mercredi 2 novembre 2016

"Les vies de papier"

Ce roman de Rabih Alamedinne vient d'obtenir le prix Femina étranger, prix bien mérité pour ce livre original. La narratrice de ce journal intime s'appelle Aaliya Saleh, ancienne libraire et femme insoumise à l'ordre social de son pays, le Liban. Elle vit au rythme des livres et de la littérature et ce personnage inventé par l'écrivain symbolise l'amour fou de Rabih Alemedinne pour ses héritiers littéraires. Aaliya a décidé de traduire un de ses auteurs préférés (Franz Kafka, Walter Benjamin,  Fernando Pessoa) et elle démarre ce rituel le 1er janvier de chaque année en s'adonnant à ce loisir intellectuel tout au long de l'année. Mais, entre les lignes consacrées à la littérature, à ses compagnons de papier, la narratrice raconte sa vie de femme au Liban, son métier de libraire dans un Beyrouth en guerre,  la solidarité avec ses voisines amies, la tradition séculaire des mariages arrangés, le machisme des hommes. Cette femme rebelle préfère la solitude à une mauvaise et illusoire compagnie masculine. Elle évoque souvent sa meilleure amie, Hannah, disparue tôt avec laquelle, elle pouvait se confier en toute sérénité. Mais, cet ouvrage atypique devient au fil des mots un hommage magnifique aux écrivains, à l'amitié et au courage de vivre dans un pays en guerre. Cet extrait résume la narratrice : "Je me suis depuis bien longtemps abandonnée au plaisir aveugle de l'écrit. La littérature est mon bac à sable. J'y joue, j'y construis mes forts et mes châteaux, j'y passe un temps merveilleux. C'est le monde à l'extérieur de mon bac à sable qui me pose problème. (...) Pour filer cette métaphore sableuse, si la littérature est mon bac à sable, alors le mode réel est mon sablier - un sablier qui s'écoule grain par gin. La littérature m'apporte la vie, et la vie me tue." Je ne pouvais qu'apprécier "Les vies de papier", car je partage avec Aaliya, deux points communs : le métier de libraire et surtout la passion de la littérature. Elle mentionne plusieurs fois Fernando Pessoa et comme j'étais récemment sur les traces de cet écrivain étrange et merveilleux à Lisbonne, je savourais ses citations avec gourmandise. L'écrivain libano-américain, Rabih Alemedinne, se cache certainement derrière cette libraire, lectrice idéale,  et la renommée du roman s'amplifiera grâce au prix Femina.