vendredi 9 juin 2017

"La nature exposée"

Erri De Luca vient d'écrire "La nature exposée", édité chez Gallimard. Tous ses lecteurs connaissent son engagement politique en faveur des migrants et de l'écologie. Sa lecture quotidienne de la Bible influence son oeuvre. Son dernier opus, un conte contemporain, résume à merveille son monde poétique et religieux. Le personnage principal vit dans un petit village de montagne. Il organise des passages périlleux à travers les cols pour faire passer les réfugiés de l'Italie à l'Autriche. Mais, il ne demande rien à ces infortunés. Ce geste généreux le marginalise et l'oblige à quitter son village. Comme il est artisan sculpteur, il part chercher du travail sur la côte. Un curé lui confie une mission étrange : restaurer un Christ en marbre dont le pagne a été rajouté pour cause de décence. L'artiste qui a signé cette œuvre est mort dans la montagne et n'aurait pas supporter cette censure.  Faut-il réparer cet affront ? L'artisan demande de l'aide à un rabbin qui lui explique les Evangiles. Il reçoit d'un ouvrier musulman un bloc de marbre pour rénover la statue. Il rencontre une femme athée avec laquelle il noue une relation amoureuse. Erri de Luca utilise une histoire forte et simple pour parler de la place de la religion dans la société. Les trois religions monothéistes sont représentées sous une forme de dialogue ouvert établissant des passerelles fraternelles. Cet idéal de réconciliation entre religions et athéisme traverse le roman de la première page à la dernière. Le Christ crucifié va retrouver sa nudité naturelle. Mais, dans un roman de Erri de Luca, certaines phrases claquent comme des paroles philosophiques. Je citerai celle-ci : "J'entends le bruit amplifié de la vague qui passe et repasse sur le gravier. C'est le plus vieux bruit du monde, il est là depuis les premiers âges de la Terre. Il y était quand personne ne pouvait l'entendre. Il a mis des millions d'années avant de se glisser dans une ouïe. Ce sont des pensées qui montent de mes pieds nus sur le gravier de frontière entre la terre et la mer". Et un deuxième passage concernant les livres du rabbin quand le sculpteur en renverse quelques uns : "Ils ne sont pas fragiles, ils se laissent maltraiter. Ils résistent mieux que nous à l'usure, au gel, aux exils et aux naufrages. Leur prodige est de savoir prendre le temps de celui qui lit. On ouvre Homère et on le trouve à côté de soi. On le referme et il s'en retourne dans ses siècles". Simplicité, bonté, "confraternité", compassion,  Erri De Luca semble unique dans le monde de la littérature mondiale...