître". Un roman exigeant, déroutant, complexe. A découvrir. 

vendredi 3 décembre 2021

"Comme un ciel en nous"

 Dans la collection "Ma nuit au musée" de la maison Stock, Jakuta Alikavazovic a choisi "le Louvre" qu'elle raconte dans "Comme un ciel en nous". Cet essai autobiographique a reçu récemment le Prix Médicis essai. L'éditeur lui donne toute la liberté et une nuit pour vivre cette expérience unique : "Je suis venue ici, cette nuit, pour redevenir la fille de mon père". Installée dans la section des Antiques, proche de la salle des Cariatides, la narratrice se souvient surtout de son père. Il l'emmenait au Louvre par amour de la France, car il venait d'un pays disloqué, la Yougoslavie. Il disait à sa fille : "Le Louvre est la première ville française où je me suis senti chez moi". Cet homme de vingt ans se refugiait  souvent dans ce musée extraordinaire pour lire, pour se former, pour connaître l'art. L'écrivaine se demande quel héritage elle a reçu de lui : "L'histoire de l'art, c'est ce qu'il m'a transmis à la place de son histoire à lui, savamment effacée et redessinée au gré du temps". Une question revient souvent dans le texte : "Et toi, comment t'y prendrais-tu, pour voler la Joconde ?". Elle soupçonne donc son père d'avoir été mêlé à une histoire de vol, un secret de famille bien conservé. Elle relate aussi son séjour nocturne dans les salles où elle danse parfois, glisse sur le parquet entre les sculptures muettes. Sans cesse, elle passe de son présent dans ce musée hanté par la beauté et le retour à son père, à cette relation fondatrice et fondamentale. Elle s'interroge aussi sur son rapport à son pays, à sa généalogie hybride, à son rejet d'une identité figée. Elle évoque des anecdotes sur le vol de la Joconde en 1910, sur la Vénus de Milo, sur la place de l'art dans la société. Cet essai autobiographique sur son père et sur sa vocation d'écrivain se lit avec beaucoup d'intérêt. Son écriture vivante et dynamique s'imprègne d'émotion quand elle pense à ce père mystérieux et bienveillant dont l'assimilation dans son pays adoptif est passée par le Louvre et le monde de l'art. Un parcours exemplaire pour cette petite fille à qui une maîtresse avait déclaré qu'elle n'apprendrait jamais le français ! Jakuta Alikavazovic signe dans cet ouvrage un bel hommage à la langue française. 

jeudi 2 décembre 2021

Rubrique cinéma : "Tre Piani"

 Avec ce temps morose, rien ne vaut une séance de cinéma pour oublier ce début d'hiver frisquet et humide. J'ai donc vu le film choral de Nanni Moretti, "Tre piani" à l'Astrée. Le réalisateur italien a précisé son projet avec cette déclaration : "Chaque geste que nous accomplissons, y compris dans l'intimité de nos maisons, a des conséquences qui se répercutent sur les générations futures. Chacun de nous doit en être conscient et responsable : nos actions sont ce que nous laissons en héritage à ceux qui viennent après nous". Le réalisateur met en scène trois familles qui habitent les trois niveaux d'un même immeuble. Le couple, Lucio et Sara, habite au rez-de-chaussée et confie souvent leur petite fille de sept ans à leurs voisins âgés de palier, Giovanna et Renato. Un soir, Renato part se promener avec Francesca mais il ne retrouve pas le chemin de retour à cause de ses problèmes de mémoire. Quand Lucio se met à leur recherche dans un parc voisin, il récupère sa fille tout en soupçonnant le vieil homme d'attouchement sexuel. Cette suspicion tourne à l'obsession. Il se laisse séduire par la petite fille de Renato amoureuse de lui depuis longtemps malgré leur différence d'âge. Au premier étage, vit Monica, enceinte qui accouche toute seule car son mari travaille à l'étranger sur une plateforme pétrolière. Elle assume mal son bébé et comme sa mère souffre de troubles mentaux, elle craint d'avoir hérité de ce handicap. Au deuxième étage, Dora et Vittorio, juges de métier, se débattent douloureusement avec leur fils unique, Andréa. Une nuit, le jeune homme ivre tue une femme devant l'immeuble et disloque l'appartement du rez-de-chaussée. Andrea demande à ses parents de le sauver en intervenant sur le jugement du tribunal. Mais, ils ne cèdent pas et le jeune homme sera condamné à cinq ans de prison. Son comportement brutal et violent entraîne la rupture familiale. Le père demande à sa femme de choisir entre lui et son fils. Les drames s'entrelacent pour montrer les personnages rongés par la culpabilité, la mauvaise conscience, l'angoisse, mais aussi, la difficulté d'être parents. Ce film mélancolique est adapté d'un roman, "Trois étages" de l'écrivain israélien, Eshkol Nevo, paru en 2018. Nanni Moretti conte à sa façon intimiste l'histoire de ces trois familles dysfonctionnelles, surtout du côté des pères (le jeune père obsédé, le mari absent, le juge rigide) mais aussi, des mères (l'épouse débordée, la jeune mère délaissée, la juge complaisante). Le cinéaste a un peu oublié son humour légendaire et ce film appartient davantage à l'univers bergmanien qu'à la comédie italienne. Pour ma part, j'avais lu le roman et j'ai retrouvé cette atmosphère mélancolique et lucide de l'écrivain israélien. La critique, en particulier dans le journal Le Monde, a accueilli froidement ce long métrage en critiquant l'accumulation de drames. Evidemment, ce film n'exalte pas la joie de vivre, ni le bonheur. Est-ce normal pour un italien ou une italienne d'être parfois malheureux dans sa vie ? Oui, nous chuchote Nanni Moretti... Un beau film à découvrir. 

mercredi 1 décembre 2021

Escapade parisienne, 5

 Mercredi après-midi, j'ai découvert le nouveau musée parisien consacré à l'art contemporain, la Bourse du Commerce de la Fondation Pinault. Ce lieu culturel d'exception a été restauré et transformé par l'architecte japonais, Tadao Ando de 2017 à 2020. Ce bâtiment était une halle aux blés de 1763 à 1873,  puis s'est transformé en Bourse de Commerce en 1889. Le plan circulaire de trente mètres de diamètre et de neuf mètres de haut saisit le regard dès que l'on pénètre à l'intérieur. Une fresque monumentale se déroule dans la coupole, symbolisant les cinq parties du monde. Après avoir vu l'exposition Botticelli, mon regard habitué au "Beau" classique s'est trouvé dans l'obligation de se réajuster, de s'adapter à l'art contemporain. Dans ce grand espace trônent des sculptures d'Urs Fischer. : une réplique grandeur nature d'un célèbre groupe sculpté de la période maniériste, "L'élèvement des Sabines", des chaises diverses, un mannequin : ces œuvres ne sont pas en bronze, ni en plâtre, ni en marbre mais en cire. Elles possèdent en leur sein une bougie allumée au début de l'exposition et se consume jusqu'à leur terme, symbolisant la fin d'un cycle. Ces objets éphémères ultra réalistes frappent l'imagination et j'avais envie de comprendre la démarche artistique de cet artiste suisse. Les galeries proposent d'autres artistes contemporains que je ne citerai pas tellement aucun ne m'a vraiment "interpellée". J'avoue que cet art d'aujourd'hui me laisse perplexe à part cette installation éphémère crépusculaire. Je fais quand même des efforts pour découvrir les tendances de cet art si hermétique à mes yeux. En revenant vers mon hôtel, je suis montée dans la Grande Roue des Tuileries pour voir les toits de Paris, la Tour Eiffel, les Champs-Elysées, Le Louvre, le Jardin des Tuileries, un panorama fantastique. Pour terminer mon séjour, j'ai vu une pièce de Tchekhov, "La Cerisaie", à La Comédie française. Je n'ai pas vu passer les deux heures tellement l'univers de Tchekhov me "parle" : la fin d'un monde, la perte, la nostalgie, le passé révolu. J'ai donc terminé mon séjour dans cette ambiance théâtrale de haut vol. J'ai engrangé de beaux souvenirs culturels à Paris qui vont me réchauffer l'esprit dans cette période hivernale. Concert, théâtre, expositions, restaurants, jardins et parcs, librairies, rien ne vaut notre capitale pour fêter un Noël anticipé avec toutes les illuminations déjà installées dans la cité !