vendredi 3 mai 2019

"Ruptures"

Claire Marin, professeure de philosophie, vient de publier, "Ruptures", aux Editions de l'Observatoire. Ses recherches portent sur les épreuves de la vie, les titres de ses ouvrages le montrent bien : "Violence de la maladie, violence de la vie", "La maladie, catastrophe intime", "Hors de moi". Dans un article du journal Le Monde, l'auteur explique sa réflexion philosophique qui va à l'encontre du "rebondir", de la résilience et du "il faut prendre les choses du bon côté". Claire Marin bouscule les idées préconçues : une rupture est un cataclysme intérieur, une blessure béante. Elle observe la société où tout se délite vite : les liens amoureux, familiaux, les engagements politiques, professionnels. Il existe peu de domaines stables, durables et solides. Aujourd'hui, tout s'accélère. Une constatation déjà établie par des sociologues de renom comme l'allemand Harmut Rosa. Volent certains mots dans l''air ambiant, relayés par les médias : flexibilité, adaptation, innovation, nomadisme… Claire Marin analyse dans cet ouvrage passionnant les ruptures multiples : amours, amitiés, famille, pays, travail, etc. Elle précise : "Il n'y a pas de vies sans brisures". Elle analyse dans les divers chapitres de l'essai les modalités de la rupture en commençant par la personnalité psychique, la fidélité à soi même : "Il arrive malheureusement que l'on rompe pour suivre sa folie intime, sa ligne de sorcière. Il y a, dans toute rupture, l'espoir de se trouver et le risque de se perdre". Pour illustrer la rupture amoureuse, elle évoque la littérature, source vive de tous les aventures humaines en s'appuyant sur les œuvres de Michel Butor, Marguerite Duras, Pontalis, Roland Barthes : "On peut mourir psychiquement d'un chagrin d'amour, se vider de soi, disparaître. Pourquoi une séparation amoureuse est-elle si insupportable ? Parce que dans cette révolution intime, je ne sais plus qui je suis, je ne sais plus si je suis". En vivant cette expérience, on apprend aussi à être seul. Elle convoque aussi Charles Juliet dans un chapitre sur le devenir soi, Henri Michaux sur la dispersion de soi. La famille semble concentrer aussi un milieu favorable aux ruptures multiples. La disparition des êtres chers fait l'objet d'un chapitre important sur cette expérience universelle. Je note cette phrase essentielle : "La maladie comme le deuil ou d'autres formes de traumatisme psychique impriment en nous une profonde inquiétude, l'impossibilité d'un rapport serein et confiant à la vie, une tension et une fébrilité toutes particulières". Pour Claire Marin, nous faisons sans cesse l'expérience de la perte, de la naissance à notre mort et c'est la définition de la condition humaine… Elle nous invite à "affronter l'incertitude de la vie" et à cultiver "le courage d'être".  Un ouvrage vraiment passionnant à lire sans aucune difficulté.