lundi 10 février 2020

"Ordesa"

Le roman, "Ordesa", écrit par l'écrivain espagnol, Manuel Vilas, a obtenu le Prix Femina étranger à la rentrée littéraire. J'avais envie de le lire depuis longtemps et j'avoue que ce livre peut agacer ou enthousiasmer le lectorat. Mon intérêt pour cette autobiographie mémorielle repose sur quelques points communs que je  partage avec cet écrivain provoquant en moi une certaine résonance : un pays (l'Espagne) dont sont originaires mes grands-parents, une région (l'Aragon), un amour inconsolé (la perte de ses parents). Cet ouvrage est un cri d'amour : "Que leur parler me soit désormais impossible me semble l'événement le plus spectaculaire de l'univers, un fait incompréhensible aussi colossal que le mystère de l'origine de la vie intelligente. Qu'ils soient partis m'empêche de dormir. Tout est irréel, inexact, fuyant ou vaporeux depuis qu'ils m'ont quitté". Père quinquagénaire de deux adolescents un peu lointains, divorcé, le narrateur ne se remet pas de la mort de son père en 2005 et de sa mère, neuf ans plus tard. Comme une rupture insurmontable, incomparable, sa condition d'orphelin le met dans un état fortement dépressif. Il appelle les fantômes parentaux et les voit partout dans l'appartement. Il convoque dans ce récit quelque peu halluciné les souvenirs de son enfance des années 60-70 dans une Espagne franquiste qui s'ouvrait un peu à la modernité, à la société de consommation et des loisirs. Ses parents appartiennent à la classe "moyenne basse". Son père était représentant de tissus et parcourait le Nord du pays. Sa mère restait à la maison. Il se souvient de la beauté de ses parents, se promenant dans le village de Barbastro avec ce petit garçon, si fier de se montrer avec eux : "C'était le paradis. Mon paradis. Ils ont été mon paradis, mon père et ma mère que j'ai tant aimés. Comme nous avons été heureux et comme nous nous sommes écroulés". Sa mère prenait des bains de soleil et allait à la piscine municipale comme une pionnière. Son père fréquentait les bars, aimait les jeux d'argent, adorait sa voiture, une Seat. Mais malgré une vie de travail, le narrateur constate que ses parents n'ont jamais atteint un niveau de vie confortable : "L'Espagne n'a rien donné à mes parents, ni l'Espagne franquiste, ni l'Espagne monarchique". Des décennies plus tard, le narrateur constate qu'il vit dans la même précarité que celle de ses parents comme un déterminisme social. Il pose le problème de la transmission, de la fidélité, de la perte. Comment vivre sans la protection parentale, comment devenir un adulte ? Il évoque ses problèmes d'alcool, de solitude et de pauvreté. Peut-être que l'écriture de ce livre lui apporte l'apaisement nécessaire pour tenir debout… Ce récit intimiste résonne comme une sonate au piano de Schubert, teintée d'une mélancolie rageuse. Cet ouvrage a rencontré un large public en Espagne avec plus de cent mille exemplaires vendus. Il mérite le même succès en France.