jeudi 12 avril 2018

"Eugenia"

Quand Lionel Duroy publie un nouveau roman, je m'empresse de le lire. Et j'ai été très étonnée de constater que son registre romanesque s'était orienté vers la grande Histoire. Il nous avait habitués à des sagas familiales ("Le Chagrin) ou à des récits autofictionnels ("Echapper") et son "Eugenia", édité chez Julliard, aborde un sujet toujours d'actualité : l'antisémitisme. Dans ce roman historique, Lionel Duroy évoque la Roumanie dans les années 30. Eugenia, le personnage principal, est une étudiante brillante à Bucarest. Elle rencontre un écrivain d'origine juive, Mihail Sebastian, (qui a vraiment existé), venu faire une conférence à l'université. Elle est subjuguée par lui . Il est agressé par des jeunes appartenant à la garde de fer, un mouvement antisémite et fasciste, proche des nazis. La jeune femme assiste à la montée de l'antisémitisme car son propre frère déteste les Juifs et veut les chasser du pays. Il est même haut placé dans ce mouvement d'extrême droite. Eugenia prend conscience de cet état de fait en voyant son frère se comporter violemment contre l'écrivain. Dans le pays, des écrivains célèbres comme Mircea Eliade et Cioran, exaltent le nationalisme roumain et se compromettent avec l'idéologie nazie. La jeune femme, très amoureuse de l'écrivain, noue une relation avec lui alors que lui même ne pense qu'à sa compagne, comédienne connue et maîtresse volage. Eugenia lui voue une admiration sans fin et le protège du danger mortel d'être juif. Car la majorité des Roumains souhaite se "débarrasser" de leur population juive. Entre le communisme russe et le nazisme, le peuple romain et les élites politiques choisissent le pire système. Hitler va les aider dans ce projet mortifère. La jeune femme essaie de comprendre cette haine des Juifs et rompt avec sa propre famille. Elle assiste plus tard à un pogrom à Jassy dans son village natal. Cet événement horrible, nié par la population, engage Eugenia à franchir le pas : elle rejoint la Résistance. Dans un article du Monde des Livres, le critique écrit : "Qu'est-ce qui fait que dans une même fratrie, l'un adhérera à la Garde de fer, l'autre finira dans la résistance au fascisme ? Comment échappe-t-on aux voies tracées par d'autres ? Comment parvient-on à se tenir droit face au fracas du temps, avec son bagage intellectuel et familial ? Mihail Sebastian survivra dans ce chaos jusqu'à la fin de la guerre mais en 1945, il meurt dans un accident, écrasé par un camion soviétique. Eugenia, journaliste témoin de son temps, symbolise la droiture, la bonté et la lucidité. Lionel Duroy a écrit un roman ambitieux, souvent difficile à supporter, mais il ne faut jamais oublier le pire dans l'Histoire humaine pour éviter son retour...