mercredi 29 juillet 2015

Chez le bouquiniste

J'aime me balader dans les bibliothèques, les librairies et les bouquineries... Comme j'ai été libraire et bouquiniste dans les années 70 à Bayonne, j'ai l'impression de revenir aux sources de mon métier comme un bain de jouvence. Ce matin, j'ai fait ma visite annuelle chez un bouquiniste d'Aix-les -Bains, pour farfouiller parmi les piles de papier, quelques pépites d'or. Car lire, c'est aussi chercher comme un archéologue fouille la terre pour découvrir des objets anciens, (des archéologues bénévoles ont trouvé hier une dent humaine de 560 000 années !). J'ai donc parcouru les tables en déplaçant les ouvrages empilés dans un désordre qu'un bibliothécaire désapprouverait, évidemment. Sur les étagères, des doubles rangées m'obligeaient à pencher les livres pour lire les titres. Des milliers de poches, toutes collections confondues, occupaient trois pans de mur. On trouve aussi un espace pour la jeunesse, l'art, les voyages. Il faut sans arrêt soulever les beaux livres couchés les uns sur les autres. Dans un magasin d'ouvrages neufs soldés, d'exemplaires défraîchis, cartonnés, les vrais livres anciens du XVII au XIX siècle ne cohabitent pas avec ce stock hétéroclite, disparate et désordonné. Mais tous les livres méritent que l'on s'intéresse à eux. J'ai entendu une grand-mère dire à sa petite fille de 9 ans, "je veux que tu découvres Jules Verne...". J'assiste à cette transmission "culturelle", en me sentant rassurée de voir que le papier n'était pas encore délaissé au profit de la palpitante tablette ! Après une heure de fouilles ciblées vers l'art et les poches, je suis repartie avec un très bel ouvrage sur les Etrusques, un poche de David Grossman, "Femme fuyant l'annonce", le "dictionnaire amoureux de la mythologie" de Jean Lacarrière, un essai de Pierre Bergounioux, "Exister deux fois" et un deuxième livre d'art très rare sur Euphronios, peintre à Athènes au VIe siècle av J.-C. Une récolte intéressante pour une somme de 50 euros... Mon flair d'ancienne libraire m'a inspirée pour enrichir ma bibliothèque...

mardi 28 juillet 2015

Rubrique cinéma

Peu de films m'attirent en ce moment, peut-être que la canicule des jours passés me cantonnait au frais chez moi, bien que la climatisation des salles de cinéma donne un vrai confort pour les spectateurs. Je me suis tout de même déplacée pour "While We're Young" de Noah Baumbach. L'histoire se passe à New York, de nos jours. Les deux personnages principaux, Josh et Cornelia forment un couple uni malgré l'absence d'un enfant qu'ils auraient voulu avoir. Ils ont des amis qui vivent selon le mode "famille" et les encouragent à faire de même... Josh n'arrive pas à terminer un film documentaire qu'il traîne depuis des années. Son beau père est un cinéaste célèbre et par discrétion, Josh ne lui demande pas d'aide. Josh rencontre un jeune couple, Jamie et Darby, dans un de ses cours et le jeune homme confie son admiration pour ses films précédents. Flatté par ces compliments, Josh les invite au restaurant et, évidemment paie l'addition. Les deux couples sortent ensemble, font des fêtes, des séances de relaxation, etc. Le jeunisme stupide sévit dans leur amitié et ce renouveau régénérateur bouscule le couple d'âge mûr. Le cinéaste montre le ridicule de la situation dans les scènes drôles et comiques comme l'utilisation du vélo, le port du chapeau, les boîtes de nuit, la décontraction feinte. En fait, le jeune homme n'est qu'un ambitieux cynique qui veut s'introduire dans le milieu du cinéma. L'imposture de ce créateur bidon va pourtant porter ses fruits car il va réussir et devient people. Josh et sa femme comprennent enfin qu'il faut assumer l'âge que l'on atteint sans singer l'éternelle jeunesse... Cette comédie sociale et familiale aux accents "woody-allenien" se regarde avec plaisir et provoque une réflexion "philosophique' sur les âges de la vie.

vendredi 24 juillet 2015

"Le Voyant"

Jérôme Garcin, gentleman-écrivain, s'est spécialisé dans les biographies de héros valeureux et peu connus du grand public. En 1994, il avait obtenu le Prix Médicis pour son essai sur Jean Prévost, un écrivain lyonnais, grand Résistant et homme modèle. Dans un article de la revue Lire de février 2015, le polyvalent biographe, critique littéraire, journaliste de l'Obs révèle sa passion de la littérature et du cheval ! Il passe toutes ces fins de semaine en Normandie où il s'adonne à l'équitation et à l'écriture. Il confie sa fascination pour les "destins brisés" comme le fut celui de son père, mort jeune d'un accident de cheval. Il a choisi d'évoquer la vie de Jacques Lusseyran, né en 1924. Enfant, il est tombé après une bousculade dans sa classe et il a perdu la vue à l'âge de huit ans. Cet accident stupide l'handicapera toute sa vie mais la cécité ne l'empêchera pas d'avoir une destin hors du commun. Etudiant doué, il intègre les lycées parisiens prestigieux. Il s'engage en 1941 dans la Résistance en fondant le mouvement des Volontaires de la Liberté. Après une dénonciation d'un de ses camarades, il est emprisonné à Fresnes  et il est déporté en 1944 au camp de Buchenwald. Libéré par les Américains, il revient à Paris et devient professeur de philosophie en Grèce et aux Etats-Unis. Il se marie trois fois, a trois enfants. Mais sa carrière littéraire n'aboutit pas malgré des tentatives continues. Le seul récit qui le fera connaître, "Et la lumière fut", est publié chez Gallimard. Son destin se brise lors d'un accident de voiture en 1971 à l'âge de 47 ans. Jérôme Garcin avec sa sobriété élégante ne cache pas les errances de son héros quand celui-ci fréquente un gourou guérisseur pour soigner un état dépressif chronique. Jérôme Garcin aime l'héroïsme, le courage, l'abnégation et Jacques Lusseyran symbolisait ces vertus un peu démodées aujourd'hui. Je reprends ses mots : "Cela me passionnait aussi de raconter tout un pan de l'Histoire à travers les sensations d'un aveugle."  Cet ouvrage documentaire sur un écrivain français méconnu mérite le détour...

jeudi 23 juillet 2015

"Vaterland"

Je n'avais jamais lu Anne Weber et j'ai découvert avec "Vaterland", une approche sensible d'une filiation lourde à porter. Ce récit autobiographique, sorti en mars 2015 au Seuil, est un voyage dans le passé troublant d'une famille allemande. Anne Weber possède la double identité française et allemande. Elle écrit dans les deux langues. En souhaitant évoquer son arrière-grand-père, "Sanderling", le philosophe Florens Christian Rang, ami de Walter Benjamin, l'auteur mène une enquête sérieuse et approfondie sur la vie de cet aïeul lointain, mais si proche pour elle. Cet intellectuel allemand a vécu dans la Prusse d'avant la guerre de 14-18, fut pasteur dans un village près de Poznan. Son arrière-petite-fille le décrit avec une empathie totale, soulignant sa personnalité tourmentée et passionnée. Il est mort en 1924. Il avait perdu un de ses fils pendant la guerre et son deuxième fils, le grand-père de la narratrice, devient l'ancêtre "honteux". Ce grand-père s'est engagé dans les S.A. nazis, occupait des postes administratifs dans les bibliothèques, n'a jamais renié son passé calamiteux. Ce secret familial mine évidemment Anne Weber et elle ne cesse de s'interroger sur cet encombrant héritage : être allemand, naître allemand, cela peut-il se vivre sans penser à cette période horrible du nazisme ? Son enquête concernant l'élimination de milliers d'handicapés mentaux et physiques dans un hôpital psychiatrique en Pologne rappelle la phrase prémonitoire énoncée par cet arrière-grand-père, pourtant un homme de culture, quand il se demandait pour quelles raisons on n'éliminait pas les malades... Ces ancêtres obsèdent Anne Weber et elle finit par accepter cette filiation en s'avouant que ces hommes forment une énigme qui ne sera jamais résolue. Elle écrit : "Les vivants sont-ils donc à tout jamais un miroir des morts ? Se séparent-ils, comme leurs ancêtres, en deux moitiés : ceux qui ont manigancé et commis le crime, ou qui l'ont laissé faire, et les autres qui l'ont subi ? Est-ce mon héritage, ma malédiction éternelle ?"  Ce récit d'une sincérité poignante révèle le sentiment de culpabilité que peuvent éprouver les héritiers involontaires d'une Histoire qu'ils n'ont pas vécue. 

mardi 21 juillet 2015

"L'enfant des limbes"

J'avais acquis l'an passé une dizaine de Folios de J.-B. Pontalis, surtout les œuvres antérieures à ses derniers ouvrages qui m'ont fait beaucoup apprécié cet écrivain-psychanalyste, disparu en 2013. Gallimard propose une anthologie de ses écrits littéraires dans l'excellente collection Quarto, "une cousine germaine de la Pléiade" dans un grand format plus lisible et sans reliure en cuir. Dans cette collection, on trouve Annie Ernaux, René Char, Semprun, Proust et tous les textes essentiels de la littérature mondiale. Dans l'article du Magazine littéraire de cet été, deux belles pages écrites par l'écrivain Sylvie Germain résument le projet de regrouper les récits de Pontalis dans le Quarto. Je cite cet extrait : "L'art du va-et-vient, des bifurcations, des croisements et des glissements; de la variation et des discrètes métamorphoses est au cœur de la vie, de la pensée, de l'œuvre de Pontalis. (...) Cette traversée désorientée, (...) Pontalis l'a effectuée pendant des décennies, d'un pas de glaneur de traces, de cueilleurs d'échos, de flâneur à l'attention à la fois flottante et en affût patient d'instants fugaces." Sylvie Germain est manifestement une styliste hors pair et elle rappelle le rôle de Pontalis dans la création de la collection "L'un et l'autre" chez Gallimard. J'ai donc une admiration totale pour cette œuvre originale, mêlant le réel et le rêve, les digressions subtiles, les portraits des patients qu'il psychanalyse, les écrivains qui le nourrissent. "L'enfant des limbes" date de 1998 et en le lisant, je n'ai pas ressenti ce décalage temporel. Dans une liste où il révèle ses goûts et des dégoûts à la façon d'un Georges Perec, j'ai souri car ses remarques me concernaient aussi. On sent qu'il aime les livres quand il écrit : "Il faisait preuve d'une grande curiosité pour les livres, n'en ouvrait jamais un sans espérer y trouver quelque révélation." Il évoque le thème des limbes en brodant sans cesse sur ses recherches en bibliothèque, dans la Bible, dans la littérature. Ce fil conducteur comme le fil d'Ariane nous emmène dans un labyrinthe de références, de notations, de fragments, de citations pour illustrer la notion de "limbes", une zone d'ombre en soi, une réserve de rêves nocturnes, un espace de liberté enfin conquis sur les certitudes en granit... Lire Pontalis, c'est rencontrer un ami délicieux et irremplaçable. J'ai d'autres Folios à découvrir de cet écrivain nonchalant et tellement séduisant. Je conserve ces titres pour de futurs bonheurs de lecture...

lundi 20 juillet 2015

Le cross booking


Je n'apprécie pas beaucoup l'anglicisation de la langue française. Je suis très "vieux jeu" à cet égard. Je sais bien que l'anglais remplace le latin du Moyen Age, qu'il permet la communication entre un Chinois et un Russe, un Iranien et un Espagnol, etc. Depuis quelque temps, la médiathèque de Chambéry propose un petit espace de "cross booking" au rez de chaussée près des banques de prêts. Ce petit meuble noir contient les dons de livres des particuliers. Une bibliothécaire les réceptionne, les sélectionne et les met en place dans cette toute petite bibliothèque en double face. Quand je pénètre dans le hall d'entrée et avant de monter dans le secteur adultes, je vais tout de suite vérifier si certains titres m'intéressent. J'ai trouvé une seule fois  depuis que ce dispositif est proposé, les souvenirs de Stefan Zweig, "Le monde d'hier" dans une édition récente et neuve... Quel est le lecteur ou la lectrice qui avait déposé ce chef d'œuvre ? J'aimerais bien lui envoyer des remerciements sincères pour ce don intelligent. Le "Cross booking" peut se traduire par le livre voyageur, le livre en balade, le livre buissonnier, le livre en campagne, le livre en cavale, etc. Je regrette de n'avoir trouvé aucune explication sur le site internet de la médiathèque. Je félicite toutefois notre institution communale d'offrir une telle opportunité aux lecteurs des bibliothèques même si, le plus souvent, traînent sur les étagères, les ouvrages qui encombrent l'espace intime de leurs propriétaires. Et dans ces lots, j'ai repéré de nombreux livres de poche, des romans policiers, des best-sellers oubliés, des écrivains délaissés (comme Gilbert Cesbron, par exemple), des livres jeunesse, des livres de cuisine, des classiques. Chacun peut donc faire son marché selon ses goûts et dans une totale gratuité.  Ce concept d'échange commence à s'installer dans certaines régions comme dans deux villages du Puy-de-Dôme où deux jeunes femmes ont déposé devant leur maison une boîte remplie de livres. Les livres sont prêts au départ pour une aventure digne d'Ulysse... On les croit sages et immobiles, nos livres mais ils veulent bouger comme tout un chacun, ils aiment voyager, changer de lieu, de propriétaire, en trouver des meilleurs... Le livre voyageur, le cross booking a de l'avenir, j'en suis persuadée !

vendredi 17 juillet 2015

"Lucy"

Je lis toutes les semaines les pages consacrées aux livres du journal Le Monde. Ce rendez-vous hebdomadaire dure depuis de nombreuses années. Je voue une fidélité sans faille à ce supplément littéraire qui m'a permis d'explorer la planète littérature sans oublier les sciences humaines. Je conserve pendant l'année la quarantaine de numéros que je feuillette régulièrement à la recherche d'une critique. J'ai donc lu sur les conseils de la journaliste Florence Noiville le roman de Cristina Comencini, "Lucy", une histoire-miroir attachante, publiée chez Grasset en janvier 2015. Le personnage principal, Sara, paléo-anthropologue, spécialiste de la vallée du Rift en Afrique, traque les traces de la première femme, notre ancêtre la plus âgée (3 millions d'années !), et que les scientifiques ont baptisé Lucy. Sara écrit une lettre d'adieu à sa famille, une famille éclatée : un mari avec lequel elle a divorcé, un fils célibataire, éloigné au Canada, une fille en couple sans enfant. Le mari, Franco, s'est remarié et est redevenu père sur le tard. La mère a tout sacrifié à sa carrière de paléontologue. Elle est partie en Afrique au détriment de ses enfants. Matilde, sa fille, tient à garder un contact permanent téléphonique avec cette mère fuyante. Alex, le fils instable, a perdu le sommeil et ne vit que de liaisons intermittentes. Franco se sent coupable d'avoir trahi sa femme qu'il aimait passionnément mais, avec laquelle, il ne s'entendait plus,  la vie commune devenant difficile et impossible par ses absences africaines. Sara représente la quintessence de la femme moderne voulant tout concilier : son métier, sa famille, ses amies, ses loisirs... Mais son esprit indépendant et sa liberté revendiquée dérangent les siens et finissent par l'isoler dans une certaine solitude. La rencontre avec Milo, un jeune homosexuel, va éclairer sa fin de vie, car elle ne veut pas imposer sa maladie aux siens. Cristina Comencini (fille du grand cinéaste italien) a écrit un beau portrait de femme, complexe, déroutante, dérangeante mais terriblement séduisante... La morale de l'histoire pourrait se situer dans la comparaison entre Lucy et Sara, deux femmes qui suivent leur chemin sans jeter un regard derrière leur épaule. Elles se sont mises en marche et personne ne les arrêtera...

mercredi 15 juillet 2015

Revue de presse

L'été est propice à la lecture : je garde près de moi une pile de revues pour les lire par intermittences, article après article selon mon humeur du moment. Le Magazine littéraire propose un numéro double avec un Spécial Livres de poche, un dossier sur l'apocalypse et un supplément de 30 pages intitulé "Jouez avec les écrivains". Drôle d'idée d'évoquer l'apocalypse pendant l'été mais, vu la permanence caniculaire sur notre pays au climat traditionnellement tempéré, cette thématique semble bien justifiée. Les écrivains comme les philosophes, les historiens et les sociologues s'alarment et nous inquiètent en même temps en nous prédisant des temps chaotiques dans les années à venir. Ce dossier apporte une vision nouvelle et intelligente sur ce phénomène qui prend ses sources dans l'Antiquité. Pour se changer des idées sombres que pourrait provoquer la lecture sur l'apocalypse, il suffit de se distraire avec les quizz littéraires, des mots croisés, des aphorismes à remettre en forme, etc. Des plages de jeux pour les soirées entre ami(e)s... Lire dévoile déjà les 15 romans les plus attendus de la rentrée dont David Grossman, Mathias Enard, et l'incontournable Amélie Nothomb. Les livres de l'été sont classés par envies (s'émouvoir, frissonner, voyager, vibrer, s'instruire, etc.). La revue offre un portfolio des "dix librairies pas comme les autres". J'ai retrouvé la Livraria Lello à Porto et ces photos m'ont donné envie d'aller visiter (un programme utopique...) celles de Rome, Venise, Buenos Aires, Mexico, Pékin, Bruxelles, Santorin, et la plus spectaculaire à Maastricht, installée dans une église dominicaine du XIIIe siècle...  L'entretien avec Guillaume Gallienne se révèle très intéressant car ce comédien vénère la lecture et la littérature. J'ai aussi acquis Transfuge, une publication plus confidentielle, plus tranchée dans ses critiques, avec son chic "parisien" et son choc "intello". On trouve des articles concernant Anthony Doerr, le Pulitzer mérité, Cannes et son bilan, les séries, etc. Pour terminer ma revue de presse, j'ai acheté en librairie, Page, toujours aussi beau sur le plan graphique et mettant à l'honneur la littérature jeunesse dans son numéro de l'été. Des revues pour l'été, des guides pour débusquer les bons, les très bons livres.

vendredi 10 juillet 2015

"Une journée avec Tabucchi"

J'ai trouvé ce petit livre dans ma librairie préférée. J'aime soutenir ce commerce "intellectuel" et une ville sans librairie et sans bibliothèque me semble un lieu sans âme (je le rabâche sans cesse). Il est donc indispensable de consacrer un budget mensuel pour acquérir des livres. J'en emprunte évidemment beaucoup mais,  quel plaisir d'avoir chez soi sa propre librairie, une bibliothèque personnelle qui reflète aussi sa personnalité. Chez moi, tous ceux qui jettent un œil sur mes étagères et remarquent quelques titres, apprennent beaucoup sur moi et devine mes différents "trajectoires" de ma vie professionnelle à ma vie intime. Toujours cette obsession de la place des livres dans une maison, un appartement, une chambre, un couloir, un grenier... Les livres m'habitent, me nourrissent et me consolent. En lisant "Une journée avec Tabucchi", j'ai aussi ressenti chez cet écrivain italien, hélas disparu en 2012, un grand amour de la littérature et des livres. La maison d'édition "Quai Voltaire" a eu l'excellente idée de recueillir quatre témoignages d'écrivains (Paolo Di Paolo, Dacia Maraini, Romana Petri, Ugo Riccarelli). Rentrer dans l'intimité de Tabucchi semble exceptionnel car lui-même est toujours resté discret sur sa vie. Mais j'ai surtout remarqué l'influence littéraire qui a marqué les intellectuels de son pays. Chaque témoignage rappelle la force de l'œuvre "tabucchienne" et donne envie de la relire. Je conseillerai "Pereira prétend", "Nocturne indien", "Requiem". Tabucchi représente pour moi un homme obsessionnel du temps, (il a donné un titre significatif à un de ses ouvrages avec "Le temps vieillit vite"). Et j'aime aussi sa passion pour Lisbonne et Pessoa, son impertinence politique, son esprit "saudade", son univers littéraire étrange, son style élégant. Je l'ai découvert dès qu'il a publié son premier ouvrage chez Bourgois et je n'ai manqué aucun rendez-vous avec ce maître magistral, cet amoureux des mots et de la littérature. Je suggère à la maison Gallimard de le faire rentrer illico presto dans la pléiade... L'ouvrage amical et admiratif, "Une journée avec Tabucchi" rend un hommage émouvant à cet homme éminemment sympathique.  

jeudi 9 juillet 2015

"Mr Gwyn"

Ce roman d'Alessandro Baricco, publiée en 2014 chez Gallimard, m'a laissée quelque peu songeuse... Je l'ai lu jusqu'au bout en me demandant si je le laissais "tomber" ou pas. En tant que lectrice motivée, je n'abandonne pas un livre que j'ai commencé à lire. Si je dépasse les trente premières pages, j'accomplis ma tache en terminant et en me chuchotant, mais pourquoi poursuivre ? Je suis dans le "devoir", dans le respect de l'écriture et de l'immense travail que représente la composition d'une œuvre. Pour "Mr Gwyn", je n'avais peut-être pas l'esprit assez vif à cause de la canicule pénétrant dans la maison malgré les volets fermés. L'histoire de cet écrivain anglais est une fable sur la création littéraire et sur les affres de l'imagination. Jasper Gwyn a écrit trois romans qui lui ont apporté le succès. Mais, il ne veut plus publier. Il a décidé d'interrompre sa carrière prometteuse et prend une année sabbatique. Il a même établi une liste de 52 choses qu'il ne fera plus... dont l'écriture d'un livre. Au bout d'un an de réflexion, il a enfin trouvé sa nouvelle vocation : il veut réaliser des portraits à la manière d'un peintre. Il loue un local commercial, l'équipe sommairement, et surtout l'éclaire avec des ampoules spéciales. Il y ajoute une musique originale d'ambiance. Il embauche des modèles qu'il observe et les dépeint avec des mots. La galerie des personnages "peints" va d'une jeune fille très ronde à une femme de 40 ans, puis une de 50 ans, et il étudie aussi quelques hommes. En fait, il remet le portrait écrit à chaque protagoniste et cet œuvre est unique. Quel est le message d'Alessandro Baricco dans ce roman "intrigant, brillant et formidablement élégant" (notes de l'éditeur) ? J'ai lu quelques critiques qui m'ont éclairée sur la démarche. L'écrivain, lassé de combines routinières dans l'écriture, chercherait l'authenticité, la vérité des "modèles" choisis en les observant attentivement. Il se veut "copiste" de la réalité des autres. Mais, ses tentatives innovantes en littérature ne s'avèrent pas si concluantes... Un roman très déroutant, à découvrir si on aime les énigmes...

mardi 7 juillet 2015

"Histoire de ma vie"

J'avais découvert Aharon Appelfeld avec son roman, "Et la fureur ne s’est pas encore tue"  et j'ai tout de suite ressenti le sentiment d'avoir découvert un écrivain essentiel. Toute son œuvre est éditée chez L'Olivier qui offre aux lecteurs, depuis de nombreuses années, une production marquante dans le panorama éditorial français. J'ai choisi à la médiathèque de Chambéry son autobiographie majeure, 'Histoire d'une vie". Il me semble opportun pour comprendre un nouvel écrivain, de démarrer par un témoignage sur sa vie. Le lecteur(trice) a besoin de clefs pour entrer dans la maison des mots d''Aharon Appelfeld. Il est né en 1932 dans un village appelé Czernowitz en Bucovine (Roumanie). Il dresse le portrait de ses parents, des Juifs assimilés, de ses grands-parents, d'origine paysanne. Les souvenirs de son enfance illuminent les premières pages avant de sombrer dans le chaos de la fuite, une fuite salutaire face à la barbarie nazie. Son père veut sauver sa famille dès 1938 en s'installant en Amérique mais ses tentatives échouent. Aharon Appelfeld écrit à ce moment-là : "Bien des phrases incompréhensibles bruissaient dans la maison. Nous vivions dans une brûlante énigme." Sa famille est donc obligée de vivre dans le ghetto où leur existence devient vite cauchemardesque. Puis, le jeune garçon s'enfuit dans les bois et perd la trace des ses parents. Il se réfugie en Israël où il construit son identité d'écrivain. La problématique linguistique entre le yiddish et l'hébreu peut sembler un peu absconse pour des lecteurs non avertis mais ces passages sont très intéressants pour comprendre l'œuvre de cet écrivain.  Pour conclure, il faut écouter ce message : « Plus de cinquante ans ont passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le cœur a beaucoup oublié, principalement des lieux, des dates, des noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. Chaque fois qu'il pleut, qu'il fait froid ou que souffle un vent violent, je suis de nouveau dans le ghetto, dans le camp, ou dans les forêts qui m'ont abrité longtemps. La mémoire, s'avère-t-il, a des racines profondément ancrées dans le corps. Il suffit parfois de l'odeur de la paille pourrie ou du cri d'un oiseau pour me transporter loin et à l'intérieur. » Dans un article sur Wikipédia, j'apprends que les écrivains préférés d' Aharon Appelfeld se nomment Tchekhov, Kafka et Proust... Des influences que l'on devine en lisant "Histoire de ma vie"...

lundi 6 juillet 2015

"Ca aussi, ça passera"

Milena Busquets, écrivaine espagnole, devient Bianca, la narratrice, dans ce roman, publié cet été chez Gallimard. Bianca part à Cadaquès, près de Barcelone pour passer des vacances d'été, entourée de ses deux anciens maris, de son amant actuel, de ses enfants, de ses amies... Elle réunit sa tribu pour se sentir heureuse parmi les siens, tant elle a besoin d'amour pour survivre à la mort de sa mère. Car le personnage central du roman n'est pas la narratrice, mais sa mère disparue. Elle s'adresse à elle en lui rappelant tous les souvenirs liés à cette maison de famille sous le soleil méditerranéen. Le décor prend de la place dans ce texte, un décor idyllique, estival, peuplé de baignades, de balades en bateau, de repas partagés sous la tonnelle : une vie légère et insouciante. Les relations amoureuses de Bianca et de ses copines parviennent à contrebalancer les passages douloureux où la narratrice décrit l'absence de sa mère dans les détails de la vie quotidienne : un vieux chandail accroché à un porte-manteau du couloir, les cartons de livres, la vaisselle dépareillée, le linge de maison. Sa mère a séjourné dans un hôpital et ses derniers jours marqués par la souffrance, hantent la mémoire de Bianca. La narratrice confie sa détresse, son deuil, son sentiment du "plus jamais" à cette mère fantasque, libre et intellectuelle. Elle écrit : "Je ne serai jamais plus regardée par tes yeux. Lorsque le monde commence à se dépeupler des êtres qui nous aiment, nous nous transformons peu à peu, au rythme des morts, en inconnus. Ma place dans le monde était dans ton regard et cela me paraissait si incontestable et éternel que je ne me suis jamais inquiétée de vérifier où elle se trouvait." Ce livre-bilan d'une femme à la quarantaine bien remplie résonne juste dans la description de la relation avec cette mère-référence, cette mère-souche. Le thème du deuil, universel et personnel, est traité avec sensibilité par Milena Busquets. On ne se remet jamais de la perte des siens, même dans le tourbillon de la vie comme celle vécue par l'héroïne qui s'étourdit de fatigue avec ses multiples relations amoureuses et amicales... Un roman à la Sagan, une Sagan espagnole...

vendredi 3 juillet 2015

"Academy Street"

Mary Costello vit à Dublin. Elle a écrit des nouvelles et les Editions du Seuil publient son premier roman qui a reçu le prix du meilleur livre paru en 2014 en Irlande. L'histoire du roman se passe au début des années 60 dans une Irlande rurale. La petite Tess, à l'âge de 7 ans, perd sa mère de tuberculose et perd aussi la parole tellement cet événement tragique va marquer sa vie. Son père s'enfonce dans le silence et le chagrin. La famille commence à se disperser en immigrant et sa sœur aînée la fait venir à New York. Tess devient infirmière et s'éprend du cousin de sa co-locataire. Lors de la seule étreinte amoureuse, elle tombe enceinte et met au monde un garçon. Elle ne verra plus son premier amant. Elle élève seule son enfant et sa famille se détourne d'elle. Sa vie de jeune mère se déroule dans une tristesse profonde même si l'amitié avec Willa, une femme noire, lui apporte un réconfort chaleureux. Son fils grandit et peu à peu s'éloigne d'elle car il la juge trop craintive. Tess a pourtant des envies, des désirs et des rêves mais elle ne réussit pas à les mettre en "vie"... Elle éprouve constamment un sentiment de solitude qu'elle ne peut maîtriser. Le seul apaisement qu'elle ressent, elle le trouve dans la compagnie des livres et l'auteur rend ainsi un hommage sensible à la lecture-thérapie. Tess ressemble à une anti-héroïne, une immigrée de l'intérieur, qui subit son destin et se sent "sans importance" même dans sa relation avec son propre fils. Sa mise en retrait volontaire, son humilité et son courage font de Tess, un personnage féminin que l'on a envie de consoler...  Ce roman n'est pourtant pas écrit avec une plume trempée dans l'encre du désespoir : il décrit le destin de beaucoup de femmes qui s'effacent au lieu de s'imposer dans le réel, un réel souvent inaccessible pour certaines d'entre elles comme Tess. Un roman plein de délicatesse, de sensibilité et de subtilité... Un beau portrait de femme entre deux mondes, l'Irlande de son enfance et l'Amérique de sa maturité.

jeudi 2 juillet 2015

"Miniaturiste"

Jessie Burton, écrivaine anglaise, née en 1982, est comédienne. Elle a étudié à Oxford et l'éditeur Gallimard publie son premier roman traduit en français dans l'excellente collection "Du monde entier". Des critiques ont salué la sortie de "Miniaturiste" en le comparant à Donna Tartt et son "Chardonneret" et à "La jeune fille à la perle" de Tracy Chevalier. Ces romancières anglaises possèdent un véritable talent pour raconter une histoire touchante, émouvante, une histoire de femmes aussi, avec une élégante manière de parler de leur condition inférieure et douloureuse dans les siècles passés. Nella Oortman n'a que dix-huit ans quand elle se marie avec un marchand d'Amsterdam en 1686. Dès la première page, on se sent chez soi dans cette maison bourgeoise au bord du canal. Son mari, Johannes Brandt, un trentenaire un peu vieilli prématurément par ses longs voyages pour le commerce, ne prend pas le temps d'accueillir sa jeune épouse et la confie à sa sœur qui porte le nom de "Marin". Nella découvre ce monde urbain avec étonnement sans se laisser intimider par les manies particulières de sa belle sœur, restée célibataire. Ils vivent avec deux domestiques, Otto, venu de Malaisie et Arabella. Nella se voit offrir une maison de poupée par son mari et reçoit régulièrement des colis d'objets minuscules représentant l'intérieur de leur propre logis. Elle découvre aussi des poupées et reconnaît ses propres traits et ceux de sa nouvelle famille. Elle se sent épiée par une femme miniaturiste qui lui révèle certains secrets. Les masques tombent alors et Nella comprend enfin la froideur polie et respectueuse de son mari. Je ne dévoilerai pas les rebondissements de l'histoire pour ne pas gêner le plaisir de lecture que ce roman procure à grandes doses. Dans la quatrième de couverture, l'éditeur définit ce roman ainsi : "Jessie Burton livre ici un premier roman qui restitue avec précision l'ambiance de la ville à la fin du XVIIe. (...) La jeune Nella apparaît comme une figure féminine résolument moderne." La revue Lire salue ce roman en le qualifiant de coup de maître... Une lecture estivale à retenir pour ses qualités romanesques avec le personnage de Nella, jeune fille généreuse et tolérante, pour ses descriptions historiques d'Amsterdam, son commerce effervescent, dans une époque où la religion prenait une place étouffante. Encore un très bon livre pour se distraire avec intelligence cet été...

mercredi 1 juillet 2015

"Histoire d'Irène"

Erri de Luca n'est pas seulement un grand, un immense écrivain. Il possède à mes yeux un don fascinant, celui de conteur pour adultes. Je ne suis pas attirée par les contes, ce qui pourrait passer pour un manque de sensibilité naïve ou pour une perte de fraîcheur enfantine. Mais, lui, cet écrivain italien me touche particulièrement... J'ai vécu cette adhésion immédiate en découvrant son dernier ouvrage, "Histoire d'Irène", publié chez Gallimard en 2015. Je cite la première phrase : "Irène a des yeux ronds de poisson, d'oiseau, de mammifère. Pas une trace de pli, même dans le sourire. Elle est orpheline, elle a quatorze ans et va bientôt accoucher."  Erri de Luca présente la jeune fille avec une économie de mots et utilise l'image pour frapper l'imagination des lecteurs(trices).  Irène vit sur une île grecque et passe ses nuits à nager avec les dauphins... La Méditerranée, du côté de la Grèce, a toujours donné naissance aux légendes, aux mythes et aux contes. Irène rime avec sirène, évidemment. Elle fuit les humains et rejoint les dauphins pour les défendre, les libérer des filets, les suivre dans leurs courses folles. Cette fille-poisson a choisi le camp de la nature, de l'innocence animale, minérale, végétale. Erri de Luca intervient dans le récit-conte en évoquant son métier : "J'ouvre ma valise de commis-voyageur, je me mets à brailler mes drôles de titres dont personne ne se souvient et qui attirent l'attention l'espace d'une demi-minute." Il ajoute plus loin : "Notre espèce humaine a besoin d'histoires pour accompagner le temps et en garder un peu". Je pourrai retranscrire beaucoup de passages de ce conte marin, grec, féminin et je ne résiste pas à celui-ci : "Depuis que je lis des livres anciens, j'apprends que le monde est un alphabet composé de lettres, qui se combinent entre elles. Les consonnes sont la matière et les voyelles en revanche sont eau, lumière, air, le souffle de l'oxygène dans la substance minérale". L'ouvrage comporte aussi deux beaux récits très courts : "Un ciel dans une étable" et "Une chose très stupide". Un moment enchanteur comme ce passage de l'Odyssée où Ulysse écoute le chant des sirènes... Un livre à lire cet été pour rêver de mer, de dauphins et d'Irène, fille "adoptive" d'Erri de Luca.