jeudi 13 avril 2023

"Le livre du rire et de l'oubli", Milan Kundera, 2

 Dans le chapitre "Les lettres perdues 2", le narrateur raconte l'histoire de Tamina, exilée et barmaid de café dans une ville française. Elle écoute ses clients avec une patience d'ange alors qu'elle ne se confie à personne ; "Car toute la vie de l'homme parmi ses semblables n'est rien d'autre qu'un combat pour s'emparer de l'oreille d'autrui". Veuve, elle voudrait récupérer des papiers personnels restés chez sa belle-mère en Tchécoslovaquie. Elle va se lier avec un étudiant volontaire pour aller chercher ces lettres à Prague. Mais, cette récupération des lettres perdues s'avère vaine (mémoire et oubli). Le chapitre "Litost", mot tchèque un peu mystérieux, relate l'aventure amoureuse et hasardeuse de Christine, mariée à un boucher. Elle tombe amoureuse d'un étudiant pragois mais refuse de devenir sa maîtresse. La "Litost" est un sentiment d'échec et de l'acharnement dans l'échec dans une sorte de délectation suicidaire. Ils se retrouvent dans la chambre de l'étudiant à Prague et elle insiste pour qu'il rencontre des poètes dans un bar. Quand il revient pour vivre sa nuit d'amour, elle se refuse dans un entêtement incompréhensible pour le jeune homme. Le lendemain, elle finit par avouer qu'elle avait peur de tomber enceinte (situation absurde) ! Cette incommunicabilité entre homme et femme est traitée de façon ironique et décapante. Pour les chapitres suivants bien plus complexes, le narrateur reprend le personnage de Tamina dans une dimension onirique. Il évoque avec une émotion inhabituelle la figure de son père, pianiste et musicologue. Ce père oubliait les mots dans sa vieillesse mais qui, juste avant de mourir, avait prononcé, "Maintenant, je sais !", sur un quatuor de Beethoven. Encore ce thème de la mémoire et de l'oubli... Les derniers chapitres proposent des réflexions très pointues sur la musique tonale et dodécaphonique et surtout une fable fantastique à la Kafka quand Tamina vit sur une île avec des enfants sans passé et sans mémoire. Quand elle tente de fuir cet île en nageant (une image allégorique d'un monde totalitaire), elle aperçoit une barque chargée d'enfants et elle a peur d'être récupérée. Mais, ils la regardent suffoquer et la laissent se noyer. Ce roman se termine sur une note pessimiste : "La lutte de l'homme contre le pouvoir est la lutte de la mémoire contre l'oubli". Mais le rire apporte une note moins sombre car Milan Kundera utilise l'ironie, la fable, l'absurde pour dénoncer la déshumanisation des idéologies totalitaires qui anéantissent la mémoire des peuples et des individus. Ce roman complexe et musical dévoile la philosophie de Milan Kundera : comprendre la vie dans sa nudité absolue. Il déclare dans son essai, "Le Rideau" : "Comprendre cette inéluctable défaite qu'on appelle la vie" et il ajoute : "Le roman nous reste comme le dernier observatoire d'où l'on puisse embrasser la vie humaine comme un tout". Le verbe qu'il préfère certainement : "Se libérer", se libérer des conventions, des modes, du lyrisme, du sentimentalisme, du dogmatisme, et de tant d'autres illusions...