vendredi 28 février 2014

Rubrique cinéma

Avec la pluie et le vent de ce vendredi, je suis allée au cinéma voir "Le sens de l'humour" de la réalisatrice-comédienne, Marilyne Canto. Ce film délicat et intimiste raconte l'histoire d'une jeune mère qui vient de perdre son mari. Elle élève son fils Théo, âgé de 10 ans, et travaille dans un musée. Leur vie quotidienne est rythmée par les devoirs, les déplacements, une routine rassurante et anesthésiante. Elle entretient une relation avec Paul, un bouquiniste très amoureux d'elle. Elle ne conçoit pas un avenir avec Paul, le repousse souvent, lui avoue même qu'elle ne l'aime pas, que leur rencontre n'est qu'une histoire de corps. Paul l'apprivoise au fil du temps en montrant une patience d'ange. Il s'occupe du petit Théo, enfant solitaire et à la recherche d'une nouvelle famille. Théo se met aussi à rejeter sa mère, trop aimante et trop fusionnelle. Le couple se construit malgré la jalousie, la mésentente sur la vie quotidienne, le poids de la perte, la présence de Théo et le déséquilibre amoureux. Quand Elise choisit un fauteuil anglais très abimé dans une brocante malgré la désapprobation de Paul, leur histoire prend fin. Paul comprend qu'elle ne l'aime pas et ils se quittent. Mais, le film pourrait s'arrêter sur cet échec. L'absence de Paul commence à peser dans le foyer mère et fils. Elise apprend qu'elle est enceinte. Va-t-elle interrompre sa grossesse ? Veut-elle tourner la page ? Ou reconstruire une famille ? Marilyne Canto a donné un titre paradoxal à ce film si "féminin" et plutôt teinté d'optimisme en mettant une dose d'humour et de légèreté dans la vie parfois si difficile...  

"En finir avec Eddy Bellegueule"

Edouard Louis n'a que 21 ans et déjà connaît la renommée littéraire grâce à son roman autobiographique, "En finir avec Eddy Bellegueule", publié aux éditions du Seuil en janvier de cette année. Cette histoire pourrait se dérouler dans les années 50, ou avant mais, non, Edouard Louis raconte sa vie de jeune garçon dans la décennie 1990-2000, en Picardie, une région rurale loin des centres urbains. Il a un problème d'identité sexuelle, il se sent différent des autres garçons. Il n'aime pas le foot, n'est pas attiré par les filles. Son père s'exclame "Il est bizarre Eddy avec ses manières de tapette. Pourquoi il est comme ça ? Il fout la honte à toute la famille ! C'est un mec oui ou merde ? !" Ce garçon, pas comme les autres, fait pourtant des efforts surhumains pour correspondre à la conformité sexuelle. Il se répète devant la glace qu'il veut être un "dur", un macho comme son père, un homme violent et frustre. Il va même jouer à l'hétéro avec une fille du village pour faire taire les rumeurs sur sa "déviance". Ce roman tient plus du journal intime d'un jeune homme, victime de la plus grande bêtise des adultes de son entourage : sa mère se plaint sans cesse et râle, éructe sa vie misérable, son père est alcoolique et violent. Personne ne lui vient en aide, ni un ami, ni un réconfort dans sa famille. Edouard Louis décrit un milieu social défavorisé, replié sur des préjugés archaïques, homophobe et raciste. Le personnage n'a qu'une issue : fuir ce monde fermé et intolérant. Il s'inscrit à l'option théâtre du lycée et quitte son village pour la ville. Ce récit autobiographique, dur comme un diamant, plaide la cause indiscutable et universelle de la tolérance infinie envers ceux qui veulent vivre autrement, qui veulent vivre leur vie différente sans subir la bêtise et la haine de ceux qui n'acceptent pas la différence sexuelle. Quand je pense aux manifestations contre le mariage pour tous, il faudrait distribuer ce bel ouvrage pour leur dire : mais de quoi avez-vous peur ? Ce récit peut se lire comme un coup de colère salutaire contre l'idiotie, la misère intellectuelle, la non-éducation, l'intolérance... Un témoignage émouvant d'une actualité brûlante.

jeudi 27 février 2014

Rubrique cinéma

Je suis allée voir un "joli petit" film suisse, "Les Grandes Ondes" du réalisateur Lionel Baier avec Valérie Donzelli, Michel Willermoz et Patrick Lapp. Une équipe de journalises radiophoniques doit se rendre au Portugal pour rendre compte des subventions accordées à ce pays si pauvre. Nous sommes en 1974. La tension est à son comble entre la jeune journaliste ambitieuse et son collègue, proche de la retraite, et qui souffre de troubles de mémoire. Comme j'aime beaucoup le Portugal et que je me souviens bien des années 70, années de ma jeunesse, j'ai apprécié ce retour cinématographique sur une réalité historique quand les dictatures portugaise, espagnole et grecque régnaient au Sud de l'Europe. L'escapade au bord d'un Combi Wolswagen s'apparente à un road-movie où chaque protagoniste joue leur rôle avec un humour virtuose. Ils mènent leurs enquêtes à travers le pays quand ils apprennent que Lisbonne s'agite en ce jour du 24 avril. Ils vont couvrir le changement politique sans vraiment se rendre compte de sa portée historique. Le passage le plus intéressant du film montre la Révolution des Œillets de 74, une révolution fraternelle sans violence et sans victimes et qui va marquer notre époque contemporaine. Le Portugal se libère, viendra ensuite l'Espagne avec la mort de Franco, la Grèce, et la chute du mur de Berlin en 1989. Ainsi, la démocratie s'installe partout en Europe. Souvenons-nous des images célèbres des soldats portugais rejoignant le peuple avec des œillets au bout de leur fusil. Le réalisateur rend aussi hommage à la radio,  ce média si important à l'époque quand les reporters traquaient la vérité des événements avec un matériel à bandes, la préhistoire de la communication. J'aime bien ces films proches de l'artisanat artistique, sans prétention et sans gros moyens délirants. "Les Grandes Ondes" appartient à cette catégorie : un film modeste mais très attachant sur l'air du temps des... années 70.

mardi 25 février 2014

"Réparer les vivants"

Le dernier livre de Maylis de Kerangal est tout simplement un grand et beau roman ! Comment la littérature, incarnée par cette écrivaine originale, traite un sujet médical austère et délicat, la transplantation cardiaque ? Maylis de Kerangal choisit un personnage central, un jeune homme héroïque, surfant une vague, symbole de la vie remuante, et se retrouve allongé sur un lit d'hôpital en coma dépassé. Le premier chapitre raconte cette épopée, cette équipée sauvage de trois jeunes gens jusqu'au drame final, un accident de la route. Unité de temps : une journée, unité de lieu : l'hôpital, unité d'action : le corps réparateur. Ces trois unités sont orchestrées par un chœur de voix : les soignants, véritables héros de cette Odyssée médicale. Les parents de Simon hésitent à faire le don d'organes, mais ils acceptent à condition que les yeux de leur fils ne soient pas donnés. Leur réaction face à ce drame est analysée avec une profondeur psychologique que j'ai rarement rencontrée dans la littérature. Les médecins qui, malgré la mort de leur patient, n'ont qu'un objectif majeur : sauver d'autres vies grâce aux dons d'organes. Leur professionnalisme, leur génie du métier, leur empathie envers leurs patients les éloignent de la caricature des techniciens froids et distants. Le cœur de Simon migrera vers un autre corps ainsi que ses reins, son foie et ses poumons. Les receveurs deviennent aussi des personnages du roman et le lecteur(trice) partage avec émotion les angoisses de l'enjeu vital que représentent les transplantations. Ce roman nous plonge dans la maladie, la mort, l'hôpital mais aussi dans l'amour, l'espoir, la renaissance... Je n'ai eu aucune difficulté dans la lecture d'un langage parfois médicalisé pour expliquer les opérations techniques, l'état comateux de Simon, les descriptions du milieu hospitalier, le circuit ultra organisé des dons d'organes. Maylis de Kerangal nous offre un style exceptionnel, utilise une langue française claire et belle, forte et franche. J'ai lu un entretien dans la revue Page où elle évoquait la genèse de ce roman : "Je crois que c'est le cœur, cette expression de cœur humain qui a déclenché l'écriture. Cœur-muscle et cœur-symbole, organe et boîte noire, pompe et siège des affects. Cette double dimension du cœur  a instauré la possibilité du roman". Un coup de "cœur" majeur de la rentrée littéraire en ce début d'année...

lundi 24 février 2014

Rubrique Cinéma

Enfin un film jubilatoire avec un mélange d'humour, d'ironie, de charme, je veux parler de  "Viva la liberta !" du réalisateur Roberto Ando, servi par des comédiens doués d'empathie dont le délicieux Toni Servillo. A l'aube des élections, Enrico Oliveri, chef du parti d'une gauche en perdition, voit ses sondages sombrer et ne supporte plus cette ambiance délétère et déprimante. Il décide de tout laisser tomber et fugue à Paris chez une ancienne amante qui travaille dans le cinéma. Elle est mariée à un réalisateur d'avant-garde. Pendant qu'il se laisse vivre dans ce milieu artistique, la panique règne dans son parti. Son assistant essaie de calmer la fébrilité des cadres politiques qui se posent tous des questions sur cette absence prolongée. Avec la complicité de la femme du "fugueur", l'assistant pense au frère jumeau de son "patron" et va lui demander de remplacer son frère dans les réunions publiques et dans les médias. Or, le frère jumeau, philosophe excentrique, a séjourné à l'hôpital psychiatrique et il accepte de remplacer son frère. Le film montre le délitement de la classe politique, l'impuissance des militants, le cynisme des cadres. Ce frère se situe du côté de la passion et en citant Brecht devant une foule en attente, il crée l'espoir retrouvé dans un monde meilleur. Le vrai frère de gauche reprend des forces à Paris, accompagne son amie sur un plateau de cinéma et s'improvise accessoiriste. La  comédie va-t-elle durer longtemps ? Ce film évoque l'épuisement démocratique, la trahison des politiques qui ne font plus rêver,  la perte des repères, la fin d'un cycle. Le comédien Toni Servillo joue deux rôles à la fois et cette composition donne au  film un goût savoureux, que l'on trouve dans  les comédies italiennes que j'ai toujours appréciées... Un film d'un charme incomparable.
 

vendredi 21 février 2014

"La grâce des brigands"

Dans la revue Lire de septembre 2013, j'avais lu un entretien avec Véronique Ovaldé, "l'une des voix les singulières des lettres françaises"... Elle a déjà conquis un public de fidèles avec les succès de  "Ce que je sais de Vera Candida" et "Des vies d'oiseaux", romans d'une invention imaginative, fantaisiste et onirique. J'ai fini de lire récemment son huitième opus, "La grâce des brigands" et c'est d'ailleurs une heureuse découverte  car je n'avais pas encore ouvert un de ses livres. Le personnage principal, Maria Cristina Väätonen, romancière célèbre, vit à Santa Monica quand le téléphone sonne. Sa mère avec laquelle elle est fâchée depuis dix ans, veut la revoir. La romancière, en rupture avec son passé, se remémore ce temps familial asphyxiant qu'elle a fui pour les Etats Unis. Les souvenirs affluent : la chute de sa sœur quand elles étaient enfants, le rôle étouffant d'une mère bigote, la lâcheté de son père, l'enfermement, la solitude, l'ennui de ce village sans charme. Un passé douloureux en ce début des années 80... Mais Maria Cristina rêve d'une autre vie et quitte ce milieu confiné pour Los Angeles. Elle rencontre le "grand écrivain" en répondant à une annonce de secrétaire. Ce Rafael Claramunt est un excentrique et un séducteur. Il prend sa protégée sous son aile (et dans son lit). Le portrait de cet homme, un "vrai brigand", un imposteur littéraire, est fort savoureux dans ce roman et on subodore que Véronique Ovaldé aime ses personnages "à la marge", des marginaux sympathiques et inoffensifs, cultivant amoureusement la liberté. Le téléphone sonne donc et sa mère lui demande de prendre en charge le fils de sa sœur. Maria Cristina va-t-elle retourner au Canada ? Mystère... Dans l'entretien de la revue Lire, l'écrivaine confie sa conception de la littérature : "Nous sommes nombreux à avoir modifié le cours de notre existence, à avoir reporté à demain le fait de se pendre parce qu'on lisait un bon bouquin. C'est une ambition petite, mais essentielle. (...) Le roman offre une connaissance du monde. Il permet d'approcher l'expérience intime que chacun se fait de la réalité." Un très bon roman avec un style "ovaldien", (exubérant, vivant) de la rentrée littéraire de septembre, un rattrapage pour moi...

mardi 18 février 2014

Atelier d'écriture

Marie-Christine nous a proposé un exercice d'écriture sur les tissus. Elle nous a lu des passages du roman de Carole Martinez, "Le cœur cousu" et nous a demandé de récolter des mots concernant le tissu, la couture, les travaux d'aiguille, etc. Je n'étais pas très inspirée sur l'histoire d'un tissu mais j'ai pensé à ma mère, disparue en 2010, qui avait une passion dans sa vie après l'amour de sa famille, cette passion, c'était la broderie... Voici mon texte :
"Broder, dit-elle,
J'ai toujours vu ma mère broder des dizaines d'abécédaires, des paysages du Pays Basque, des coussins, des nappes, des napperons. Elle a consacré des milliers d'heures  pour réaliser ses œuvres de tissu, des œuvres d'art. Sagesse des femmes, prouesse des femmes, quel étrange amour pour ces pièces de coton blanc, ces aiguilles, ces fils de couleurs, ces boîtes à couture ! Pourquoi as-tu passé tant de temps à broder ? Et la couture ? Ah non, rapiécer, raccourcir, rallonger, couper, assembler, tous ces actes lui semblaient d'une banalité rare, d'une utilité sinistre et d'un ennui mortel. Elle avait l'impression de créer avec ses broderies toujours en chantier dans son panier. Elle se sentait une artiste de l'aiguille, du fil et des cotons de couleurs. Elle se réfugiait dans ces moments de silence et de concentration, un zen de l'esprit et un repos du corps. Ses escapades de broderies dans l'après-midi ressemblaient aux parties de pêche à la truite de mon oncle ou aux milliers de matchs de rugby de mon père. C'était sa "chambre à soi", son monde intime, doux et soyeux, elle incarnait une Pénélope des temps modernes. Elle vivait son heure de gloire quand on la félicitait d'avoir accompli un travail de titan à l'assaut des pièces à broder. Chacun de nous cherche son heure de gloire : pourquoi pas un tissu brodé pour une femme ? Je n'ai en aucun cas hérité des dons de brodeuse de ma mère et je me suis tournée très tôt vers les textes, la lecture, ce sont mes broderies de mots. Tissus ou textes, à broder ou à lire, à chacune sa passion."

lundi 17 février 2014

Rubrique cinéma

J'ai toujours eu un "petit faible" pour Nicole Garcia, une actrice émouvante et une réalisatrice sensible. J'ai donc vu et beaucoup apprécié son dernier film "Un beau dimanche". Son personnage central, Baptiste, est un jeune homme silencieux, solitaire et mystérieux. Instituteur itinérant dans le Sud de la France, il fuit les relations sociales et ce statut lui convient très bien. Un jour, il recueille un élève oublié par un père négligent à la sortie de l'école. Ce père irresponsable lui laisse la garde de l'enfant et Baptiste le conduit vers sa mère, serveuse dans un restaurant en bord de mer. Sandra décide de garder son petit garçon. Mais, elle a des problèmes de dette à régler, une somme importante qu'elle est loin de détenir. Un trio familial commence à se former : Baptiste s'occupe de l'enfant et commence à aimer Sandra. La jeune femme observe avec étonnement cet homme discret, distant et tellement différent des hommes qu'elle côtoie.  Elle découvre qu'il prend des cachets antidépressifs et quand il lui propose de l'aider à rembourser cette dette empoisonnante, elle accepte de partir avec lui. Baptiste traverse la France pour rejoindre sa famille, une grande famille bourgeoise et riche, avec laquelle il a rompu tous liens depuis 10 ans. C'est le moment le plus fort, le plus intense et le plus intéressant du film. Baptiste, un jeune homme brillant, programmé pour les grandes écoles et une carrière d'industriel, a tout lâché en interrompant ses études. Sa famille n'a rien compris à ce renoncement et l'ont enfermé dans une institution psychiatrique. Baptiste s'est ensuite marginalisé et a rompu avec les siens. Il retourne chez eux pour sauver Sandra, et leur demander une part de son héritage. Nicole Garcia décrit le fossé infranchissable qui s'est creusé entre le fils déclassé et le clan de ceux qui forment l'élite financière du pays, les grands décideurs économiques... Baptiste a trop changé pour supporter ce monde éternellement gagnant et arrogant. Il choisit Sandra et sa simplicité, Sandra et son innocence, Sandra qui le sauve de sa dépression chronique par l'amour retrouvé. La belle présence de Louise Bourgoin, le mal-être de Pierre Rochefort, la candeur du petit garçon servent au mieux ce beau film qui fait le procès de la famille, une famille intolérante, étouffante et clanique à l'excès... 

vendredi 14 février 2014

"Le détour"

Je connais peu la littérature hollandaise, et comme je prépare un séjour à Amsterdam pour la fin mars, j'éprouve une curiosité aigue pour découvrir "l'âme" de ce pays, si tolérant et si fascinant pour sa culture, sa peinture, sa géographie maritime et tant d'autres richesses. Je préfère me rendre dans les pays du Sud, et je vous avoue mon quatuor préféré : Espagne-Italie-Grèce-Portugal... Mais, pour une fois, j'ai envie de la lumière du Nord, du Siècle d'Or de la peinture hollandaise, des clair-obscur de Rembrandt, des natures mortes, des maisons sur les canaux, de Van Gogh, des péniches sur l'eau... En dehors des guides touristiques, j'aime établir un programme littéraire à suivre et j'ai commencé par un roman de Gerbrand Bakker, "Le détour", publié chez Gallimard en 2013. Le personnage principal, une femme d'une quarantaine d'années fuit Amsterdam pour le pays de Galles. Elle fuit surtout un scandale lié à une liaison avec un étudiant à l'université où elle enseigne. Cette fugue s'accompagne d'une rupture avec son mari et ses parents, car elle se cache dans une petite maison qu'elle loue près d'un village. Commence pour elle une vie quotidienne, bercée par la lecture des poèmes d'Emily Dickinson (elle prépare une thèse sur la poétesse américaine) et par des balades dans la campagne galloise. Elle observe les oies qui vivent dans un pré, jardine, bricole, améliore son habitat quand, un jour, un jeune homme fait irruption et s'installe chez elle. Ils vont se découvrir et s'apprivoiser au fil des jours et partager leur malaise existentiel. Ce roman n'est pas un roman d'aventures, ni un roman social ou politique. Il prend ses racines dans l'étrangeté, dans une ambiance tendue de thriller nordique. Le lecteur(trice) se laissera séduire par cette femme qui se dérobe, lâche prise, et essaie de survivre dans un environnement rude, hostile et inhospitalier. Un roman néerlandais vraiment surprenant et original à découvrir.

mercredi 12 février 2014

Atelier de lecture, 2

Dans la deuxième partie de l'atelier, nous avons abordé les romans tirés au sort en janvier. Janine a évoqué le recueil de François Cheng, "A l'orient de tout", publié dans la collection Poésie/Gallimard en 2005. Elle a beaucoup apprécié la place centrale de la nature dans les poèmes, en particulier celle des arbres et elle a lu à voix haute un texte sur le printemps. Ensuite, plusieurs romans concernaient l'Afrique du Sud. Janelou a découvert l'univers romanesque de Nadine Gordimer avec "L'arme domestique", édité en 1998. Malgré un style qui l'a un peu gênée, elle a relaté l'histoire d'un jeune Afrikaner blanc, issu d'une famille bourgeoise et ayant commis un meurtre passionnel. Ses parents sont abasourdis par le geste de leur fils et comprennent que la violence règne dans la société. L'avocat noir de leur fils les soutient dans leur cauchemar. Un roman fort, qui "remue" le lecteur(trice). Geneviève a aimé  le deuxième livre de Nadine Gordimer, "Bouge-toi", un roman qui brasse peut-être un peu trop de sujets comme l'écologie, le racisme, la solitude, le couple, le sida, l'adoption, les droits de l'homme. Evelyne a présenté "Des vies sans couleur" de Zoé Wicomb, publié en 2006. En résumant l'intrigue, une histoire de mensonge sur les origines du personnage central, elle a parlé de "malaise" en le lisant. La littérature peut aussi provoquer un certain rejet quand le sujet "dérange". Danièle avait tiré au sort le roman de Doris Lessing, "Le monde de Ben", ou l'histoire d'un être hors du commun, un jeune homme de 18 ans qui sera victime d'un puissant directeur de laboratoire. Ce roman traite de la différence, du handicap et de l'anormalité, un sujet fort et troublant dans l'œuvre de Doris Lessing. Dany a lu avec intérêt "Home" de Toni Morrison, une histoire d'un frère et d'une sœur dans l'Amérique des années 50, une Amérique raciste et intolérante. Véronique a choisi "Lambeaux" de Charles Juliet, un récit autobiographique sur la mort de sa mère dans une institution psychiatrique et sur son expérience d'enfant de troupe. Elle a trouvé ce texte très dur mais très vrai, servi par une langue française remarquable. Nicole a peu aimé l'essai pourtant très intéressant d'Agnès Desarthe, "Comment j'ai appris à lire" paru en 2013 et Régine a clôturé la séance en évoquant le recueil de nouvelles d'Alice Munro, "Un peu, beaucoup... pas du tout", neuf histoires de femmes, neuf histoires d'amour mais, Régine ressent une frustration quand elle lit ce type de textes, trop courts pour elle... Les livres tirés au sort sont parfois appréciés, parfois dépréciés, ainsi va le monde des livres et des lecteurs...

mardi 11 février 2014

Atelier de lecture, 1

Nous étions une bonne dizaine de lectrices à nous retrouver ce mardi 11 février à la Maison de Quartier du centre ville de Chambéry où nous sommes toujours très bien accueillies. Dans la première partie de l'atelier, nous avons abordé les coups de cœur en démarrant avec l'intervention d'Evelyne. Elle a lu deux poèmes, l'un de Ronsard, "Bonjour, mon cœur, bonjour ma douce vie" d'une modernité époustouflante et l'autre de Cocteau, très amusant sur l'écriture,  tirés d'une anthologie de poésie de 7 à 77 ans, publié aux éditions Bayard-jeunesse. La lecture à voix haute prend tout son sens pour partager la beauté du langage et nous donner envie de nous plonger à nouveau dans la poésie. Mylène a relaté l'excellent spectacle de Bernard Pivot à Montmélian où il a évoqué son goût des mots, des livres et de la "bonne vie". Nicole a enchaîné avec un coup de cœur pour le roman de la suédoise Katarina Mazetti, "Le mec de la tombe d'à côté" ou l'histoire d'une bibliothécaire, devenue veuve trop jeune et qui rencontre un paysan solitaire... Roman tendre, ébouriffant et plein d'humour. Janelou a présenté "Béton armé" de Philippe Rahmy, un récit de voyage à Shanghai, mais aussi un récit de sa vie, un ouvrage bouleversant. Il est atteint de la maladie des os de verre et malgré ce handicap, il part dans cette ville monstrueuse qui le fascine. Il mêle dans son récit, ses souvenirs d'enfance, ses rêves et ses fantasmes. Janelou nous a lu un passage magnifique sur la découverte de la lecture dans son enfance. Un livre à lire de toute urgence. Régine nous a conseillé deux romans édités en livre de poche : "La petite cloche au son grêle" de Paul Vacca et "Les lisières" d'Olivier Adam. Le premier raconte la vie d'un garçon de 13 ans dans un café familial, et de sa découverte de Marcel Proust, le second dont on a déjà parlé dans l'atelier a déclenché un débat sur le personnage principal, en proie à la dépression et au désenchantement, un héros moderne... Geneviève nous a parlé d'un livre original, "1000 émotions qui n'ont pas de nom" de Mario Giordano aux éditions Stock, un joli petit livre à la Perec, avec des listes de phrases sur ces émotions que l'on éprouve dans son quotidien. Une idée de cadeau à retenir. Danièle a présenté le chef d'œuvre incontournable et intemporel de Gabriel Garcia Marquez, "Cent ans de solitude" dans un format original des éditions Point 2. La vie de six générations dans la ville colombienne de Macondo a réjoui, réjouit et réjouira les amateurs d'une littérature baroque, haute en couleurs et d'une humanité proche d'une certaine folie, une folie sud-américaine au goût universel. Dany a terminé cette première séquence en citant la biographie de Louis Pasteur d'André Besson, un ouvrage très bien documenté sur ce savant à qui on doit tant de découvertes. La suite, demain...

lundi 10 février 2014

"Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie"

La notice biographique de François Cheng sur le site Internet de l'Académie française m'a permis de brosser le portrait de ce grand écrivain français d'origine chinoise. Ses  "Cinq méditations sur la mort" parus en 2013, suivent les "Cinq méditations sur la beauté".  Il est né en 1929, en Chine, issu d’une famille d'universitaires. Il rentre en France en 1948 et se consacre à l'étude de la langue et de la littérature françaises. Après une période difficile, il obtient, en 1960, un emploi stable au Centre de linguistique chinoise. Il traduit les grands poètes français en chinois et rédige sa thèse de doctorat. En 1969, il est professeur à Paris VII.  Naturalisé français en 1971, il poursuit sa carrière d'enseignant à l'Institut national des langues et civilisations orientales, ce qui ne l'empêche de composer des traductions du chinois en français et du français en chinois. Il se passionne pour l'art chinois, la calligraphie, la poésie, la littérature romanesque. Il obtient le prix André Malraux pour Shitao, la saveur du monde, le prix Roger Caillois pour ses essais et son recueil de poèmes Double chant et le prix Femina pour son roman Le Dit de Tianyi. Il a été élu à l'Académie française en 2002. Ces cinq méditations se lisent avec facilité car François Cheng veut rendre accessible sa philosophie, une philosophie teintée d'humanisme, de taoïsme et de christianisme. Son esprit de synthèse apporte une vision originale sur la pensée de la mort dans toute vie humaine. Il écrit ainsi : "Au cours de la vie, chacun de nous a été confronté de près ou de loin à la mort d'êtres chers ou à celle d'inconnus, et sur un autre plan, nous sommes "morts" plusieurs fois nous-mêmes. (...) C'est notre conscience de la mort qui nous fait voir la vie comme un bien absolu, et l'avènement de la vie comme une aventure unique." Son ouvrage est parsemé de phrases percutantes, lumineuses, rassurantes, compatissantes et composées sans le poids quelquefois étouffant de la pensée religieuse. Il cite aussi Rilke, Camus, Hugo, etc. Je terminerai l'éloge de ce livre en notant ce poème de François Cheng qui traduit le sens de ses méditations :
"Ne laisse en ce lieu, passant
Ni les trésors  de ton corps
Ni les dons de ton esprit
Mais quelques traces de pas

Afin qu'un jour le grand vent
A ton rythme s'initie
A ton silence, à ton cri,
Et fixe enfin ton chemin."
 

vendredi 7 février 2014

"La discrétion ou l'art de disparaître"

Pierre Zaoui, l'auteur du livre, "La discrétion ou l'art de disparaître", enseigne la philosophie à Paris VII. Il a écrit un ouvrage sur Spinoza et un essai très remarqué dans la presse, "La Traversée des catastrophes". Dans son dernier opus qui se lit sans trop de difficultés, il aborde un sujet très intéressant et peu traité dans la littérature : la discrétion. Dans la présentation que l'éditeur propose en couverture, on peut lire ce résumé : "Dans une société qui valorise le paraître et les confessions à grand spectacle, la discrétion est une forme heureuse et nécessaire de résistance. Plaisir baudelairien de flâner anonymement parmi la foule, joie silencieuse de regarder son amour dormir ou ses enfants jouer sans qu’ils remarquent notre présence, soulagement de voir s’éloigner enfin le désir de triompher : loin de la dissimulation, du calcul prudent, ou de la peur d’être vu, l’âme discrète offre une juste présence au monde." Pierre Zaoui évoque les grands discrets de la littérature, de Kafka à Blanchot, de Deleuze à Virginia Woolf et Walter Benjamin, pour cerner cette expérience "rare, ambiguë et infiniment précieuse".  Je vais surtout citer Pierre Zaoui dans ce passage à méditer quand on traverse une période délicate entre parent-enfant : "N'est-ce-pas la seule façon d'aimer ses enfants que de ne s'y attacher et de les élever que pour mieux les laisser partir et les laisser vivre leur vie propre dans le juste oubli de leur filiation tandis que de son côté on se contentera de se demander jusqu'au bout comment ils vivent mais en posant de moins en moins de questions, en se manifestant de moins en moins, en les confiant simplement à leur liberté ?" Lire une phrase de cette dimension vaut toute la lecture parfois complexe de ce livre, édité chez l'éditeur Autrement dans la collection "Les grands mots"...

jeudi 6 février 2014

"Standard"

Je n'ai pas éprouvé une grande émotion en lisant ce roman de Nina Bouraoui, mais je l'ai pourtant terminé pour deux raisons : j'ai apprécié la description de notre société, une société française tendue et le portrait d'un homme d'aujourd'hui, anonyme et standardisé. Bruno Kerjen travaille dans une entreprise de composants électroniques et il consacre son temps de nuit sur Internet dans des sites pornographiques. Pas de sentiment, pas d'idéal, aucune croyance, aucune idéologie : il est terne, d'une "ternité" permanente, mais il n'est pas malheureux. Son indifférence aux autres, à ses parents et à son entreprise le rassure et le conforte dans sa méfiance du monde. Cet homme de 35 ans n'attend rien de la vie, il est au point mort, à plat. A l'occasion d'un séjour chez sa mère, près de Saint-Malo, il rencontre son ancienne amie, Marlène, qu'il a connue au lycée professionnel. Il était amoureux d'elle mais n'a jamais osé lui parler de son sentiment. Il se  met pourtant à imaginer qu'ils pourraient entamer une relation, d'autant plus qu'elle le relance et se confie au téléphone. Ils vont se revoir sur la base d'une amitié amoureuse. Cet homme "standard", que l'on ne remarque pas dans la foule anonyme de la banlieue, décide d'agir et de la séduire. Il se remet à la musculation, commence à rêver d'une autre vie. Elle a des problèmes d'argent et lui demande de l'aide pour lancer une petite entreprise. Il va accepter d'utiliser ses propres économies pour qu'elle se réalise son rêve professionnel. Ils se retrouvent dans un hôtel et Bruno espère enfin qu'ils vont "s'aimer"... Mais, je ne dévoilerai pas l'issue de leur rencontre. Bruno va-t-il enfin changer sa vie ? Marlène partage-t-elle le même sentiment que lui ? Nina Bouraoui réussit paradoxalement à nous intéresser à ce personnage sans illusions et sans passions et le lecteur(trice) espère que Bruno éprouve dans sa vie une passion pour un être, un idéal ou la vie, tout simplement...

lundi 3 février 2014

"Ailleurs"

Richard Russo puise son inspiration dans une petite ville américaine, Gloversville,  dans l'Etat de New York. Il évoque la classe moyenne avec un art magistral et son talent littéraire s'affine roman après roman. J'ai beaucoup aimé  "Le pont des soupirs", "Les sortilèges de Cap Cod", "Un homme presque parfait" publiés au Quai Voltaire. Son dernier récit dresse le portrait de sa mère, aujourd'hui disparue. Elle élève son fils toute seule, son mari l'ayant quittée pour incompatibilité caractérielle. C'est une femme "libre, sans entraves, anticonformiste", mais elle présente une  fragilité évidente, provoquée par la hantise de la pauvreté. Ils vivent dans une petite maison chez les grands parents et leur cohabitation ne se passe pas au mieux. Sa mère décide de partir à Phoenix en parcourant 4000 kilomètres dans une vieille voiture. Richard Russo décrit leur vie chaotique et précaire et évoque très vite, dans ce récit vraiment exemplaire de lucidité et de vérité, la relation complexe de "mère-fils".  Même enfant, il l'observe en proie à l'anxiété, à la nervosité et au déséquilibre affectif. Son père lui avoue qu'elle est "cinglée" comme il le dit dans son langage populaire. Quand Richard Russo accède à la notoriété littéraire, sa mère lui pose un éternel problème. Elle ne vit que pour lui, exige sa présence, et il est obligée de la loger dans des appartements qu'elle n'apprécie jamais. Sa mère devient un poids dans sa vie quotidienne mais, il renonce à la contrarier ou à la contredire. Le dévouement du fils semble exceptionnel surtout quand sa mère devient une femme vieillissante tyrannique et éternellement insatisfaite. Il commence à comprendre, quand elle tombe malade, qu'elle a souffert tout au long de son existence de troubles compulsifs du comportement. Cette maladie psychique n'était pas diagnostiquée dans les années 60. Dans le dernier chapitre, il avoue ses regrets de ne pas avoir compris le handicap mental de sa mère, submergée par ses angoisses, ses tocs et sa peur de l'abandon. Ce récit aborde l'éternelle et délicate question de la filiation, de la maternité, de la relation parents-enfants, si complexe et si difficile à vivre. Richard Russo a écrit un témoignage littéraire émouvant et sans pathos, le "livre de sa mère", l'histoire d'une vie où la maladie mentale non soignée peut provoquer un immense gâchis...