lundi 10 septembre 2018

"A son image"

Jérôme Ferrari, lauréat du prix Goncourt en 2012, pour "Le sermon sur la chute de Rome", vient de publier chez Actes Sud, "A son image". Ce roman a déjà obtenu le prix du journal Le Monde à la rentrée. L'écrivain raconte dans son dernier opus la vie fulgurante d'une photographe, Antonia. La jeune femme trentenaire décède dans un accident de voiture à Calvi et dès les premières pages, son oncle, le prêtre du village, célèbre l'office de la défunte. Il lui avait offert un appareil photo quand elle avait quatorze ans car elle se passionnait pour les photos de famille. Pendant la messe, cet oncle, submergé par la douleur, reconstitue le destin d'Antonia. Dans les années 80, elle est tombée follement amoureuse d'un nationaliste corse, un certain Pascal B., un homme violent et incontrôlable. Elle se fait engager dans un journal local pour couvrir les faits locaux : mariages, fêtes, événements sportifs. La qualité de ses photos magnifie ce petit monde qui représente "la petite histoire". Antonia veut partir sur un terrain de guerre et elle réussit à quitter la Corse pour "croiser la grande Histoire". Elle a choisi de rejoindre la Yougoslavie en pleine guerre civile en 1991 où elle rencontre un légionnaire, Dragan. Sa découverte des horreurs de la guerre la sidère et quand elle revient dans son pays, elle n'expose pas les photos des cadavres qu'elle a vus sur son chemin. Elle refuse de représenter la mort et la jubilation des meurtriers de tous bords. Parallèlement, Antonia vit aussi dans son pays l'outrance pitoyable des guerres intestines des clans nationalistes. L'écrivain qui semble très bien connaître la mouvance corse décrit ce microcosme en dénonçant sa violence et son aspect carnavalesque lors des conférences clandestines, des règlements de compte et des scissions permanentes. Antonia finit par rompre avec son militant quand celui-ci part en prison. La jeune femme se retrouve dans une impasse, marginalisée par sa décision d'avoir trahi son "soldat". En brossant le portrait de cette jeune femme prise au piège d'un milieu asphyxiant, Jérôme Ferrari évoque l'échec d'une vie, l'impossibilité de rendre compte du réel par la photographie. L'oncle d'Antonia, le prêtre du village, ressemble au curé de campagne de Bernanos avec sa profonde humanité, son empathie et ses doutes existentiels. Jérôme Ferrari, professeur de philosophie, propose aussi dans ces pages une réflexion inédite sur le rôle de l'image, de la photographie dans nos sociétés. Un très bon roman sur la tragédie et aussi une certaine comédie humaine.