jeudi 12 août 2021

"La force de l'âge", 3

J'ai découvert dans "La force de l'âge" la passion de Simone de Beauvoir pour les voyages : "Voyager : ç'avait toujours été un de mes désirs les plus brûlants. Avec quelle nostalgie, jadis, j'avais écouté Zaza quand elle était revenue d'Italie !". Cette grande randonneuse a sillonné la France dans toutes les régions, surtout près de Marseille quand elle a été nommée professeur de philosophie. Elle découvre seule les calanques, les massifs proches, sans aucune sécurité et même chaussée de sandalettes légères. La marche et la pratique du vélo font partie de ses loisirs préférés : "chaque promenade était un objet d'art". Je n'avais pas imaginé une Simone téméraire, sportive, intrépide, frôlant même de nombreux dangers dont celle de la curiosité malsaine de quelques hommes seuls. Avec Sartre, elle entreprend des voyages à l'étranger, des parenthèses heureuses, surtout en Italie qu'elle adore, l'Espagne, la Grèce, l'Allemagne, Londres, etc. Elle recherche des traces littéraires et artistiques dans les capitales alors que Sartre s'intéresse davantage aux conditions sociales. Elle avoue que parfois, elle était "consternée" par leurs divergences tellement elle souhaitait la plus ample "harmonie" dans leur couple. Les mémoires décrivent l'environnement des villes, gangrenées par une extrême pauvreté en particulier dans ces pays du Sud qui n'étaient pas, dans les années 30, couverts d'hôtels et de piscines. Le tourisme mondial ne sévissait pas comme aujourd'hui et beaucoup de lieux conservaient un cachet d'éternité, en particulier le site archéologique de Délos, près de Mykonos. Dans ces relations de voyage, elle note tous les détails les plus infimes qui donnent une réalité tangible à tous les paysages qu'elle décrit. A Athènes, des enfants dépenaillés n'hésitent pas à lancer des cailloux aux étrangers. A Barcelone, elle arpente les rues moites de chaleur, se gavant de "tasses de sauce noire" (du chocolat !) et savourant tous les endroits les plus atypiques. Cette curiosité insatiable prouve son adhésion au monde qu'elle ressentait au contact du réel. Tout l'intéressait : les humains comme les paysages, les modes de vie, les nouvelles techniques de son temps comme l'aviation inabordable. Elle compulsait les "guides bleus avec frénésie". Elle ressent une certaine jubilation en découvrant Avila : "A Avila, le matin, j'ai repoussé les volets de ma chambre ; j'ai vu, contre le bleu du ciel, des tours superbement dressées ; passé, avenir, tout s'est évanoui ; il n'y avait plus qu'une glorieuse présence : la mienne et celle de ces remparts, c'était la même et elle défiait le temps. Bien souvent, au cours de ces premiers voyages, de semblables bonheurs m'ont pétrifiées". Il faut préciser que nos deux acolytes disposaient de confortables vacances avec leur métier respectif d'enseignant...   (La suite, demain)