mercredi 28 décembre 2016

"Eloge de la lecture et des livres"

J'ai réfléchi sur la teneur de ce dernier billet de l'année : une critique de roman, de film, une rubrique musique, un compte-rendu d'atelier ou de voyage ? J'ai fouillé ma bibliothèque et j'ai trouvé deux petits volumes charmants dans la collection "Le petit Mercure" dont les titres commencent toujours par "Le goût de...". J'aime les petits formats et tous les amateurs(trices) d'escapades européennes connaissent la série sur les villes et les pays du monde entier. Mais, l'éditeur Mercure de France a ajouté une thématique éclectique avec le goût du café, des chats, de la forêt, de la nostalgie, du rêve, du rugby, et. Au total, une centaine de titres existe pour tous les goûts et pour toutes les couleurs, des anthologies de textes courts, extraits de romans et d'essais... J'ai remarqué dans la collection, deux titres exceptionnels à mes yeux de passionnée des livres : "Le goût des livres" et "Le goût de la lecture". Le premier volume rend hommage aux professionnels du livre ( les éditeurs, les libraires) et aux amateurs éclairés (bibliophiles, bibliomanes, bouquinistes). L'ouvrage est composé de trois chapitres : grandeur du livre, du fétichisme des volumes, bibliofolies et autres bizarreries. De Charles Nodier à Paul Valéry, de Gustave Flaubert à François Bon, les textes célèbrent la passion de ces objets de papier qui ne quitte jamais les grands lecteurs(trices). Dans l'introduction, l'auteur-concepteur du volume, écrit : "Les livres donnent corps, matériellement, à ce qui a pu nous instruire, nous enchanter, nous surprendre, ils portent en eux la trace de ce que nous sommes, ils nous ont donné nos plus belles heures, ils nous ont aidés à peaufiner nos idées, à mieux penser." Les livres prennent vie avec les lecteurs(trices) et le deuxième volume, "Le goût de la lecture", donne la parole aux écrivains qui, sans lire, ne peuvent écrire. L'éloge de la lecture se loge dans de très nombreux textes littéraires et je ne peux pas citer tous les auteurs convoqués dans l'anthologie. J'ai retenu Alberto Manguel, Georges Perec, Pierre Dumayet et surtout un écrivain peu connu en France, Robert Lalonde du Québec. Je lui laisse la parole pour une définition de la lecture : "Est-ce encore moi que je revois, adolescent encagé, en qui ça a commencé d'exploser, au ralenti, petit être insignifiant mais emporté déjà dans une universalité sans limites, loin de cet empêchement généralisé dont les autres ont tristement l'air de s'arranger, comme on survit à un deuil ou à un exil. Les livres que j'ai lus - les bons, les donneurs de fièvre, les bousculants, les essouflants m'ont bien davantage sauvés que ceux que j'ai écrits." Pour ce dernier billet plus long que d'habitude, je tenais à rappeler l'objectif de ce blog : transmettre l'amour des livres et de la lecture... 

lundi 26 décembre 2016

Philosophie magazine

Le dernier numéro de l'année de "Philosophie magazine" a choisi un sujet contemporain : "Suis-je l'auteur de ma vie ? ou comment reprendre en main son existence". Le texte introductif du dossier central expose la question : "Désenchaînés des traditions, nous sommes nombreux à tenter de creuser la distance avec les conformismes pour nous forger une existence qui nous ressemble vraiment." "Etre l'auteur de sa vie" peut sembler paradoxal mais c' est une formule séduisante et intimiste. La revue a choisi quatre philosophes pour illustrer ce thème : Michel Foucault, Paul Ricoeur, François Jullien et Peter Sloterdijk. "S'inventer, se raconter, se laisser être", ces verbes façonnent ce nouvel art de vivre. Le dossier central propose des portraits d'inconnus ayant choisi une nouvelle vie, des textes sur la pensée des philosophes invités et des références bibliographiques. La revue de décembre/janvier offre aussi une enquête très instructive sur l'idéologie du nouveau FN : "Dans la tête de Marine Le Pen". Un entretien avec Michael Tomasello nous éclaire sur l'espèce humaine et son don de communication : "Seul, l'homme a la capacité de partager son attention". Philosophie magazine détient une très bonne tradition en nous présentant en fin de pages un classique revisité et ce mois-ci, j'ai découvert avec plaisir le grand, l'immense Epicure. Un petit cahier détachable nous permet de constituer une petite bibliothèque portative, constituée de tous les philosophes célèbres. Jean-François Balaudé, spécialiste de l'Antiquité et traducteur d'Epicure, préface la "Lettre à Ménécée" et nous aide à comprendre Epicure. Né en 341 av. J.C. à Samos, il fonde à Athènes,  le Jardin en 306 av. J.C. Il prône la discipline pour atteindre l'harmonie, recommande de ne craindre ni les dieux, ni la mort. Marcel Conche résume la pensée d'Epicure : "Cette liberté est une des quatre conditions du bonheur avec le rejet de la crainte de la mort, la  régulation des désirs et la capacité d'endurer la douleur." Ce philosophe grec aimait la sobriété et basait sa vie sur l'amitié. Lire cette revue stimule l'envie de découvrir des philosophes, des idées nouvelles, des concepts singuliers. La philosophie grâce aux livres, aux cours et à cette revue, ne s'apparente pas à un univers opaque et incompréhensible. Bien au contraire, elle se comprend, se dévoile, s'éclaire et s'appréhende sans peine. Des Grecs aux Modernes, le monde chatoyant de la pensée philosophique est ouvert à tous, petits randonneurs ou alpinistes confirmés car  tous les sommets sont accessibles en prenant le chemin adéquat...

jeudi 22 décembre 2016

Rubrique cinéma

Le film, "Manchester by the sea" du réalisateur, Kenneth Lonergan, passe en ce moment à l'Astrée et bien que son sujet n'a rien de festif, il mérite notre attention. Dès les premières images, le personnage central, Lee Chandler, un jeune homme taciturne et peu sympathique, travaille comme homme à tout faire dans un grand ensemble. Il semble désespéré, déprimé, et son travail le laisse indifférent. Il fréquente des bars pour s'alcooliser et ne craint pas de jouer les durs à coups de poing. Cet homme étrange, bourru et solitaire cache un drame terrible : ses trois enfants ont péri dans un incendie, provoquée par un feu de cheminée alors que leur père, Lee, était parti à la superette acheter des bières. Cette révélation explique son comportement suicidaire, son sentiment de culpabilité car il a tout perdu dans un moment stupide, peu après une fête arrosée entre copains. Quelques mois après le drame, Lee, séparé de sa femme qui ne lui pardonne pas sa négligence, affronte la mort subite de son frère aîné. Ce frère, pêcheur de métier, lui laisse en héritage, la tutelle de son neveu. Les retrouvailles inattendues de Lee et de son neveu forment la trame principale de ce film intimiste. Comment revenir dans cette communauté qui le rejette pour son acte ? Comment apprendre à cohabiter avec un adolescent en deuil, partagé entre son désir de vivre et la perte de son père ? Lee va devoir composer un rôle d'adulte référent, supportant avec patience les conquêtes féminines de son neveu et ses copains envahissants. La relation oncle-neveu ne semble pas harmonieuse et se déroule dans un conflit permanent. Ces deux hommes en crise, (le jeune homme, grisé par la vie et son oncle, brisé par sa tragédie), vont finir par trouver un terrain d'entente mais je ne dévoilerai pas la fin de ce film grave et profond sur la perte et sur le deuil. Comment se remettre de ce chaos psychique ? Lee trouve une réponse timide dans le retour de la responsabilité en tant que tuteur. Les paysages océaniques et la présence de la musique classique accentuent la beauté de ce film sensible et émouvant.

mercredi 21 décembre 2016

"Laëtitia"

Un fait divers horrible a défrayé les chroniques journalistiques en janvier 2011. Laëtitia Perrais est morte, assassinée par un jeune homme brutal, drogué et sans domicile fixe. Le sociologue, Ivan Jablonka, consacre un livre-événement sur ce crime odieux. Son documentaire a obtenu le prix Médicis cette année et la critique littéraire a associé ce projet sociologique à une œuvre littéraire. Sociologie et littérature se retrouvent chez Annie Ernaux pour l'ensemble de ses écrits, chez Perec (Les Choses) sans oublier le roman reportage de Truman Capote avec "Sang froid". La vie de Laëtitia, avant son assassinat, est déjà parsemée de difficultés. Avec sa sœur jumelle, Jessica, Laëtitia vit dans un contexte familial éclaté, entre un père en séjour carcéral et une mère en dépression permanente. Elles sont placées dans une famille de parents d'accueil, gérée par le Conseil général. Leur séjour chez les "Patron" s'avère bénéfique pour toutes les deux, totalement déstructurées dans leur enfance malheureuse. A dix huit ans, les deux sœurs prennent des chemins différents dans leur scolarité un peu chaotique. Mais, Laëtitia commence à sortir avec des garçons et finira par croiser son meurtrier. Jessica, de son côté, a essayé de dénoncer le comportement de son père adoptif qui lui a fait subir des attouchements sexuels jusqu'au viol. Yvan Jablonka apporte un éclairage de sociologue sur cette jeunesse perdue et assassinée par la violence masculine. Le récit alterne des chapitres sur la vie de Laetitia dans tous ces aspects, sur l'enquête judiciaire où un certain Président français en fait une affaire d'état, sur l'environnement social, politique et historique de la région vendéenne. Dans un article du journal Le Monde, Ivan Jablonka explique sa démarche d'historien : "Je suis un humain parmi les humains, je suis un enquêteur qui va et vient entre le présent et les passés. (...) J'ai écrit comme un chercheur et comme un écrivain, mais aussi comme le père de trois filles, comme un citoyen soucieux de l'état de notre société, et aussi comme un homme. Je le dis au sens masculin, car les violences qu'ont subies Laëtitia, sa sœur, leur mère, il faut les regarder en face, collectivement." Ce récit de vie et de mort intègre beaucoup de témoignages recueillis chez tous les protagonistes de cet meurtre sordide. La petite Laëtitia est devenue notre petite sœur, une adolescente rayonnante et qui ne cherchait qu'à vivre. Un barbare inhumain a décidé que cette vie n'avait aucune importance...

lundi 19 décembre 2016

Les vingt meilleurs livres de l'année

La revue littéraire Lire du mois de décembre offre à ses lecteurs, la traditionnelle liste des 20 meilleurs livres de l'année 2016. Cette sélection me semble pertinente et met en valeur quelques titres importants à ne pas oublier dès que nous basculerons en 2017. A mon plus grand plaisir, la revue a choisi à l'unanimité, le roman formidable d'Elena Ferrante, "Le nouveau nom" qui a ensoleillé mon été en même temps qu'Hélios, (le dieu Soleil chez les Grecs anciens). La saga napolitaine démarre avec "L'amie prodigieuse", parue en Folio, suivie du "Nouveau nom". Le lecteur(trice)  devrait se précipiter dans les librairies pour l'offrir à Noël... J'attends le mois de janvier avec impatience pour lire le troisième tome de cette suite romanesque. Dans la catégorie des romans français, la revue a choisi Serge Joncour, "Repose-toi sur moi", un livre déjà très bien reçu cet automne. Richard Flanagan avec sa "route étroite vers le Nord lointain" a été élu le meilleur livre étranger où "le souffle de l'auteur emporte tout sur son passage". Dans la catégorie "Enquête", le récit bouleversant de Ivan Jablonka sur le meurtre atroce de  "Laëtitia" a emporté la distinction. Dans cette liste prometteuse de bonnes lectures, j'ai remarqué les ouvrages de Marie Darrieussecq ("Ecrire est une splendeur ou la vie de Paula M. Becker), celui de Négar Djavadi ("Désorientale"), premier roman français, la biographie de Simon Leys écrite par Philippe Paquet. Ce serait trop long de citer tous les récompensés par la revue dans les catégories BD, Jeunesse, Histoire, Polar, etc. Les finalistes sont notés en bas de page et même s'ils ne figurent pas au sommet, ils méritent toute notre attention bienveillante. La revue propose aussi un guide de beaux ouvrages d'art à offrir pendant les Fêtes. L'émission de François Busnel, "La grande librairie", est mise à l'honneur avec un reportage qui révèle l'enthousiasme et la camaraderie de l'équipe. J'apprends qu'une moyenne de 300 000 spectateurs suit la Grande Librairie. Cette audience de quelques centaines de milliers de lecteurs me rassure  sur l'extinction annoncée des amoureux des livres et de la littérature. Nous sommes encore nombreux (même si un match de football ou une émission de variétés en attirent des millions). La belle communauté de "croyants en littérature"  n'a pas besoin de la télévision pour se retrouver dans les librairies et dans les bibliothèques même si la Grande Librairie médiatise avec intelligence les écrivains d'aujourd'hui...

vendredi 16 décembre 2016

"L'Incandescente"

Claudie Hunzinger n'est pas très connue dans l'Olympe littéraire, mais son dernier roman, "L'incandescente", paru chez Grasset, révèle un vrai talent de conteuse espiègle. La narratrice rend un hommage émouvant à une amie de sa mère, Marcelle, grâce à la découverte de carnets et de lettres qu'elles se sont échangées pendant leur jeunesse. De cette amitié amoureuse née dans le début du XXe siècle, l'écrivaine, fille d'Emma, l'exploite avec une fraîcheur et une audace toute contemporaine. Marcelle écrit son amour fou pour Emma qui se met en retrait dans la relation. Les deux jeunes filles se rencontrent dans un mariage et vont se retrouver à l'Ecole Normale de Dijon pour devenir institutrices : "Et ça, c'était la promesse de quitter enfin leur village, leur "pays" comme elles disaient, d'élargir leur horizon derrière des murs, de s'y armer d'instruction, elles, des filles, et de conquérir leurs amours et leur lumière." Marcelle est nommée institutrice en maternelle et ces moments partagés dans l'école scellent leur relation amoureuse. Emma lui demande de ne pas l'oublier et de lui envoyer des messages : "Marcelle lui écrivait. Lui écrire, c'était l'aimer : je vous aime et j'ignore si c'est masculin ou féminin, c'est de vous que je brûle." Bien que séparées par leur travail, elles poursuivent leur relation épistolaire qui ne les empêchent pas d'avoir d'autres amours dans leur vie. Emma se marie avec Marcel et va donner naissance à sept enfants dont l'auteur qui parsème son texte de souvenirs de sa propre enfance. Marcelle va contracter la tuberculose, ce qui était fréquent à cette époque-là. Elle part se soigner dans un sanatorium où elle vit en huis clos avec des camarades atteintes comme elle, de cette maladie éprouvante et mortelle. Marcelle survit et part pour Briançon. La vie va les séparer mais elles continueront à s'écrire et à s'aimer. Ce beau roman "incandescent" est écrit avec un bonheur d'écriture assez rare dans la littérature d'aujourd'hui. Je cite une critique vue dans Page : "L'auteure est une conteuse hors pair, elle vous capte, vous embarque, ne vous lâche plus. Jamais de redondance, tout sautille, tout vibre." Un livre émouvant sur l'émancipation des femmes et sur la liberté d'aimer.

mardi 13 décembre 2016

"L'insouciance"

Dès que j'ai ouvert "L'insouciance" de Karine Tuil, je ne l'ai plus quitté... Ce roman avec son souffle romanesque emporte le lecteur(trice) dans les méandres tempétueux des trois personnages principaux. Quelques romanciers d'aujourd'hui ont conservé un héritage précieux : raconter une histoire palpitante, contemporaine, politique et psychologique. Karine Tuil a choisi trois figures significatives de notre société : un lieutenant, Romain, revenu d'Afghanistan, un patron juif, François, accusé de racisme et Osman, un fils d'immigrés ivoiriens, conseiller du Président de la République. Le militaire a vécu une attaque traumatisante sur le terrain afghan et les séquelles post-traumatiques le perturbent dans sa vie de couple. Il se détourne de sa famille et tombe fou amoureux d'une journaliste, Marion qui le rencontre à Chypre, une étape thérapeutique pour les soldats français. Cette journaliste est mariée à François Vely, un capitaine d'industrie dans la téléphonie. Cet industriel richissime soupçonne sa jeune femme de le tromper avec ce militaire modeste et ravagé par la guerre. Il nie ses origines juives et se retrouve malgré lui dans une histoire familiale mouvementée car son fils devient un religieux fervent. Il est aussi soupçonné de racisme anti-noir à cause d'une photo people où il s'assoie sur une sculpture représentant une femme noire. Osman, lui aussi est en crise. Il démissionne de son poste après avoir commis un mouvement d'humeur quand un conseiller du président lui demandait comment il vivait ses origines d'immigré africain. Karine Tuil leur donne la parole simultanément et des évènements se télescopent car les trois personnages se retrouvent confrontés à leurs origines sociales, ethniques et culturelles. Je ne dévoilerai pas l'accélération du récit dans la dernière partie quand les trois hommes se retrouvent dans un pays du Proche-Orient et l'un d'entre eux est enlevé par un groupe armé... Je regrette que ce roman n'ait pas obtenu un prix littéraire car le thème de l'identité percute notre société et produit des tensions évidentes. Une écriture fiévreuse, un sujet sensible, des personnages en crise, des amours difficiles, une société "intranquille", tous ces ingrédients composent un très bon roman, l'un des meilleurs de cette rentrée.

lundi 12 décembre 2016

Jeudi des Livres, 3

Quand Danièle a proposé le thème de l'enfance, j'ai tout de suite pensé à Georges Perec et à son "W ou le souvenir d'enfance". Cet ouvrage, paru en 1975 chez Denoël, se compose de deux récits : une autobiographie et une utopie. L'autobiographie fragmentaire concerne l'enfance de Georges Perec, enfant de la guerre, enfant juif recueilli par sa famille paternelle à Villard de Lans, dans le Vercors. L'écrivain, alors âgé de trente neuf ans, raconte cette vie d'enfant qu'il essaie de revivre en sondant sa mémoire hésitante. Ses parents, d'origine juive polonaise, ont disparu : le père de Georges est mort à la guerre en 1940,  sa mère a été arrêtée et déportée à Auschwitz en 1943. Elle n'est jamais revenue du camp. L'écrivain mène une enquête sur cette enfance chaotique, solitaire et unique. Il fouille son moi profond pour retrouver les traces de ses parents, disparus à tout jamais. Sa quête désespérante de son enfance devient le socle fondateur pour comprendre ce malheur intégral. Il justifie sa démarche d'écrivain avec ces mots : "J'écris : j'écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j'ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leur corps ; j'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture : leur souvenir est mort à l'écriture ; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie." L'hommage émouvant de Perec à ses parents se devine sans cesse d'une phrase à l'autre. Pour apprécier ce roman autobiographique, il faut quelques clés pour comprendre le deuxième texte, une description d'un île utopiste, basée sur l'idéal sportif qui, au fur et à mesure, se transforme en cité totalitaire qui rappelle le nazisme. L'alternance des deux textes équilibre l'attention du lecteur avec, d'un côté, une émotion profonde en écoutant la voix de l'adulte sur son enfance perdue et, de l'autre, une réflexion sur un modèle de société idéale, dangereusement idéale. Georges Perec éclaire son projet d'écriture en opposant les deux textes qui forment la structure du livre : "Car il commence par raconter une histoire, et d'un seul coup, se lance dans un autre : dans cette rupture, cette cassure (...) se trouve le lieu initial d'où est sorti ce livre , ces points de suspension auxquels se sont accrochés les fils rompus de l'enfance et la trame de l'écriture." Ce livre fait partie des grands classiques du XXe siècle et Georges Perec, hélas, disparu à 46 ans d'un cancer des poumons, devrait être publié dans la Pléiade où il a toute sa place aux côtés de Kundera, Duras, et bien d'autres contemporains...  

vendredi 9 décembre 2016

Jeudi des livres, 2

Le sujet de ce jeudi des livres, l'enfance,  avait été proposé en novembre par Danièle. L'enfance peut se décliner de divers adjectifs : heureuse ou malheureuse, épanouissante ou traumatisante, rêvée ou vécue, fantasmée ou réelle, etc. Tous les lecteurs (et lectrices, surtout) de ma génération se souviennent du "Petit Chose" d'Alphonse Daudet, de "Vipère au poing" d'Hervé Bazin, de la saga de Pagnol, des "Grandes espérances" de Dickens, des "Misérables" de Hugo. Cosette fait partie de notre patrimoine culturel national et ce prénom est devenu un adjectif symbolisant l'enfance malheureuse. Comme nous étions peu nombreuses, cinq titres incontournables sur l'enfance ont été commentés. Danièle a beaucoup aimé "Enfance" de Nathalie Sarraute. Ce récit autobiographique, paru en 1983, relate comme le titre l'indique, l'enfance de l'écrivaine, alors âgée de 83 ans sous la forme d'un dialogue entre elle et cet enfant sur " quelques moments, quelques mouvements encore intacts, assez forts pour se dégager de cette couche protectrice qui les conserve, de ces épaisseurs (...) ouatées qui se défont et disparaissent avec l'enfance". Entre Paris et la Russie, la Suisse et Saint-Pétersbourg, Cette petite fille devenue une immense écrivaine s'interroge sur les souvenirs enfouis et ressurgissant dans la mémoire quatre vingt ans après. Ce magnifique texte sur l'enfance se lit et se relit avec une admiration évidente pour Nathalie Sarraute, exploratrice des tropismes, "ces petits mouvements indéfinissables qui glissent trop rapidement dans notre conscience". Danièle a aussi présenté le texte de Georges Perec, "W ou le souvenir d'enfance", qui mérite un billet à lui seul. Geneviève a lu un grand classique de la littérature française, "L'enfant" de Jules Vallès. Ce récit autobiographique dénonce avec véhémence les violences de sa mère sadique, d'un père ambitieux et indifférent, de l'école-caserne. Le narrateur raconte ces malheurs avec un humour ironique salutaire... Un classique à lire ou à redécouvrir.  Dany a beaucoup aimé "Sang impur" de Hugo Hamilton, paru en 2004, un roman autobiographique où il raconte son enfance à Dublin dans les années 60. La suite, lundi...

jeudi 8 décembre 2016

Jeudi des Livres, 1

Cet après-midi, nous nous sommes comptées sur les doigts d'une seule main pour le rendez-vous de décembre, le dernier de l'année. Cette hécatombe, (sept absentes quand même) pour ce jeudi des livres avec des "congés maladie", avec une panne de chauffage et des missions de grands-mères, ne m'a pas découragée car ces retrouvailles autour des livres se sont fort bien déroulées même en petit comité. Les coups de cœur ont démarré avec Danièle qui a évoqué un roman de Victoria Hislop, "L'île des oubliés", paru en 2005. L'héroïne, Alexis, découvre le passé de son arrière grand-mère sur une île crétoise, refuge d'une colonie de lépreux au début du XXe siècle. Ce livre-plaidoyer contre l'exclusion a touché de très nombreuses lectrices. Danièle, ayant effectué un voyage-randonnée au Cap-Vert, a lu " Cap-Vert, Notes atlantiques" de Jean-Yves Loude, écrit en 2002, un récit très intéressant de textes courts sur les dix îles qui forment cet archipel. Véronique a découvert le roman de Catherine Locarno, "L'enfant de Calabre". Ce roman-enquête pose le problème des secrets de famille avec un père mystérieux et adultère... Dany, bien que grippée, m'a envoyé ses coups de cœur et elle a particulièrement apprécié le livre de Valérie Zénatti, "Jacob, Jacob", prix du Livre Inter en 2015. L'écrivaine rend hommage à son grand-oncle Jacob, natif de Constantine, mort à 19 ans sur le front alsacien en 1944. Dany nous conseille aussi le roman de Jim Fergus, "La vengeance des mères". En 1875, un chef cheyenne, Little Wolf, propose au président Grant d'échanger mille chevaux contre mille femmes blanches pour les marier à ses guerriers afin de favoriser l'intégration... Demain, je consacrerai un deuxième billet sur le thème de l'enfance qui avait été choisi par Danièle. Ce petit cercle de lectrices a tout de même donné des grands coups de cœur... La lecture demeure et demeurera un plaisir partagé. Et je continuerai à me promener sur le chemin des livres tant que l'on se retrouvera au minimum à deux, à trois et au groupe entier...

mercredi 7 décembre 2016

Michel de Montaigne, 2

Michel de Montaigne compose ses Essais en s'appuyant sur ses lectures innombrables car, avant d'écrire, il a lu, beaucoup lu les auteurs latins et grecs en particulier. Cet immense lecteur a même consacré un chapitre aux livres (Livre II, chapitre 10) : "Je ne cherche aux livres qu'à m'y donner du plaisir par un honneste amusement ; ou si j'estudie,  je n'y cherche que la science qui traicte de la connoissance de moy mesmes, et qui m'instruise à bien mourir et à bien vivre." Il raconte dans ce chapitre, ses manières de lire en utilisant le terme "primesautier", ses préférences littéraires, ses poètes de prédilection comme Virgile, Horace, Lucrèce, ses historiens (Plutarque en particulier) et ses philosophes (Sénèque au sommet de ses choix). La table des matières des Essais résume à elle seule l'éclectisme de son œuvre "fourre-tout" : de la tristesse à l'oisiveté, de la solitude à la liberté de conscience, des menteurs aux cannibales, du dormir au démentir... Au menu de son œuvre unique et singulière, le lecteur peut saisir un sujet à sa guise sans suivre l'ordre des chapitres. Il est même conseillé de "picorer" une phrase, un extrait, une page, un chapitre pour approcher cet homme sage, sceptique, tolérant et honnête. Notre professeur a choisi les chapitres sur les boiteux, sur l'amitié avec Etienne de La Boétie qu'il nous a présenté en lisant à haute voix les extraits significatifs. Ce cours de l'Université populaire savoisienne a permis à ces nombreux participants de découvrir ou re-découvrir cet écrivain-philosophe avec plus de facilité. Avant de pénétrer dans ce labyrinthe de mots provenant du XVIe siècle, il faut aussi se nourrir de quelques ouvrages sur Montaigne dont ceux d'Antoine Compagnon ("Un été avec Montaigne") et de Sarah Bakewell ("Comment vivre ? Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse"). Je conseille aussi le "Montaigne" de Stefan Zweig, une biographie merveilleuse, car Zweig avait rencontré un "frère" dans ces temps horribles du nazisme. La liberté intérieure de Montaigne est le leitmotiv du livre et je termine cette modeste évocation de Montaigne en citant Stefan Zweig : "Celui qui pense librement pour lui-même honore toute liberté sur terre"... Montaigne, Stefan Zweig, le même combat pour la liberté de penser...

mardi 6 décembre 2016

Michel de Montaigne, 1

Depuis un mois, j'assiste aux cours de Daniel, mon professeur de philosophie, sur Montaigne. J'avais lu Montaigne trop tôt et il vaut mieux redécouvrir cet écrivain plus tard, comme Marcel Proust et d'autres classiques. La maturité apporte un nouveau regard sur les œuvres littéraires. Je le vérifie tous les lundis avec ce Montaigne commenté, décortiqué, disséqué et expliqué. La stimulation intellectuelle se réactive au contact d'un médiateur littéraire et dès que j'ai ouvert la pléiade de Montaigne, je me suis retrouvée au XVIe siècle. Les six cours de deux heures s'articulent sur la connaissance de ce siècle extraordinaire (le vrai siècle des Lumières, d'après notre professeur) : la Renaissance. Imaginons cette effervescence : les découvertes scientifiques, l'invention de l'imprimerie, le Nouveau Monde, l'homme au cœur de la société, la Réforme, le génie italien, la langue française, en un mot, la naissance de l'humanisme. Montaigne, notre Gascon des Lettres, naît en 1533 dans ce foisonnement artistique, intellectuel et politique. Il est élevé dans le château de Montaigne dont il prendra le nom. Son père l'éduque au latin dès son jeune âge et ce jeune homme, imprégné de lectures antiques, va occuper un poste de jurat dans la mairie de Bordeaux. Il rencontre l'ami de sa vie, Etienne de la Boétie, une relation d'admiration réciproque selon Montaigne. Il assiste aux événements sanglants de la guerre des religions entre Huguenots et catholiques. Avant de composer les Essais, Montaigne voyage à travers l'Europe, se marie, conçoit des enfants qui ne survivront pas. En 1571, il se retire dans sa tour d'ivoire, sa bibliothèque où il fait inscrire sur une des poutres : "Puisse le destin lui permettre de parfaire cette habitation, des douces retraites de ses ancêtres qu'l a consacrées à sa liberté, à sa tranquillité, à ses loisirs...". Et il écrit une sorte de journal intime, philosophique, historique, ethnologique, etc. Son projet d'écriture est le premier du genre dans l'histoire littéraire. Il n'est pas facile de le lire dans son texte d'origine car son français de l'époque est assez loin du nôtre, mais, je préfère le savourer dans cette langue râpeuse, imagée, bigarrée à l'orthographe fantaisiste et à la grammaire latinisée. La preuve avec cette phrase : "Certes, c'est un subject merveilleusement vain, divers et ondoyant que l'homme. Il est malaisé d'y fonder jugement constant et uniforme". La suite, demain.

lundi 5 décembre 2016

Ma retraite universitaire savoisienne

L'avantage de la retraite se situe dans une envie de retrouver un peu de sa jeunesse.... Ce paradoxe de la boucle me rappelle ma vie d'étudiante, rythmée par les cours en amphi, les travaux dirigés en petit groupe, les examens et les notes sanctionnant le passage d'une année à la suivante jusqu'à l'obtention de la licence. Puis, les périodes professionnelles se succèdent pendant près de quarante ans. De libraire à bibliothécaire, il faut lire beaucoup pour conseiller les lecteurs(trices) toujours en demande de conseils avisés sur les milliers d'ouvrages qui attendent sur les étagères et s'impatientent de sortir dans les mains de leurs emprunteurs. J'ai donc mis entre parenthèses les connaissances apportées par l'entremise des professeurs même si je me suis baignée dans les livres à chaque minute de ma vie. Depuis que j'ai quitté mon univers professionnel, (celui de la bibliothèque universitaire), j'ai retrouvé les bancs de... l'université. Chambéry dispose d'une Université Savoisienne du Temps Libre et propose des conférences le jeudi après-midi sur des sujets divers, délivrés par des professeurs de l'université. Je peux citer celles sur le catharisme, le pillage et la destruction du patrimoine antique, Verdun, etc. Les thématiques scientifiques prennent une place importante dans le programme de l'année. L'USTL propose aussi des sessions qui se déroulent en six séances et se répartissent dans trois domaines : la philosophie, l'art et la littérature. Monsieur Bouvier, professeur de philosophie, évoquera l'individualisme, Madame Gaufilet étudiera Van Weyden, Holbein, Velasquez, l'impressionnisme, Kandinsky et Sonia Delaunay. Apprendre le grec ancien, retrouver la philosophie, comprendre l'art, animer un atelier de lectures, ma retraite ne ressemble pas à un retrait... L'esprit, dit-on couramment, peut conserver sa jeunesse et je savoure mieux aujourd'hui avec les années cumulées, le monde du savoir et de la culture. Aller en cours n'est pas seulement réservé aux jeunes gens et les séniors que je rencontre dans ces séances ont une soif d'apprendre surprenante et intense. Ce goût de l'école permanente peut sembler ridicule, dérisoire et vaine, mais je considère que se cultiver, connaître et savoir sont des verbes que l'on peut conjuguer au passé, au présent et au futur...

vendredi 2 décembre 2016

La mythologie sur Arte

La chaîne culturelle franco-allemande, Arte, propose une série sur les Grands Mythes de l'Antiquité tous les samedis en fin d'après-midi à raison de deux épisodes par semaine depuis le mois d'octobre. François Busnel, l'animateur de la Grande Librairie, est à l'initiative de cette émission de vingt épisodes. Comme la Grèce antique fait partie de mes passions culturelles, je ne pouvais pas manquer ces rendez-vous hebdomadaires (on peut revoir les émissions en replay). Si beaucoup de dieux grecs, de héros, de mythes sont déjà connus (ou pas), le téléspectateur(trice) apprend les détails du mythe, remarque l'illustration basée sur des formes animées,  des vases grecs, des peintures de la Renaissance, des fresques murales antiques. Ce monde divin et aussi humain s'éclaire soudain grâce à ces épisodes très bien commentés par François Busnel. Il est donc question du dieu des dieux, Zeus, d'Hadès, de Prométhée, d'Athéna, d'Apollon, de Dionysos, d'Aphrodite, d'Hermès, d'Orphée, etc. Cette plongée temporelle vertigineuse révèle un monde polythéiste baroque où les dieux ressemblent aux hommes tant leurs passions, leurs haines, leurs malheurs, leurs bonheurs appartiennent à notre condition humaine. François Busnel, dans un interview, explique son projet en évoquant les mythes grecs comme les sources fondatrices de la littérature. Il écrit : "Ils nous permettent d'appréhender un sentiment, une émotion, une folie. Ils nous renseignent sur nous-mêmes. Ils représentent la part secrète mais essentielle de nos sociétés." Le réalisateur de la série admet qu'il fallait les "décaper" pour les montrer dans leur culture primitive. Gilbert Sinoué a co-écrit le scénario en respectant les mythes au plus près des textes de l'Antiquité. Ce n'est pas toujours facile de sensibiliser le public à ces histoires anciennes et Arte a réussi son pari audacieux de mettre à la portée de tous la mythologie grecque. Pour compléter les vingt épisodes des Grands Mythes, il faut lire un des plus beaux ouvrages sur ce sujet : "Le grand atlas de la mythologie" paru aux éditions Atlas avec une iconographie richissime, une analyse symbolique des mythes et une mise en page d'une clarté remarquable. Nous vivons dans un monde mythologique et nos dieux aujourd'hui vivent sur le mont Olympe des médias et il se passe beaucoup de drames avec des héros tragico-comiques...

jeudi 1 décembre 2016

Revue de presse

Le Magazine littéraire de décembre illustre sa couverture avec le portrait d'Elizabeth Badinter, que l'on voit aussi dans les médias à l'occasion de la sortie de son nouveau livre sur "Le pouvoir au féminin, Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780)", publié chez Flammarion.  La philosophe féministe s'est intéressée à cette femme de pouvoir, monarque éclairé, épouse amoureuse et mère comblée. Dans les articles consacrés à Elisabeth Badinter, le Magazine analyse la portée de sa pensée sur l'universalisme, sur la laïcité républicaine qui demeure un enjeu essentiel dans les sociétés contemporaines bousculées par des ruptures communautaristes religieuses. Il faut lire les ouvrages de cette femme libre, intransigeante et farouchement "Lumières". Ce dossier m'a donné envie de découvrir sa biographie sur le pouvoir féminin. La revue propose un entretien avec Pierre Michon dont on ne parle pas assez dans la presse littéraire. Françoise Chandernagor s'interroge sur l'absence des femmes dans les prix littéraires. Les nouveautés continuent à paraître en librairie et sont critiquées avec perspicacité. Un portrait de l'écrivain américain, Saul Bellow, occupe trois pages pour susciter un nouvel intérêt de notre part alors que les lecteurs l'ont un peu oublié. Pour fêter les 50 ans du Magazine littéraire, la revue offre une sélection "Grands et petits millésimes, 1966-2016". Ces listes de livres me ravissent toujours car elles me plongent dans mon passé de lectrice et correspondent à mes goûts et à mes intérêts. Quand je m'aperçois qu'un titre plébiscité pour telle année n'avait pas retenu toute mon attention, je me promets de le découvrir dans les temps prochains. Certains romans choisis me paraissent légitimes et dignes de figurer sur la liste cinquantenaire mais d'autres me semblent plus contestables. Ce numéro anniversaire, éclectique et curieux, termine l'année 2016 en rendant un hommage aux livres et aux écrivains ayant marqué notre temps littéraire depuis cinquante années... Cette initiative doit être saluée et quand je me rends compte que tous ces ouvrages recommandés sont passés dans mes mains, je mesure le temps passé à cette passion, la lecture, mon art de vivre,