mardi 31 décembre 2019

Notre vieux monde

En cette fin d'année 2019, nous vivons au rythme de la guerre civique ou civile : qui aura le dernier mot dans cette histoire des retraites ? J'ai l'impression que le chef des cheminots et ouvriers s'appelle Philippix Martinix, baptisé par ses copains, l'Astérix du XXIe siècle. Ce Gaulois réfractaire se bat pour conserver ses droits acquis de longue date. Le monde nouveau ne le concerne pas. César, son ennemi personnel, chantre de la mondialisation heureuse et décontractée, veut poursuivre son chemin vers une société libérale et individualiste. Le "tous pour tous" contre "le chacun pour soi", le local contre le global. Deux visions du monde s'affrontent depuis l'élection du monarque éclairé et choisi démocratiquement. Une lutte de classes, une lutte d'âges, une lutte sans fin. Que puis-je conseiller comme lectures à ces deux stars des médias ? Je commencerai pas Monsieur le Président, un lecteur pourtant averti. Je lui offrirai tout Dickens, "Les Misérables" de Victor Hugo, un Karl Marx, Jules Vallès, Emile Zola. Il faut qu'il comprenne qu'il existe en France et ailleurs des gens modestes qui malgré leur travail, éprouvent quelques difficultés à finir leur fin du mois… Lui, évidemment, n'a pas ce souci en tête comme son cher ami du Nord, chargé du dossier des retraites. Mais si la réforme était vraiment juste et équitable pour les agriculteurs, les femmes, les étudiants, on devrait voir ces catégories défiler dans la rue avec des pancartes dithyrambiques : vive les points pour ma retraite ! A bas les vilains cégétistes ! Mais, silence… Pour Philippix, comment le convaincre qu'il n'existe plus de classes sociales ? Une mission impossible. Je ne vois aucun écrivain dont l'œuvre pourrait changer sa vision du monde. Notre pays souffre d'un manque d'idées. Je lis en ce moment un ouvrage de Bruno Latour au titre évocateur, "Où atterrir ? Comment s'orienter en politique". Le philosophe constate le vide intellectuel des partis politiques :  de droite et de gauche et du centre et des extrêmes. Les élites, les classes dirigeantes, les gagnants de la mondialisation se moquent des inégalités et du réchauffement climatique. Les autres sont de plus en plus dans les camps des réactionnaires, des perdants, des archaïques, des nostalgiques du XXe… Cette fin d'année sonne le glas des solutions traditionnelles. Astérix et César ne se réconcilieront jamais. La Gaule et l'Empire romain ont disparu… Pourquoi pas nous aussi ? N'oublions pas que les civilisations meurent… En ces temps où les mots collapsologie et effondrement se lisent de plus en plus dans la presse, il paraît que nous allons tous disparaître vers 2030... En attendant, prenons du bon temps, lisons un maximum de très bons livres, prenons le train quand ils rouleront de nouveau, promenons-nous dans les bois pour écouter les oiseaux encore vivants, regardons encore le soleil qui ne nous brûle pas encore les yeux, dégustons encore de bons petits plats faits maison, essayons de sauvegarder notre si beau vieux monde ! 

lundi 30 décembre 2019

"Giono furioso"

Emmanuelle Lambert a obtenu le prix Femina essai pour son "Giono furioso". A l'occasion d'une grande exposition sur Giono au MuCEM de Marseille, l'écrivaine a voulu célébrer le cinquantenaire de sa disparition. Sa biographe, commissaire de l'exposition,  remet les idées en place sur cet écrivain dont la réputation se compose d'un grand nombre de clichés : un Pagnol provençal, un régionaliste naïf, un pacifiste pétainiste, etc. En évoquant ses romans, elle écrit : "Chacun est une odyssée, une aventure, une cavalcade. Ces livres agités ne finiront pas sages, endormis sur une étagère. Littéralement, ils déboulent". Sa démarche consiste à "rendre intelligible le sujet Giono, mettre un ordre dans le désordre de l'écriture, les contradictions des déclarations, les images successives, les témoignages". La biographe parle de la préparation de l'exposition et s'adresse directement à l'écrivain en un tête à tête intimiste et interrogatif. Le label iconique "écrivain de la Provence" se transmet comme une image d'Epinal mais Jean Giono dépasse les limites de son territoire de naissance. Emmanuelle Lambert n'hésite pas à mêler sa vie à celle de Giono. Cette biographie classique se change parfois en autobiographie sensible car elle connait la Provence, pays de son enfance. Elle visite la maison de Giono à Manosque où le responsable de l'association lui permet de parcourir les archives de l'écrivain dans son intimité. Il est né dans une famille modeste (père cordonnier et mère blanchisseuse) et il quitte l'école à seize ans pour aider sa famille en trouvant un emploi dans une banque. Heureusement, nous dit la biographe, "il y a les livres. Il les accumule et les dévore en autodidacte". Déjà, l'influence des Grecs se fait sentir. Emmanuelle Lambert glisse dans ses pages un bel éloge à la littérature : "La langue ruisselle toujours de leur plongée dans les classiques". Il découvre Homère, Virgile, Faulkner, Cervantès avec admiration. A dix-huit ans, il part à la guerre de 14. Une certitude se dessine dans les premières pages : les tranchées de la Guerre de 14-18 l'ont façonné et l'ont meurtri dans sa pleine jeunesse. Son pacifisme deviendra pour lui un credo, une farouche conviction qui entacheront sa réputation d'écrivain lors de la Guerre en 39. Sa biographe n'occulte en aucun cas les accusations injustes de collaborationnisme avec l'ennemi. La biographe analyse en priorité ses romans en décrivant chacun dans sa portée littéraire : "Tous, ils ont un bout de vous, une part de chair, une opinion, une idée". La planète Giono n'est pas un monde harmonieux, heureux, optimiste. Bien au contraire : "On y lit constamment une lutte à mort, (…) entre l'homme et les animaux, entre l'homme et la nature, entre l'homme et l'argent, et l'homme et l'homme".  Elle s'adresse à lui comme s'il était près d'elle et cette proximité intimiste donne au texte un ton vif, alerte, direct. Cette biographie dense, très documentée, se lit en fait comme un roman. Pour ma part, j'ai découvert Giono dans ma jeunesse et j'ai aimé tous ses romans. J'ai longtemps préféré sa période stendhalienne avec "le Hussard sur le toit" mais il est temps de le relire des décennies plus tard. Ma mère qui aimait beaucoup Giono m'a légué ses Pléiades et j'ai relu les premières pages du "Chant du monde"... Un style charnel, un travail fascinant sur le langage, une histoire humaine des temps anciens, un classique contemporain à redécouvrir. 

vendredi 27 décembre 2019

Rubrique cinéma

Le nouveau film de Valérie Donzelli, "Notre Dame", s'inscrit dans la tradition de la comédie. Autant j'aime les films italiens dans ce registre, autant les comédies françaises tombent souvent à plat. Dans un Paris constamment arrosé, Maud Crayon, architecte précaire dans un cabinet où règne un patron tyrannique, compose une maquette destinée à une place de la banlieue parisienne. Sa vie privée ressemble à sa vie professionnelle : un chaos complet, provoqué par son comportement indécis. Elle est séparée de son mari avec lequel elle entretient pourtant une relation et élève ses deux enfants toute seule. Son ex est d'ailleurs un hurluberlu infantile qui se refugie chez Maud dès que sa compagne le rejette. Un soir, la maquette en question s'envole par la fenêtre (loufoquerie extrême), et atterrit sur le bureau de la maire de Paris. Son projet enthousiasme l'équipe municipale et elle est choisie pour équiper le parvis de Notre-Dame. Elle dispose d'un budget conséquent (280 millions d'euros) pour réaliser cet aménagement poétique mais les détracteurs remarquent la ressemblance des sorties de métro avec un phallus. Elle rencontre lors de l'opération de promotion son amour de jeunesse avec lequel elle renoue une relation romantique. Maud Crayon, enceinte de son troisième enfant, finira par rompre avec son mari immature. Le projet ne se réalisera pas, tant la contestation se fait jour. Le film dénonce la tension au travail, la précarité, les incivilités avec les claques données par des passants anonymes, l'hypocrisie du monde politique (très bonne caricature d'Anne Hidalgo). Cet aspect sociologique me semble le meilleur du film mais il y a trop d'exagération dans les scènes, trop d'outrance dans les caractères, trop de protagonistes excentriques… Une légèreté ennuyeuse au final.  Ou j'ai perdu mon humour, ou je n'ai rien compris au burlesque. Le seul plaisir que j'ai trouvé en voyant défiler ces images humoristiques, c'est de revoir le Paris que j'ai visité en novembre. Mais, j'avoue que je ne goûte guère la comédie-champagne, dont les bulles s'évaporent en vain. La réalisatrice a certainement voulu parler de notre rapport à la ville et de sa transformation décidée par des politiques crétins, des femmes qui "font tout", de la culture urbaine, etc. Les critiques ont recommandé ce film… L'ont-ils vu ? Je me le demande encore. 

lundi 23 décembre 2019

"Le soin est un humanisme"

La nouvelle collection, "Tracts", de Gallimard propose des essais courts (45 pages) et percutants, susceptibles de nourrir les débats de société et d'apporter des éclaircissements pour comprendre notre monde contemporain si complexe. Quelques titres à retenir : "Jojo, le gilet jaune" de Danièle Sallenave, "L'égalité" de Pierre Bergounioux, "L'Europe fantôme" de Régis Debray. Cynthia Fleury vient de publier dans cette collection pertinente, "Le soin est un humanisme". J'avais lu de cette philosophe et psychanalyste, "Les Irremplaçables" que j'avais beaucoup aimé. Pour connaître cette philosophe, son portrait est disponible sur le site de France Culture dans l'émission "des Chemins de la philosophie". Je l'ai entendue évoquer sa bibliothèque personnelle dans son appartement de Paris, envahi par des milliers de livres. Née en 1974, cette philosophe semble posséder plusieurs vies. Elle a enseigné la philosophie politique à l'université, a été chercheuse au Museum national d'histoire naturelle, professeure à l'Ecole des Mines, et dirige également la chaire de philosophie à l'Hôpital de l'Hôtel-Dieu. Cynthia Fleury tient aussi une chronique dans l'Humanité. Sa carrière polyvalente, ses interventions médiatiques, sa présence dans les colloques, troublent un peu son image de philosophe dans le sens traditionnel du terme et elle n'attire pas que des admirateurs(trices). Cette intellectuelle brillante et chevronnée ajoute évidemment à sa carrière fulgurante des essais dont le dernier, "La fin du courage" a été adapté au théâtre cet automne. Dans son texte, "Le soin est un humanisme", elle développe une définition du soin, un geste en dehors de la marchandisation. Pour la philosophe, la bienveillance doit primer et l'Homme se définit comme un être de relation et de responsabilité. Dans son travail, le soignant ne doit pas gérer la maladie comme un acte monétarisé. Son rôle essentiel se résume dans l'attention aux autres et au monde. La philosophe évoque la vulnérabilité de chacun d'entre nous, qu'elle ne considère pas comme un obstacle ou un handicap. Bien au contraire, la fragilité peut devenir une force intérieure qui mène vers autrui. Elle emploie l'adjectif "d'irremplaçable" car nous le sommes tous. Cet Autre serait le malade qui a besoin de soin, un soin possible, réfléchi, renforcé. Un soignant ne guérit pas que le corps, l'âme ou l'esprit du malade réclament les mêmes soins . En bonne psychanalyste, Cynthia Fleury confirme sa croyance au langage surtout poétique pour vivre en "capacitaire", un des concepts qu'elle déploie dans sa pensée. Pour conclure, je retiens cette belle phrase à méditer : "Tel est le chemin éternel de l'humanisme : comment l'homme a cherché à se construire, à grandir, entrelacé avec ses comparses, pour grandir le tout, et non seulement lui-même, pour donner droit de cité à l'éthique, et ni plus ni moins aux hommes. Quand la civilisation n'est pas soin, elle n'est rien". 

vendredi 20 décembre 2019

"La tentation"

Luc Lang a obtenu le Prix Médicis en novembre pour son dernier roman, "La tentation". Et ce choix pour ce livre dense et fort correspond bien à l'ambition de ce prix pour une littérature exigeante. Le vieux monde de François, chirurgien et directeur d'une clinique lyonnaise, s'effondre peu à peu devant ses yeux. Pourtant, cet homme, grand amoureux de la chasse, de la traque, se sent tout puissant quand il marche dans la forêt pour abattre un cerf. Un jour, François épie cet animal royal, hésite pour le tuer et finit par le blesser. Il le hisse dans son pick-up, le soigne et le sauve. Il le ramène dans sa résidence secondaire, un relais familial de chasse en montagne. Ce chasseur commence-t-il à faiblir en épargnant ce cerf magnifique ? Sa toute puissance s'amenuise surtout quand il se retrouve face à ses problèmes familiaux. Sa femme italienne, belle mais énigmatique, traverse des crises de mysticisme et se réfugie régulièrement dans des monastères. Son fils Mathieu a arrêté ses études de médecine pour se lancer avidement dans le milieu bancaire. Il est devenu un golden boy à New York. Le père considère son fils comme un étranger, il se demande comment il a échoué en observant la métamorphose incompréhensible de ce fils carnassier. Sa fille est tombée éperdument amoureuse d'un trader équivoque que son frère lui a présenté. Le chirurgien retrouve ce fils dans sa maison de montagne mais il ne le reconnaît plus : "Il regarde son fils à la dérobée. Eprouve une espèce de stupéfaction muette devant l'être qu'il voit trop peu. Il est médecin, il sait la croissance du corps humain, mais il est cette fois le témoin originaire d'une violente métamorphose dont il réalise mal le processus". Ce père semble avoir perdu le lien avec ce garçon qui a choisi une vie très différente. Il ne comprend guère sa fille Mathilde, entichée d'un financier escroc. Sa fille a peut-être des excuses selon son père car il a assisté à sa quasi noyade devant les yeux d'une mère indifférente et perturbée. Il a sauvé l'enfant in extremis. Un jour, sa fille surgit, hagarde et perdue, avec son petit ami, une balle de gros calibre logée dans sa jambe. Ils sont traqués par trois hommes lourdement armés. Le roman familial se transforme en thriller avec cette irruption dramatique dans la vie du chirurgien. Je ne vais pas résumer la fin de l'intrigue car le rythme du roman s'électrise et François, de prédateur de cerf, devient l'otage des relations douteuses de ses enfants. Les valeurs s'inversent et le monde de François s'effondre pour un ordre nouveau. Va-t-il réagir ? Ce chasseur émérite possède des ressources insoupçonnées… Luc Lang n'appartient pas à la catégorie des écrivains nombrilistes. Il brosse un portrait d'une famille complexe avec des relations violentes et passionnelles. L'intrigue est portée par une langue d'une précision implacable et d'une finesse de dentelle. La vie des personnages ressemble à une chasse permanente. Qui est chassé ? Qui chasse qui ? Il faut lire ce très beau roman de la rentrée, un des meilleurs de la rentrée. 

mercredi 18 décembre 2019

"Nouvel an"

Je viens de découvrir une écrivaine allemande, Juli Zeh, qui vient de publier son roman "Nouvel an" chez Actes Sud. Henning, Theresa, sa femme, son fils et sa fille de deux et quatre ans partent en vacances dans les Canaries, à Lanzarote. Il en rêvait depuis longtemps de passer deux semaines en fin d'année, loin de Göttingen. Ils louent une maison dans un centre touristique. Le matin du premier de l'an, il part se balader en vélo, seul et rumine sa vie tout en pédalant. Pour Henning, la vie de famille ne se passe pas comme il voudrait. Sa femme et ses enfants l'épuisent et une dépression le guette sans cesse. Le temps est maussade, les touristes l'énervent et les crises d'angoisse qu'il nomme "la Chose", surgissent. Sa promenade en solitaire ressemble plus à une fuite qu'à une escapade plaisante. Il constate son extrême fatigue et une lassitude dépressive. Sa paternité le pèse : "Qui tiendrait toute la journée enfermé avec deux petits ? Avec les enfants, les vacances sont une parenthèse où la vie est encore plus épuisante que d'habitude". Il a fêté Noël au restaurant dans un premier service et sa femme s'est éloignée de leur table pour flirter avec un Français avec lequel elle dansait. Leur couple vacille, tangue, se fragilise. La Chose l'étreint pendant cette balade et se transforme en une autoanalyse : "Entre deux crises, Henning lutte contre la peur de la prochaine. A part ça, il peine à trouver sa place entre le boulot et les enfants. Sa vie est fuite, il ne termine rien, ne trouve le temps de rien". Il se lance à l'ascension d'une montagne et il arrive au sommet complétement épuisé. Il aperçoit une vieille maison et il demande de l'aide. Une femme, Lisa, l'invite à venir se reposer, lui offre à manger et à boire. C'est à ce moment-là que le roman se scinde en deux parties. Henning a l'étrange sensation qu'il est déjà venu dans cette maison, dans ce jardin avec son réservoir d'eau qui l'attire irrésistiblement. Peu à peu, les souvenirs reviennent, ceux d'un séjour qu'il a passé dans ce lieu avec ses parents et sa jeune sœur Luna quand il était vraiment un petit garçon. Il avait refoulé cette expérience traumatisante. Ses parents les avait abandonnés, lui et Luna pendant deux jours… L'angoisse souterraine d'Henning viendrait-elle de cet épisode escamoté dans sa mémoire ? Ces deux enfants livrés à eux-mêmes constitue donc la deuxième partie du roman et éclaire la première. Je ne dirai pas pourquoi les parents se sont absentés car Henning l'apprendra de sa mère qui n'avait jamais parlé de ce séjour aux Canaries. Avec une écriture efficace et concise, Juli Zeh raconte les zones d'ombre refoulées qui empêchent de vivre, les blessures jamais cicatrisées. Ce voyage à Lanzarote était aussi un voyage intime dans les limbes de soi-même. Un roman psychologique haletant et qui donne envie de lire les ouvrages précédents de cette écrivaine allemande de quarante-cinq ans. A découvrir. 

mardi 17 décembre 2019

Rubrique cinéma

Dans son dernier film, "Une vie cachée", Terence Malick film la nature comme s'il filmait le paradis terrestre. Son personnage principal, le fermier Franz Jagerstatter et sa femme Fani vivent dans une région d'Autriche en pleine montagne. Le petit village Sainte Radegonde symbolise la paix sur terre, l'amour partagé, une vie communautaire harmonieuse, une nature édénique. Le couple donne naissance à trois filles et la sœur de Fani vient vivre avec eux. Mais la folie de l'hitlérisme n'épargne pas ce petit village. Des images d'archives ponctuent le film avec la figure d'Hitler et l'effervescence incompréhensible de la foule acclamant le dictateur. On sait bien que les Autrichiens eux-mêmes se sont empressés d'adhérer au national-socialisme. Franz montre déjà son peu d'enthousiasme pour cette idéologie mortifère. Il faut dire que son identité chrétienne caractérise le comportement de cet homme simple et honnête. Il part faire ses classes comme tous les hommes de son âge mais il commence à résister contre cette folie en évitant le serment d'allégeance au Führer. Dans son village, il se fait remarquer et ostraciser. Des passants lui crachent dessus et montrent leur haine viscérale contre tous ceux qui font sécession. Plusieurs interlocuteurs tentent de le dissuader comme l'évêque qui lui conseille de se soumettre aux autorités et de se battre pour la patrie. Il reçoit une lettre qui le convoque à nouveau pour intégrer l'armée et Franz dit non, en toute innocence et en toute simplicité. Sa conscience lui dicte sa conduite. Il est emprisonné à Berlin. Un procès lui donne une dernière chance de vivre, s'il renonce à son refus de signer son allégeance. Il persiste et il choisit la mort. Il sera décapité. La droiture morale de Franz est sans faille malgré l'amour qu'il porte à sa famille. Ce film s'est inspiré de l'histoire vraie d'un fermier modeste qui a sauvé son honneur en disant non. L'Eglise s'est emparée de ce héros catholique pour le canoniser. Une phrase de George Eliot, projetée sur l'écran résume le destin de cet homme exemplaire : "Si les choses ne vont pas aussi mal pour vous et pour moi qu'elles eussent pu aller, remercions-en pour une grande part ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée". La bande sonore est particulièrement belle avec des extraits magnifiques (Bach, Haendel, Arvo Part) et la beauté des images forme une élégie pour l'esprit de résistance contre l'esprit moutonnier,  le courage d'être soi contre la dilution de son soi. Du cinéma sérieux, grave et teinté de spiritualisme. 

lundi 16 décembre 2019

"Opus 77"

Alexis Ragougneau est un jeune écrivain, passionné de musique classique. Comme je vibre comme lui tous les jours en écoutant mes opéras baroques et la musique sacrée (sublime Bach), je suis ravie quand je remarque un roman, évoquant le monde fascinant des "sons ordonnés". Son "Opus 77" concerne un concerto de Chostakovitch. Lors de la messe de funérailles du chef d'orchestre Claessens, sa fille, la narratrice du livre, elle-même pianiste célèbre, interprète la difficile pièce pour violon et orchestre, opus 77. Pendant qu'elle joue, elle raconte l'histoire de sa famille, une tribu musicale d'exception. Ce milieu professionnel encense les talents, mais aussi peut à tous moments basculer dans les rudes critiques les plus injustes. David, le frère d'Ariane, violoniste prodige en son temps, est absent lors de l'enterrement de son père. Ce frère s'est réfugié dans un ancien bunker de l'armée en Suisse et il vit dans cet endroit perdu dans une solitude absolue et intransigeante. Pendant que son frère s'emmure dans le silence, Ariane choisit la parole. Dans son enfance rythmée par la musique, Ariane se remémore sa mère, Yaël, soprano douée mais étouffée par son mari, qui n'hésitait pas à mener une vie parallèle en la trompant avec ses élèves. Entre le passé familial et le présent de la narratrice, la vie familiale se déroule dans un certain chaos : dans le couple, dans les relations parents-enfants. La musique n'adoucit pas les mœurs et ne joue donc pas un rôle apaisant dans ce huis-clos d'exception, bien au contraire. Le talent du père écrase celui de ses enfants, la mère renonce peu à peu à l'art lyrique. Ariane se souvient d'une scène emblématique dans son enfance, quand elle voit, cachée sous le piano, la faillite d'un musicien virtuose qui ne contrôle plus ses doigts et devient ainsi chef d'orchestre. Son échec personnel condamne les siens à partager sa chute. Il règne comme un tyran sur les siens et seul, David, va s'affronter à ce Commandeur. Lecteur de Kafka et de Melville, le jeune homme préfère fuir ce milieu alors qu'il possède un génie musical. Son violon exceptionnel, offert par son père, ne suffit pas à le guérir de son enfance chaotique. Pour punir et se venger de son autoritarisme froid, il renonce à jouer le dernier mouvement du concerto alors qu'il frôlait le succès dans un concours à Bruxelles. Le conflit familial prend une tournure de tragédie grecque. Seule, Ariane, tente l'impossible en essayant de ressouder la fratrie désunie. Alexis Ragougneau a écrit un beau portrait d'artiste et de femme et il déclare dans un entretien : "A travers le personnage d'Ariane Claessens, j'ai travaillé à ma propre définition de la grâce, un mélange paradoxal de force et de fragilité. Ariane en est l'incarnation. Je l'ai voulue la plus humaine possible, c'est-à-dire pleine de contradictions". Un roman à découvrir et à savourer par les amateurs de musique classique. 

vendredi 13 décembre 2019

Atelier lectures, 3

La deuxième partie était consacrée aux romans "ruraux" ayant pour cadre le monde de la nature, de la campagne. Souvent, la littérature semble naître dans les grandes villes, dans l'urbanité et l'image traditionnelle du grand écrivain évoque en plus de nombreux parisiens comme Balzac, Proust, et tant d'autres. J'avais proposé ce genre littéraire après avoir lu Marie-Hélène Lafon et Pierre Bergounioux. Mylène et Odile ont choisi le même ouvrage, "Survivance", de Claudie Hunzinger. Deux libraires, Jenny et Sils, sont contraints de rendre les clés de leur librairie et de leur domicile. Ils trouvent un refuge dans une maison perdue en ruines dans la montagne. Ils doivent s'adapter à leur nouvelle vie comme des Robinson Crusoé. Ils redécouvrent une nouvelle façon de vivre. Odile a beaucoup aimé ce récit alors que Mylène n'a pas adhéré, reprochant à l'écrivaine un manque de profondeur psychologique chez les personnages. Pour ma part, j'avais apprécié ce livre à l'époque en m'imaginant revivre comme eux dans la montagne, ayant vécu aussi la fermeture de ma librairie à Bayonne dans les années 80. J'avais choisi Paris… Agnès et Marie-Christine ont lu aussi le même roman, "Grossir le ciel" de Franck Bouysse. L'une l'a aimé et l'autre l'a peu apprécié. Agnès a découvert un thriller rural avec deux personnages emblématiques, Gus, un paysan solitaire et taiseux et Abel, son voisin. Deux solitudes paysannes, des secrets de famille comme une bombe à retardement dans les Cévennes. Un écrivain à découvrir. Trois autres lectrices ont lu Marie-Hélène Lafon. J'ai découvert cette écrivaine avec "Nos vies", un remarquable récit sur une caissière d'épicerie. Dans ses précédents romans, elle évoque le monde perdu et pauvre de la paysannerie française. Janelou a particulièrement apprécié "L'annonce" et "Les derniers indiens". Dans "L'annonce", l'écrivaine raconte une rencontre entre Paul, quarante-six ans et Annette, trente-sept ans. Ils veulent rompre leur solitude respective. Vivront-ils une belle histoire d'amour ? A découvrir pour le savoir…  "Les derniers indiens" évoquent les Santoire, le frère et la sœur, célibataires et en face de chez eux, des voisins qui forment une tribu familiale. Marie-Hélène Lafon décrit avec sa finesse et son sens de l'observation la fin d'un monde, celui des agriculteurs. Janelou et Véronique ont beaucoup apprécié ces romans alors que Régine pense que l'univers "lafonien" est un peu étouffant et déprimant malgré une écriture très travaillée. Danièle a présenté "Chaleur de sang" d'Irène Nemirovsky, une plongée dans la France rurale des années 30. Silvio, un vieil homme, se souvient du cours tranquille des vies paysannes brusquement secouées par la mort et les passions amoureuses. Une écrivaine qui a eu beaucoup de succès à son époque et oubliée ensuite. Son roman le plus connu, "Suite française" avait obtenu le prix Renaudot en 2004 à titre posthume. Elle meurt à Auschwitz à l'âge de trente-neuf ans. La litterature ne se définit pas en genre rural ou urbain, elle décrit le monde dans toute sa diversité. Les romans lus dans l'atelier le montrent bien. 

mercredi 11 décembre 2019

Atelier lectures, 2

Mylène a retenu trois coups de cœur : le très beau "Ceux qui partent" de Jeanne Benameur dont on a déjà parlé dans l'atelier de novembre, "Le dernier gardien d'Ellis Island" de Gaëlle Josse et "Quatuor" d'Anna Enquist. Gaëlle Josse raconte à travers le journal intime du gardien d'Ellis Island l'histoire de ce centre qui a "trié" des millions d'immigrants venus d'Europe de 1892 à 1954. Ce sujet très sensible recèle beaucoup de drames humains qui rappellent la période actuelle. Mais, Mylène a surtout évoqué le très beau roman d'Anna Enquist, "Quatuor". Quatre amis musiciens se réunissent pour former un quatuor amateur. A cet ensemble artistique, un homme de quatre-vingt ans, ancien violoncelliste, joue le rôle de manager. Des questions essentielles se croisent dans ce livre fort et passionnant : comment vivre dans un monde de plus en plus violent, le rôle de la culture, le vieillissement, les relations entre amis, l'immigration à Amsterdam. La suite de ce roman, "Car la nuit approche" reprend tous ces sujets essentiels. Une grande écrivaine, Anna Enquist, musicienne et psychanalyste. Régine a beaucoup aimé "Les Choses humaines" de Karine Tuil. Ce roman dense et puissant évoque l'histoire d'une famille privilégiée dans le milieu parisien. Le père, arriviste et vaniteux,  est un journaliste célèbre, la mère, une essayiste féministe et leur fils, un jeune homme brillant. Ce couple désuni se retrouve lorsque leur fils est accusé de viol par une jeune fille qui l'accompagnait dans une soirée. Qui dit la vérité ? le garçon ou la fille ? Comment réagissent les parents ? L'écrivaine analyse en profondeur les personnages face à ce drame, le rôle de la justice, des médias, des réseaux sociaux. Une fresque contemporaine passionnante à lire. Ce roman a été doublement primé (Prix Goncourt des Lycéens et Prix Interallié). Il aurait dû obtenir le Prix Goncourt en fait, car il me semble bien plus intéressant que celui de Jean-Paul Dubois. Régine a aussi proposé comme coup de cœur, un premier roman, "Louvre" de Josselin Guillois. Paris, en 1939, le conservateur du musée, va tout faire pour protéger les œuvres d'art en les cachant à la campagne. Trois femmes racontent leur participation à ce sauvetage, à travers leurs journaux intimes. Annette a choisi un ouvrage d'Alita Mizubayasyi, "Ame brisée" et elle écrit dans son mél, "C'est l'âme d'un violon et une très jolie histoire, l'art au dessus de la haine". Voilà pour la partie coup de cœurs, riche en titres divers et variés. De bonnes idées de cadeaux pour les fêtes de Noël. 

mardi 10 décembre 2019

Atelier lectures, 1

Nous étions une petite dizaine de lectrices aujourd'hui à nous retrouver autour des livres et de la littérature. La première partie de la séance a démarré avec les coups de cœur. Danièle nous a présenté un petit ouvrage (55 pages) original, "By heart", d'un acteur, dramaturge et metteur en scène portugais, Tiago Rodrigues. Il monte une pièce de théâtre avec des hommes et des femmes qui doivent réciter un sonnet de Shakespeare afin de ressentir l'expérience singulière de retenir un texte et de le dire. Il fait l'éloge du "récitatif" car la poésie est un acte de résistance et aide à vivre. Sa grand-mère qui devient aveugle lui demande aussi de lui choisir un livre, son dernier livre, pour qu'elle l'apprenne par cœur. Mais quel livre choisir ? Un texte à découvrir et peut-être à lire à voix haute. Odile a enchaîné avec un grand coup de coeur, "Les Déracinés" de Catherine Bardon, paru en Livre de Poche en 2018. Ce très bon premier roman se présente comme une fresque historique des années 30 à Vienne jusqu'aux années 60 en République dominicaine. Wilhem, journaliste, rencontre Almah à Vienne en 1932. Ils sont juifs et la montée de l'antisémitisme assombrit leur idylle. Ils sont obligés de quitter l'Autriche pour l'Amérique. Mais, ils sont rejetés et d'errance en errance, ils atteignent la République dominicaine où Trujillo, le dictateur local, a offert cent mille visas à des Juifs venus du Reich. Le couple va s'installer dans une ferme et fonder une communauté qui annonce les kibboutz. En 1945, ils choisissent de rester dans ce pays qui les a accueillis. Ce roman de grande qualité a déjà rencontré un grand succès auprès des lecteurs(trices). Agnès a présenté "Toutes les histoires d'amour du monde" de Baptiste Beaulieu, auteur et médecin. Le narrateur découvre un secret de famille concernant son grand-père Moïse, homme taciturne et taiseux. Dans une malle, son père a découvert des lettres adressées à une inconnue, Anne-Lise. Qui est cette femme ? Il faut découvrir ce roman sensible qui a conquis le cœur d'Agnès… Marie-Christine a présenté une bande dessinée, "Félicité", ou l'histoire d'une femme congolaise. Cet ouvrage évoque le problème des migrants qui arrivent en France et sont accueillis au sein d'une association chambérienne. La suite, demain. 

lundi 9 décembre 2019

Rubrique cinéma

Hier, je suis allée voir le film, "Martin Eden" du cinéaste italien, Pietro Marcello. Cette fresque, tirée du roman de Jack London, se situe à Naples au début du XXe. Cette adaptation plus que réussie raconte l'histoire de Martin, jeune homme issu de la classe ouvrière. Il prend la défense d'un jeune bourgeois lors d'une altercation. Celui-ci l'invite chez lui pour le remercier et voilà notre Martin au sein d'une grande famille de sa ville où il rencontre Elena, une Madone de toute beauté, cultivée, musicienne et peintre. Elle s'intéresse tout de suite à ce garçon maladroit, gauche et empêtré dans son manque d'éducation. L'éblouissement qu'il ressent devant Elena provoque en lui un changement radical. Il veut connaitre ce monde si éloigné du sien. Il comprend que les livres pourraient devenir ce passeport indispensable pour pénétrer dans la vie d'Elena. Il commence à découvrir l'univers de la littérature grâce aux conseils de la jeune femme. Martin en autodidacte dévore les livres et déclare à Elena qu'il veut devenir écrivain. Les parents d'Elena ne voient pas d'un bon œil cette relation amoureuse. Parallèlement, il poursuit sa vie chaotique de marin, d'ouvrier sans abandonner son objectif prioritaire : écrire pour témoigner. Sa chance de gravir les échelons sociaux se manifeste dans les rencontres qu'il va faire : Elena, sa muse bienfaitrice, Brissenden, son mentor politique et Maria, une veuve généreuse qui l'héberge chez elle. Le monde de Naples autour de lui semble féroce et rude. Des archives constellent le récit montrant des images des gens du peuple ravagés par la faim, l'épuisement physique, la maladie et aussi par le rire. Martin, homme instinctif et volontaire, se bat pour conquérir le cœur de sa belle bourgeoise mais cette relation ne peut exister à cette époque-là. La vie n'est pas un conte de fées comme le dit son ami. Sa frénésie d'apprendre, de savoir se heurte au mur infranchissable des classes sociales. Malgré le rejet d'Elena, influencée par sa famille, Martin se met à l'écriture et après beaucoup de refus, un éditeur accepte de le publier. Sa vie va changer et il deviendra un écrivain célèbre. Elena le retrouve au sommet de sa carrière pour vivre avec lui. La célébrité l'a abimé, il ne croit plus à rien et son désenchantement, le dégoût de soi l'empêchent de vivre. La scène finale montre un personnage désespéré mais je ne dévoilerai pas l'acte final. Martin Eden symbolise le malaise des transfuges de classe. D'ouvrier à écrivain, il a trahi ses origines sociales et une image récurrente (la danse folle entre lui et sa sœur dans leur enfance) scande le film comme une promesse non tenue. Ce très beau film italien est l'un des meilleurs de l'année. Il ne faut pas le rater. Et l'acteur principal, Luca Marinelli, illumine la pellicule du début à la fin. 

vendredi 6 décembre 2019

Escapade basque, 2

Je connais le secret pour se balader dans Biarritz… Il faut partir le matin vers 9h et à ce moment-là, on ne croise que quelques habitants de la ville qui vaquent à leurs occupations. Je me suis retrouvée pratiquement seule avec mon frère au Rocher de la Vierge, sur la Grande Plage, le long de la côte où l'on traverse le Port-Vieux et ses fameuses crampottes, petites maisons de pêcheurs rustiques servant à remiser casiers, bouées et filets de pêche. De l'Hôtel du Palais à la Villa Beltza, le paysage biarrot se compose de nombreux îlots rocheux d'une couleur jaune-ocre qui se sont formés il y a 34 millions d'années… Ces roches contiennent des petits coquillages fossiles baptisés Œil de Lucie. On peut les chercher dans le sable sur les plages de la Chambre d'amour. Mais, ils ne se dénichent pas facilement… Quand j'en trouve un par hasard, je les collectionne. Il paraît qu'ils portent bonheur… Biarritz présente un panorama architectural éclectique : hôtels de style basque, villas Belle Epoque, Art déco, maisons labourdines aux pans de bois apparents peints en rouge brun mais aussi en vert ou bleu. Cette cité balnéaire symbole le kitsch des bains de mer dans les années 20… En décembre, l'océan déborde de vitalité et de force marine. Je me ressource à son contact et observer le large, l'horizon, la vastitude du paysage liquide me plonge dans une contemplation heureuse qui permet de se glisser dans un ailleurs, hors du quotidien routinier. Dans cette hors saison, il fait bon marcher sur le sable, écouter le roulis des vagues, repérer les surfeurs doués, ramasser des bouts de bois blanchis par le sel, chercher un œil de Lucie. J'ai incorporé ces paysages dans mon mental et bien que je les ai vus depuis des décennies, je ne m'en lasserai jamais. J'ai respecté aussi la tradition en fréquentant la librairie Bookstore sur la place Clémenceau. Je suis sortie de la librairie avec deux essais, l'un sur Clément Rosset et l'autre de Jean Paul Fournier… Anglet et ses plages, Biarritz et son Rocher de la Vierge, Bayonne et ses arcades, Bidart et ses falaises, Saint-Jean-de-Luz et ses bateaux de pêche, la Côte basque bien que souvent arrosée par la pluie, attire (hélas) de plus en plus de touristes… Il faut dire que l'on ne peut pas rester indifférente à sa beauté authentique, sa culture basque, la gentillesse de ses habitants, sa cuisine épicée aux piments d'Espelette, ses gourmandises chocolatées et ses pâtes d'amande, ses couleurs, ses montagnes douces et l'Espagne à deux pas. Je reviens dans mon pays comme Ulysse à Ithaque, mais, j'ai aussi envie de retourner dans mon pays d'adoption, ma belle Savoie… Je suis riche de deux pays, enracinée sur deux coins du monde… 

jeudi 5 décembre 2019

Escapade basque, 1

Avant le "grand hiver" qui démarre en décembre et se termine en mars, je reste bien au chaud prés du poêle à bois avec la présence chaleureuse de mes livres… Je ressentais la nostalgie de l'océan, mon océan atlantique du côté de Biarritz. J'ai donc repris le chemin de mon pays natal pour me préparer à affronter le froid savoyard. Je me vis comme un écureuil ramassant ses noisettes pour les croquer pendant ce temps de latence où la nature s'endort en silence. Mes noisettes ont pour nom les vagues de mes plages préférées. A Anglet, j'aime me promener le long des plages comme je le fais toujours dans mes escapades basques. J'apprécie particulièrement cette période de l'année où les touristes se sont tous évaporés comme des moineaux sur les terrasses des bars. Du côté de la Chambre d'amour, j'ai retrouvé les autochtones dans leur combinaison de surf. Ils dansaient sur les vagues au son des roulements et du fracas quand elles frappent le sable. Voir ces cavaliers farouches avec leurs planches multicolores demeure toujours un spectacle vivifiant et dynamique et dans ces gestes d'équilibre précaire, je lis une leçon de courage face à l'adversité que la vie peut parfois provoquer. Surfer ces monstres marins d'une hauteur variable, de trois à six mètres de haut, me procure un sentiment de joie. Je m'avance sur les digues des plages d'Anglet pour admirer ces hommes et ces femmes qui attendent parfois de longues minutes pour s'élancer, se mettre rapidement debout sur leur planche et essayer de rester sur la vague pendant quelques secondes. Quelle patience pour ces jeunes gens à l'affût de la bonne vague déroulante ! J'ai donc amassé des litres de bon air marin, chargé d'écume iodée pour les capter et les ramener à Chambéry… J'aime aussi me balader vers la plage d'Ilbarritz à Bidart avec ses rochers grandioses et son panorama sur les montagnes de la Rhune et des Trois-Couronnes. Un paysage minéral et liquide qui rappelle les côtes sauvages d'Irlande. Le pays respire mieux après la saison estivale même si la ville d'Anglet vit une furie bétonneuse. Les maisons anciennes disparaissent pour laisser place à des immeubles neufs sans intérêt patrimonial. Il ne faudra pas s'étonner des inondations futures dans cette région tellement cette folie des constructions ravage le paysage urbain. Anglet possédait de vastes espaces verts dans les années 70. Aujourd'hui, il ne reste plus que le quartier de Chiberta prés de l'océan. Pourquoi les maires délivrent-ils autant de permis de construire ? Profit, taxes locales, gain de voix, etc. Un désastre dans ma belle région de plus en plus peuplée, de plus en plus polluée, de plus en plus encombrée par le dieu automobile… Ce que le Sud de la France a connu, la Côte basque le subit aujourd'hui. L'argent mène le monde, hélas… 

mercredi 4 décembre 2019

"Car la nuit s'approche"

Anna Enquist, poète et romancière, a suivi une formation de psychothérapeute et aussi de pianiste concertiste. Ses romans portent des traces de son identité professionnelle. Dans le précédent roman, "Quatuor" dont "Car la nuit s'approche" est la suite, le lecteur(trice) retrouve les quatre musiciens de ce quatuor exquis. Mais, ils ont subi une agression violente à bord d'une péniche par un prisonnier évadé. Les quatre amis intimes, fous de musique classique, se sont dispersés après cet événement dramatique. Leurs liens amicaux se sont distendus et rompus. Chacun essaie de trouver un remède à leur traumatisme, provoqué par l'agression. Caroline, médecin ne se remet pas de cette crise et tente de surmonter sa dépression. Elle a perdu l'usage de son pouce, ce qui l'empêche de jouer du violon. Son mari, Jochem, victime collatérale du quatuor amical, ne pense plus qu'à se protéger et ses préoccupations sécuritaires amplifient la mésentente au sein du couple. Hugo a choisi de s'exiler en Chine pour organiser des festivals culturels afin de créer des échanges artistiques entre Orient et Occident. Caroline n'a plus de nouvelles des autres comparses. Le roman se focalise sur ce personnage. Elle part en Chine pour rejoindre Hugo dans son travail et rencontre Max, un médecin américain, pédiatre et humanitaire, qui mène une enquête sur les orphelinats du pays. Celui-ci l'entraîne dans sa mission et Caroline prend conscience de son impuissance face à la situation de ces enfants maltraités. Elle noue une relation amoureuse avec cet homme paradoxal, généreux avec les autres et mesquin avec sa famille. Il fuit son propre fils handicapé. Caroline se rend compte de son erreur et retourne chez elle pour affronter le procès concernant leur agresseur. Sa reconstruction va ainsi pouvoir vraiment démarrer : va-t-elle reprendre son travail de médecin ? Renouer des liens avec ses anciens amis ? Quitter son mari ? Devant les choix qui s'offrent à elle, Caroline dénouera enfin les nœuds de son mal-être… Ce beau et profond roman peut se lire même si on ne connait pas "Quatuor" mais il est préférable de le lire.  Anna Enquist, cette écrivaine néerlandaise, ne déçoit jamais ses lecteurs(trices). Preuve à l'appui, j'ai lu et aimé tous ses romans...

lundi 25 novembre 2019

"Une minute quarante-neuf secondes"

Livre coup de poing, livre coup de cœur, Riss, dessinateur de presse et directeur du journal Charlie Hebdo, raconte l'insoutenable attentat du 7 janvier 2015 où sont abattus, par des terroristes islamistes, ses collègues : Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Bernard Maris, Elsa Cayat, Mustapha Ourrad. D'autres victimes tomberont dans la rue et ce 7 janvier 2015 restera à tout jamais dans notre mémoire collective. Ce témoignage d'une force incroyable n'est pas un recueil de pleurs, de regrets, de nostalgie. Bien au contraire, Riss évoque avec une certaine rage, l'aveuglement de notre société, sa légèreté, sa lâcheté, sa vulgarité face à cette guerre larvée et déclarée de la part des fanatiques religieux contre la liberté d'expression. Le titre "Une minute quarante-neuf secondes" résume la tragédie du moment où Riss échappe au massacre et se relève blessé. Il évoque dans le prologue l'inutilité des mots et des dessins pour traduire cette "désagrégation", ce "délitement". Il revient constamment sur la violence qu'ils ont subie et montre un courage inouï en écrivant : "Il ne fallait pas se révolter, ne pas désigner de responsables, ni tendre le doigt en direction des lâches et des coupables. Et encore moins dénoncer le prosélytisme des croyances archaïques, de concepts réactionnaires, afin de ne pas heurter ceux qui les pratiquent". L'obsession du narrateur tourne autour de cette question : "suis-je à la hauteur de ce qui nous est arrivé ?" Il rend hommage à tous les collaborateurs décimés dans l'attentat. Les portraits des dessinateurs sont très émouvants et donnent au récit une densité encore plus grave. Comment vivre dorénavant avec l'absence de tous ces amis disparus ? Riss leur dédie ce livre pour qu'ils restent vivants. Ce récit autobiographique, politique, philosophique raconte aussi l'histoire du journal satirique, Charlie Hebdo, symbole de la liberté d'expression, la liberté totale, le droit de tout caricaturer. Riss analyse les émotions surgies lors de l'attentat (sidération, stupéfaction, culpabilité) et entremêle dans son récit des souvenirs d'enfance et de jeunesse. Il évoque les soins à l'hôpital, la sensation de la peur d'être recherché par les terroristes, la gentillesse des soignants, le retour à Charlie Hebdo, les problèmes de la nouvelle équipe, l'indifférence des médias à leur égard. Cet ouvrage me rappelle évidemment celui de Philippe Lançon, "Le Lambeau", un témoignage extraordinaire sur l'attentat du 7 janvier. L'ouvrage de Riss, "Une minute quarante-neuf secondes", n'est pas comparable à celui de Philippe Lançon. Riss conserve sa colère, à juste titre. Il dénonce le totalitarisme islamique, la lâcheté des politiques, la comédie sociale, la perte irréversible de ses amis, la peur de vivre sous une menace permanente. Ce récit magnifique devrait réveiller les consciences, et se range dans la catégorie de la littérature de combat. Les derniers mots du récit montrent le chagrin définitif et bouleversant du témoin qui reste seul en vie : "Les jours qui s'écoulent m'éloignent des adieux que je leur fis, et me rapprochent de l'accueil qu'ils me feront demain. Un jour, c'est sûr, on se retrouvera tous". 

vendredi 22 novembre 2019

"Encre sympathique"

Quand Patrick Modiano publie un roman, c'est toujours à mes yeux un événement littéraire. Son nouvel opus, "Encre sympathique" ne peut pas se fondre dans la masse des nouveautés de la rentrée. Les grands écrivains commencent, hélas, à disparaître… Mais, Patrick Modiano nous tient heureusement compagnie et je l'espère pour longtemps. Depuis 1968 avec "La Place de l'Etoile", il écrit un roman tous les deux ans avec une fidélité scrupuleuse. Il nous parle toujours des mêmes thèmes récurrents dans ses textes : le souvenir, la mémoire, l'oubli. Certains lecteurs pourraient se lasser de son univers singulier et évanescent. D'autres comme moi ont le bonheur de retrouver la valse nostalgique de ces oeuvres. Dès la première page, l'auteur pose le sujet : "Il y a des blancs dans cette vie, des blancs que l'on devine si l'on ouvre le "dossier" : une simple fiche dans une chemise à la couleur bleu ciel qui a pâli avec le temps". Le narrateur, Jean Eyben, examine ce dossier retrouvé par hasard car à l'âge de vingt ans, il travaillait dans une agence de détectives. Une femme disparue sans laisser de traces l'obsède et cette recherche donne le rythme au roman comme une basse continue sur sa mémoire oublieuse. Cette femme fuyante s'appelait Noëlle Lefebvre. Cinquante ans avant, il parvient à fouiller son appartement et découvre un agenda dans un tiroir à double fond. Le narrateur enquête auprès des relations hasardeuses de cette Noëlle énigmatique. Il avoue : "J'avais toujours eu le goût de m'introduire dans la vie des autres, par curiosité, et aussi par un besoin de mieux les comprendre et de démêler les fils embrouillés de leur vie - ce qu'ils étaient souvent incapables de faire eux-mêmes parce qu'ils vivaient leur vie de trop près alors que j'avais l'avantage d'être un simple spectateur, ou plutôt un témoin, comme on aurait dit dans le langage judiciaire". Patrick Modiano, dans cette seule phrase, définit sa mission d'écrivain… Au fil des pages, l'enquête avance à tâtons et s'étoffe de quelques révélations sur cette femme à la vie vaporeuse. Je ne dévoilerai pas le destin de Noëlle Lefebvre. Il vaut mieux découvrir ce texte pour retrouver l'atmosphère romanesque de Patrick Modiano. Il a choisi en exergue une citation de Maurice Blanchot : "Qui veut se souvenir doit se confier à l'oubli, à ce risque qu'est l'oubli absolu et à ce beau hasard que devient alors le souvenir". Le narrateur part sur les traces de son "héroïne anonyme" d' Annecy à Rome et parfois, il évoque sa vie comme un double de l'auteur et ses confidences intimes parsèment le texte en contrepoint. Entre cette femme du passé et le narrateur du présent, un lien se crée grâce au jaillissement des souvenirs. Un très beau roman sur le temps qui passe, sur ce vertige existentiel que Patrick Modiano ne cesse d'interroger...

jeudi 21 novembre 2019

"Le ghetto intérieur"

Ce roman, "Le Ghetto intérieur", de l'écrivain Santiago H. Amigorena est publié chez P.O.L., un éditeur à la couverture blanche très reconnaissable. Salué par la critique littéraire de la rentrée, ce livre n'a pas obtenu un prix littéraire. Je l'avais sélectionné pour l'atelier Lectures de novembre et comme le sujet m'intéressait, je l'ai acquis dans la librairie parisienne, "Les Cahiers de Colette", trés bel espace culturel, décoré par des photos d'écrivains. Je m'attendais à une lecture plus intense, plus dense en m'imaginant que l'auteur avait écrit un témoignage sur son grand-père, immigré en Argentine en 1928. Ce récit est bien intitulé "roman" et ce choix romanesque provoque une distance émotionnelle. Vicente Rosenberg vit dans ce pays depuis dix ans. Il a quitté la Pologne, s'est marié avec Rosita et a donné naissance à trois enfants. Son beau-père lui a légué un magasin de meubles prospère. Sa situation familiale pourrait le satisfaire et le rendre même heureux. Mais, il a abandonné sa mère et son frère à Varsovie. Dans ces années 30, l'antisémitisme commence à inquiéter Vicente et il supplie les siens de le rejoindre en Argentine. Au fil du récit, l'auteur raconte la vie matérielle confortable de Vicente en parallèle avec la précarité des siens en Pologne. La presse n'évoque pas l'horreur qui se prépare en Europe avec la mise en place de l'Holocauste. Sa mère, par contre, lui envoie des lettres où elle relate les problèmes des Juifs en Pologne, la création du ghetto, la faim, la misère, la maladie, la terreur, la promiscuité. Les événements de la solution finale ponctuent le récit mais Vicente ignore la dimension tragique de ces faits historiques. La culpabilité finit par l'emporter car au fond, il n'a pas insisté auprès de sa mère pour qu'elle vienne le rejoindre. Il aurait dû même aller la chercher en Europe. Sa vie à Buenos Aires se délite et il s'enfonce dans un silence qui prive sa famille de son amour de père et de mari. Ce mutisme laisse ses amis dans un désarroi incompréhensible. Cet homme heureux s'absente de lui-même : "Il devenait un fugitif, un traître. Un lâche. Il était devenu celui qui n'était pas là où il aurait dû être, celui qui avait fui, celui qui vivait alors que les siens mouraient. A partir de ce moment-là, il a préféré vivre comme un fantôme, silencieux et solitaire". Ce roman grave et sombre évoque l'horreur de la Shoah à travers le personnage de Vicente, le grand-père de Santiago H. Amigorena, rescapé malgré lui. L'auteur a composé un hommage à sa famille, déchirée par l'exil et par la culpabilité. Les mots lui semblent dérisoires face à ces destins tragiques. Pourtant, il prend sa plume pour témoigner. Ce livre, un devoir de mémoire. 

mercredi 20 novembre 2019

Atelier Lectures, 2

Dans le deuxième temps de l'atelier, nous avons abordé les coups de cœur. Mylène a évoqué le roman de Gaëlle Josse, "Une longue impatience" aux Editions Noir sur Blanc en 2018. En Bretagne, une femme perd son mari en mer. Plus tard, elle se remarie mais son fils, issu de son premier mariage, s'intègre mal dans sa nouvelle famille. Il finit aussi par prendre la mer comme son père pêcheur. Comme elle ne revoit pas son fils, une longue attente commence qu'elle va combler par l'écriture de lettres où elle lui raconte les plats qu'elle lui préparera à son retour. Mylène a aimé cette femme à l'amour maternel infini. Comme une folie assumée. Ce récit délicat et intimiste raconte la patience des mères, souvent en première ligne dans les moments difficiles de l'existence. A lire aussi ses précédents romans parus en livre de poche. Mylène a rencontré l'écrivaine, invitée par la bibliothèque municipale de Voglans. Elle nous a bien confirmé que sa personnalité semblait coïncider avec ses livres : la même délicatesse, la même intelligence du cœur. Danièle a présenté "Les Disparus" de Daniel Mendelsohn, paru en 2007 et Prix Médicis du Livre étranger. Entre 2001 et 2005, l'écrivain américain est parti à la recherche de traces laissées par la famille de son grand-oncle maternel disparue pendant la Shoah. Seul membre de la fratrie à être resté en Europe, cet oncle, raconté par son grand-père, fascinait son neveu depuis son enfance. Ce récit extraordinaire nous entraîne en Europe centrale avant 1939. Cette fresque historique poignante se lit avec le cœur serré et pour comprendre le chaos de cette époque, il faut absolument la découvrir. Pour ma part, je l'ai lu à sa sortie et je le relirai certainement car une seule lecture ne suffit pas. Ce classique contemporain, un chef d'œuvre de la littérature du XXIe siècle, reconstitue un monde perdu à la manière de Proust, celui de tous les Juifs de l'Holocauste mais rappelle l'immense culpabilité des frères de son oncle qui n'ont pas su ou pu aider leur famille en Europe. Une lecture incontournable, grave et profonde qui demande une attention certaine. Geneviève a présenté son coup de coeur, "Océan mer" d'Alessandro Baricco. Au bord de l'océan, se croisent sept personnages au destin étrange. Sept naufragés de la vie qui tentent de recoller les morceaux de leur existence. Il est aussi question du naufrage de la Méduse… Un roman à suspense, un roman d'aventures et une méditation philosophique. Pascale a choisi "Rue Darwin" de Boualem Sansal. Le narrateur retourne rue Darwin à Alger après la mort de sa mère. Une figure domine cette histoire, celle de Lalla, toute puissante grand-mère, patronne d'un bordel. Ce récit truculent montre un peuple déchiré entre leur patrie et une France avec qui les comptes n'ont toujours pas été soldés. Nous reparlerons de cet écrivain en janvier où nous lirons quelques auteurs algériens dont Boualem Sansal. Odile a recommandé le livre de Maxim Léo, "Histoire d'un Allemand de l'Est". Ce journaliste berlinois avait vingt ans au moment de la chute du Mur. Il relate l'histoire de sa famille dont le grand-père a contribué à la fondation de la RDA. Son père ne croyait déjà plus à l'idéal communiste. Ce document exceptionnel se déroule sur une soixantaine d'années. A découvrir pour commémorer les trente ans de la chute du Mur et de l'effondrement de la RDA. Voilà pour les coups de cœur de novembre… Des idées de lecture pour passer l'hiver au coin du feu avec un bon livre à la main et un verre de très bon vin blanc (à consommer avec modération)… 

mardi 19 novembre 2019

Atelier Lectures, 1

Ce mardi 12 novembre, nous nous sommes retrouvées dans le cadre de l'atelier lectures à la Maison de quartier. J'ai commencé par les nouveautés de la rentrée car j'avais demandé à chaque lectrice d'acquérir un livre pour ensuite le faire circuler. Danièle a démarré avec le roman de Marie Darrieussecq, "La mer à l'envers", publié chez P.O.L. Rose, la quarantaine, part en croisière en Méditerranée avec ses deux enfants, pour fuir ses problèmes conjugaux. Dans le bateau, elle croise un jeune migrant, Younès, un jeune nigérien, rescapé d'une chaloupe bondée de migrants. Il est recueilli par l'équipage et Rose avec sa compassion habituelle, lui offre le smartphone de son fils ainsi que des vêtements. A partir de ce geste généreux, Rose s'engage à soutenir ce jeune adolescent et un jour, Younès l'appelle. Que va faire Rose ? Il faut lire cet excellent roman d'après Danièle. Mylène avait choisi "Soif" d'Amélie Nothomb. L'écrivaine se met à la place de Jésus lors de la Passion. Ce sujet religieux traité avec son humour traditionnel n'a guère convaincu Mylène, déçue par son achat. Je pense que ce livre a attiré une adhésion immédiate pour les fans inconditionnels, ou au contraire une incompréhension totale. Véronique a bien apprécié "Jour de courage" de Brigitte Giraud, un très bon récit sur un sujet délicat, l'homosexualité. Un jeune lycéen prend le prétexte d'un long exposé sur un médecin juif-allemand, Magnus Hirschfeld, qui lutta pour les droits des femmes et des homosexuels. Avec ce portrait, Livio révèle son identité sexuelle différente en ce "jour de courage". Ce livre aurait mérité un prix littéraire... Janelou a lu "Petit frère" d'Alexandre Seurat. Ce roman évoque la perte d'un frère disparu et de sa culpabilité pour ne pas l'avoir sauvé. Janelou avoue qu'elle n'a pas aimé ce livre… Trop noir, une lecture étouffante. Dommage, car elle avait beaucoup apprécié son précédent "La Maladroite". Agnès et Geneviève ont choisi le même roman, "Eden" de Monica Sabolo. Ce conte poétique et féministe a séduit les deux lectrices. Dans une région reculée, à la lisière d'une forêt menacée de destruction, Nita rêve d'ailleurs. Elle rencontre Lucy, une jeune fille venue de la ville. Des événements tragiques ont lieu dans cette forêt mystérieuse : agressions, choses étranges jusqu'au viol de Lucy. Nita va mener l'enquête et se vengera de ce crime. Ce livre dresse le portrait d'un âge que l'on qualifie de "difficile", une étape majeure sensible et délicate. Monica Sabolo a reçu de bonnes critiques dans la presse dithyrambique à son égard. Mais, elle n'a obtenu aucun prix littéraire. Marie-Christine a beaucoup apprécié le dernier roman de Jeanne Benameur, "Ceux qui partent". Le roman raconte l'histoire de Donato et de sa fille, des Italiens qui immigrent en Amérique en 1910. Autour d'eux, des personnages qui viennent chercher un nouveau départ, une nouvelle vie. L'action se déroule en une journée d'attente à Ellis Island avant que les portes de ce paradis fantasmé s'ouvrent devant eux. Odile et Pascale ont évoqué le beau roman attachant et poétique de Natacha Appanah, "Le ciel par-dessus le toit". Eliette a mis le feu dans la maison de ses parents. Elle se nomme maintenant Phénix et devient mère de deux enfants, Paloma et Loup.  Cette famille en difficultés extrêmes ne tient pas en place…  Annette a terminé la séquence "Nouveautés" de la rentrée avec "Extérieur monde" d'Olivier Rolin. Quelle déception pour elle qui s'attendait à lire un grand livre ! Trop d'érudition pédante, trop d'autosatisfaction, trop de digressions… (La suite pour les coups de cœur demain)

lundi 18 novembre 2019

Escapade à Paris, 7

La veille de mon départ, j'ai profité d'une nocturne au Musée Orsay. La plupart du temps, les musées parisiens ferment à 18h, ce qui est un peu juste pour des provinciaux comme moi qui aiment tout particulièrement ces lieux de culture. Il faut bien noter quelques fermetures tardives et le Musée d'Orsay en propose une le jeudi soir jusqu'à 22h. Cela faisait des décennies que je n'avais pas mis les pieds dans cette gare fantastique, transformée en musée (sur une idée de Giscard d'Estaing) et inaugurée en 1986, située juste à côté de mon hôtel sur la rive gauche de la Seine. Les collections présentent l'art occidental de 1848 à 1914 dans tous ses aspects : peintures, sculptures, arts décoratifs, graphiques, photographies, etc. J'ai tout de suite remarqué une fréquentation importante sans toutefois attendre pour entrer dans cette nef magnifique. Plus de mille tableaux impressionnistes et postimpressionnistes sont disposés dans diverses salles très agréables. Beaucoup d'amateurs se concentrent sur les Gauguin, Van Gogh, Monet, Renoir, Manet, Cézanne, Courbet, etc. On a tellement vu ces peintres qu'ils en deviennent invisibles. Je conserve quand même une certaine tendresse pour le malheureux Van Gogh et pour le lumineux Cézanne. J'ai admiré mes préférés :  Vuillard, Bonnard, Matisse. J'ai déniché dans une aile du bâtiment deux toiles d'un peintre danois, Hammershoi  que j'avais vu à Copenhague et que j'apprécie beaucoup. Ce musée, un des plus grands d'Europe, ne se visite pas en une seule fois. Il faut choisir les étages à visiter et quand on a déjà réalisé le programme de la journée toujours chargé, la fatigue se fait sentir… Je n'ai pas eu le courage de voir toutes les sculptures, ayant opté pour la peinture. L'année prochaine, je retourne à Paris pour Orsay afin de compléter ma visite de ce jeudi soir. Il faut bien aussi se réserver des surprises pour des rencontres futures. Les Parisiens ont bien de la chance pour la culture. Orsay propose aussi des expositions temporaires, des conférences, des concerts, un espace cinéma et même des spectacles… J'ai découvert le restaurant très design, situé derrière l'immense horloge de l'ancienne gare. Et pour retrouver des forces, j'ai dîné dans ce bel espace.  Mon séjour s'est terminé le lendemain à la Gare de Lyon et dans un TGV confortable et silencieux à trois heures de Chambéry. Le bilan de mon séjour parisien s'avère bien positif : mes retrouvailles avec la capitale à travers ses musées passionnants, la Seine, les quais, ses jardins patrimoniaux m'ont permis de comprendre que notre capitale déborde d'énergie, de potentialités, de cultures même si l'on croise dans les rues la misère des SDF et des migrants. J'ai même rencontré des Parisiens charmants, en particulier un chauffeur de bus qui a plaisanté sur la monnaie que je lui tendais. Le personnel de l'hôtel était charmant et on se rend compte que beaucoup de Parisiens ont des attaches en province. Je me suis réconciliée avec Paris que j'ai boudé pendant longtemps… Dorénavant, je monterai une fois par an, promis juré ! 

vendredi 15 novembre 2019

Escapade à Paris, 6

J'ai pris un bus pour me rendre à Beaubourg, le Centre Pompidou car j'avais envie de revoir le musée national d'art moderne. Quand je vivais à Paris, je fréquentais la Bibliothèque (la BPI) en accès libre et des centaines d'étudiants travaillaient en toute liberté dans cet espace non surveillé, convivial et branché. On ne pouvait pas emprunter les livres mais elle était ouverte jusqu'à 22H, une anomalie heureuse dans la France des années 80. Inauguré en 1977, le Centre accueille encore plus de trois millions de visiteurs, mais en forte baisse (plus de huit millions avant). J'ai ressenti la décrue des visiteurs dans les salles peu fréquentées. L'institution polyculturelle est en rénovation car ce bâtiment a mal vieilli. Sa modernité extrême semble aujourd'hui dépassée. Je me suis contentée de revoir l'une des trois collections d'art moderne et contemporain au monde (plus de 100 000 œuvres). Je ne citerai pas tous les artistes que l'on rencontre dans ces salles spacieuses et bien éclairées. J'ai revu avec plaisir tous les mouvements picturaux du XXe siècle, en particulier l'abstraction lyrique, le surréalisme, l'art abstrait. Je reste encore dubitative devant les œuvres contemporains... Pour les amateurs de ces périodes, la visite du MNAM me semble indispensable. Après Beaubourg, j'avais repéré dans le Routard un salon de thé original, La Fourmi ailée, situé dans le 5e, dont l'atmosphère est littéraire… Installée dans une ancienne bibliothèque, des étagères de livres décorent les murs. On se sent bien dans ce lieu intime avec ses tables bistrot en marbre, sa collection de théières dans des niches, l'absence de musique commerciale (un bonheur !). Le patron du salon m'a expliqué que le nom, "la fourmi ailée", venait d'un titre d'une nouvelle de Virginia Woolf... Ce geste ne pouvait que me ravir ! Avant de partir vers le dernier musée de mon séjour parisien, je me suis promenée dans les jardins du Palais-Royal et dans les galeries diverses. Siège d'institutions illustres (Ministère de la Culture, Conseil d'Etat, etc.), Jack Lang imposa en 1986 les colonnes de Buren dans la cour d'honneur et pas mal d'enfants s'approprient cet espace ludique avec joie. Colette et Jean Cocteau vivaient dans ce lieu et la Mairie de Paris propose des fauteuils "littéraires" avec des citations incrustées sur les dossiers écrits par Lorca, Baudelaire, Ritsos, etc. Une très bonne initiative originale. Cette balade de fin d'après-midi s'est poursuivie dans la librairie Delamain, une des plus vieilles librairies de Paris où les écrivains venaient feuilleter les livres dont Colette, évidemment. J'ai ensuite retraversé l'esplanade des Tuileries, l'Arc de triomphe du Carroussel, la Pyramide du Louvre et repris le chemin de l'Hôtel sur le Quai Voltaire. Les touristes se mélangeaient aux Parisiens sans problème et il régnait même une certaine euphorie sur les visages des flâneurs(ses). Le ciel de Paris était particulièrement bleu avec des nuages flottants et les façades du musée reflétaient cette lumière mordorée. La Seine coulait et je pensais à Guillaume Apollinaire… 

jeudi 14 novembre 2019

Escapade à Paris, 5

Mon hôtel se trouvait assez près de Notre-Dame-de-Paris et en fin d'après-midi, je voulais voir les dégâts occasionnés par l'incendie de la charpente. Quel désastre patrimonial ! Quand on aperçoit le squelette de la cathédrale, comme un corps blessé, comme une épave millénaire sur cette Ile de la Cité, le cœur se serre à la vue de ce gâchis. Je me suis même demandée si l'édifice n'allait pas s'effondrer dans les mois qui viennent. Pour les croyants ou les non-croyants, la revoir réparée demandera des années et cette immense et magnifique cathédrale redeviendra un édifice sacré de notre histoire nationale. J'ai longé les quais où sont installés les bouquinistes et j'ai remarqué que les livres anciens et d'occasion remplissent encore les caisses en bois vert de ces libraires ambulants. Quelques boutiques remplacent les livres par des objets sur Paris qui plaisent tant aux touristes de passage… J'ai quand même farfouillé dans les bacs et j'ai trouvé un ouvrage sur la philosophie de Jankélévitch, un souvenir de mon escapade. Il vivait Quai des Fleurs sur l'Ile Saint-Louis. Le lendemain, j'avais un programme chargé. J'ai démarré par la visite d'une galerie d'art, celle de Jeanne Bucher Jaeger, située dans le quartier du Marais, où j'ai retrouvé avec bonheur une des mes peintres préférés : Vieira da Silva. Cette femme artiste crée un univers singulier où les lignes, la perspective, les couleurs forment des paysages urbains qui incitent notre esprit au rêve et à la recherche d'une échappée quasi spirituelle. Ces tableaux me fascinent depuis très longtemps et je regrette que cet artiste de génie, discrète et modeste, soit si peu connue et célébrée. La galerie propose une trentaine de toiles fabuleuses et je ne voulais en aucun cas manquer cet événement rare. Cette exposition part à New York après Paris… Je laisse la parole à Vieira : "J'observe les gens qui marchent, chacun avec une apparence différente, chacun avançant à son propre rythme. Je pense aux fils invisibles qui les manipulent… J'essaie de percevoir la mécanique qui les coordonne. Je dirais que, d'une certaine façon, c'est cela que je tente de peindre". Dans ce quartier attachant du Marais, j'ai enfin poussé les portes du Musée Picasso, installé dans l'Hôtel de Salé, un édifice baroque. Ce musée élégant comblera tous les amateurs du peinte espagnol. L'esprit du lieu apporte une touche décalée et la déambulation dans les salles s'effectue dans une fluidité appréciable. J'ai beaucoup apprécié certaines toiles en particulier les Baigneuses à Biarritz… Sa production prolifique et vertigineuse peut dérouter, mais, malgré tout, ce peintre aux périodes diverses ne peut qu'éveiller la curiosité voire l'admiration. Ce musée remarquable ne présente pas seulement Picasso car on peut aussi voir des tableaux de Cézanne, Matisse, Balthus, etc. Une phrase de Michel Leiris résume le projet artistique de Picasso : "L'œuvre d'art n'a d'autre but que l'évocation magique des démons intérieurs". Un visite incontournable à Paris. 

mercredi 13 novembre 2019

Escapade à Paris, 4

Mercredi, direction Saint Germain des Prés, un quartier littéraire mythique. Tout le monde connait les photos de nos intellectuels français sartriens, prises au deux Magots, au Flore, et dans les brasseries parisiennes inimitables. Même soixante ans après, l'air que l'on respire dans ce lieu sent l'amour des idées, des livres, de la littérature. Evidemment, quelques librairies ont disparu mais il en reste encore quelques unes comme Gibert Jeune, La Hune, Compagnie, etc. J'étais heureuse de me retrouver devant l'église de l'abbaye du quartier que j'ai visitée. Les Germanopratins ont bien de la chance de vivre dans ce quartier historique et je n'ose pas imaginer le prix du mètre carré pour se loger… Après cette balade aux accents nostalgiques et en me dirigeant vers le Louvre, j'ai découvert la Sainte Chapelle aux vitraux immenses, construite en sept ans en 1248. Puis, j'ai retrouvé l'odeur des livres à la Bibliothèque Mazarine, la plus ancienne bibliothèque publique de France. Située Quai Conti, elle est rattachée à l'Institut de France. Ses fonds appartenaient au cardinal Mazarin. Il m'a suffi de passer un portique avec un badge visiteur et j'ai ainsi monté le bel escalier qui m'a dirigée dans la salle d'étude. Un silence studieux et religieux régnait dans cet espace occupé par des étudiants et des chercheurs, hommes et femmes. J'ai même eu l'autorisation de prendre quelques photos pour me souvenir de cette bibliothèque de recherche, dotée de 600 000 documents dont des centaines d'incunables. Quand je vois ces murs chargés de livres anciens, ces tables de travail, ces lampes, ces passionné(es) de l'étude, je me dis que notre chère civilisation de l'imprimé n'a pas encore disparu… Dès cet été, j'avais réservé des places pour l'exposition Léonard de Vinci et j'avoue que cette visite m'a laissée sur ma faim. Pourtant, j'avais espéré une belle rencontre avec ce peintre génial. Hormis le fait que je n'ai pas attendu pour pénétrer dans le Louvre, j'ai noté la présence de milliers de touristes  du monde entier en groupe ou en solo. Même convoquée vers midi, je n'étais pas la seule sur ce créneau. Nous étions serrés, débordés, en rang d'oignons devant chaque toile du maître toscan. Je ne comprends pas l'administration du musée : pourquoi accepter tant de visiteurs dans cet espace confiné ? Je n'ai pas eu de réponse. Il faut accepter cet état de fait. Les vitrines où s'exposaient les dessins de Léonard étaient même inaccessibles... Je n'avais pas envie de jouer les coudes comme dans le métro. J'ai quand même vu les toiles les plus célèbres : le Saint Jean Baptiste, la Vierge, Sainte Anne et l'enfant Jésus, la Madone aux fuseaux, la Belle Ferronnière, le Portrait de musicien. Cela m'a quand même émue de voir ces tableaux que Léonard avait touché lui-même. Cinq cents ans après, ce génie continuait à fasciner et à passionner les amateurs d'art. Tant mieux s'il attire des milliers de visiteurs mais l'organisation de la visite s'est avérée décevante. J'ai profité de l'après-midi pour revoir quelques départements : la Grèce antique, les peintures français, italienne, hollandaise, allemande. On peut se perdre facilement dans les ailes du Louvre, un vrai labyrinthe et il faudrait des jours et des jours pour tout voir ! Parfois, je me suis retrouvée seule dans des salles délaissées par les visiteurs comme dans les rues de Venise à côté de la place San Marco. J'ai vérifié que Mona Lisa attirait toujours ses adorateurs asiatiques... Le Louvre, un monde en soi, une planète à explorer en préparant ce tour du monde de l'art. Un musée incontournable et grandiose !

mardi 12 novembre 2019

Escapade à Paris, 3

Le cimetière du Montparnasse se situait prés du musée Zadkine et j'ai saisi l'occasion pour me recueillir (en ce temps de la Toussaint) sur les tombes de Simone de Beauvoir et de Marguerite Duras. Ce lieu incroyable et inspiré accueille les personnalités les plus diverses : artistes, hommes politiques, écrivains, peintres, stars de la télévision, militaires, parisiens et parisiennes anonymes. Les tombes se distinguent les unes des autres par des excentricités : sculptures baroques, décorations loufoques, citations ciselées sur le marbre. Tout est un peu spectaculaire dans cet espace immense. J'avais l'impression de lire un livre d'Histoire de France en remarquant les noms de famille, leur importance sociale liée à la grandeur du caveau. Après quelques minutes hésitantes, j'ai enfin trouvé la tombe de Marguerite Duras dans la division indiquée : j'ai ressenti une émotion devant sa simplicité. Les amoureux(ses) de son œuvre plantent des stylos dans des pots de fleurs. L'écrivaine n'est pas seule car son dernier compagnon, Yann Andréa, l'accompagne dans cette dernière demeure. Je remarque qu'elle n'est pas oubliée et que sa sépulture attire beaucoup de visiteurs. Plus loin, Simone de Beauvoir et Jean Paul Sartre reposent dans une tombe dépouillée et la stèle est décorée par des centaines de traces en forme de baiser. Une classe de lycéens allemands se tenait prés de moi et ils prenaient des notes selon les indications de leur professeur. La notoriété du couple Beauvoir-Sartre dépasse nos frontières et cela me faisait plaisir que ces deux grands écrivains français intéressent encore quelques jeunes européens. Je pensais depuis longtemps rendre un hommage à ces deux écrivaines exceptionnelles qui ont changé la vie des femmes (et la mienne) en France. Ce pélerinage littéraire une fois effectué, j'ai visité l'Institution Giacometti au 5, rue Victor Schoelcher, installée dans l'ancien atelier de l'artiste-décorateur Paul Follot, un hôtel particulier de style Art Déco. L'atelier reconstitué d'Alberto Giacometti, composé de son mobilier, d'objets personnels, de murs peints par l'artiste, permet d'imaginer la vie de cet artiste magnifique. Des expositions temporaires offrent un nouvel éclairage sur l'œuvre de l'artiste. Les sculptures hiératiques habitent le lieu, lui insufflant une atmosphère quasi sacrée, en particulier dans la salle principale, une bibliothèque où livres et statues se mélangent avec bonheur. Comme j'aime beaucoup Giacometti, ces moments passés en sa compagnie virtuelle auprès de ses œuvres m'ont bien convaincue que ce musée particulier magnifiait cet artiste génial. J'ai terminé ma soirée à la Fondation Cartier où j'ai vu une exposition sur les arbres, "Nous, les arbres", leur importance dans les sociétés indiennes et dans les nôtres, imprégnées d'un souci légitime écologique pour leur survie. Encore une journée culturelle intense et épuisante (il faut beaucoup marcher à Paris) mais ô combien enrichissante !   

lundi 11 novembre 2019

Escapade à Paris, 2

J'avais déjà retrouvé dès le lundi un certain goût de Paris en marchant le long des quais… C'est sans doute un endroit privilégié loin des arrondissements dits "populaires" mais pourquoi se priver du cœur historique de la capitale ? Dès mardi, j'ai repris le même chemin que la veille pour atteindre le Petit Palais que je n'avais jamais visité. Devant l'édifice, se tenait le bouquet de tulipes controversé de Jeff Koons, offert par l'artiste. Ce musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, situé dans le 8e, a été construit à l'occasion de l'Exposition universelle de 1900. Ce bijou architectural s'organise autour d'un jardin semi-circulaire, la façade mesurant 150 mètres de long, ornée de colonnes ioniques à volutes. Il abrite une collection permanente qui va de l'Antiquité à la fin du XIXe. Des donateurs ont permis d'enrichir les collections et j'ai surtout apprécié la section Antiquités gréco-romaines avec mes éternels vases, des tableaux du Moyen Age, de la Renaissance, de l'Impressionnisme. Dès que l'on pénètre à l'intérieur, le vestibule décoré de fresques et de sculptures annonce un édifice architectural d'exception. Toutes les salles présentent les collections sur le plan chronologique et des expositions temporaires stimulent encore plus l'intérêt de visiter le Petit Palais. Mon deuxième musée de la journée que je connais bien, le Musée d'art moderne, appartient aussi à la Ville de Paris (gratuité totale…). Installé dans l'aile est du Palais de Tokyo, l'édifice, de style Art déco, fut conçu dans le cadre de l'Exposition internationale des arts et des techniques de 1937. Il a réouvert ses portes en octobre et j'ai donc profité de sa rénovation pour déambuler avec plaisir dans ses salles claires, lumineuses et vastes. J'ai surtout apprécié l'immense fresque de Dufy, "La fée électricité" et ensuite, s'est offert devant mes yeux, un festival d'artistes modernes et contemporains dont Picasso, Braque, Gris, Modigliani, Chirico, Giacometti et tant d'autres peintres qui ont marqué le XXe. Une visite incontournable pour qui aime l'art sous toutes ses formes. Puis, j'ai passé l'après-midi dans le quartier Montparnasse où j'ai déniché deux espaces merveilleux. Le premier se cache dans la rue d'Assas dans la maison où a vécu Ossip Zadkine (1890-1967), un sculpteur cubiste français d'origine russe. Ses sculptures en bronze sont disposées dans le jardin et à l'intérieur, celles en bois frappent par leur épure stylisée. Son œuvre foisonnante et fascinante mériterait d'être encore plus connue et je cite cette phrase de l'artiste : "Les sculpteurs de ma génération et moi-même pouvons être considérés comme les continuateurs de l'antique tradition de ces tailleurs de pierre et de bois qui, partis de la forêt, chantaient librement leurs rêves d'oiseaux fantastiques et de grands fûts d'arbres". Une exposition, "Le Rêveur de la Forêt", enchante les visiteurs de ce petit musée remarquable. Quelquefois, des petites unités artistiques valent bien les très grands espaces labyrinthiques… 

samedi 9 novembre 2019

Escapade à Paris, 1

Avant l'hiver, j'aime bien partir en début novembre et j'ai choisi Paris que je n'ai pas fréquenté depuis quelques années. Je ressens un sentiment ambivalent, dubitatif pour notre capitale où j'ai vécu dans les années 80. Je garde un souvenir merveilleux de cette époque où je déambulais sans fin pendant des heures et des heures. Je vivais mon rêve de libraire en découvrant la vie littéraire de Paris. De la librairie des Femmes à Compagnie, de la Hune à la FNAC, de Gibert Jeune à José Corti, je fréquentais ces lieux comme un pélerinage. Ce Paris de Saint-Germain-des-Prés, je l'ai connu encore authentique et je m'imaginais rencontrant Beauvoir et Sartre que je n'ai pas croisés, hélas. Dans mes souvenirs modianesques, ma mémoire conserve des milliers d'images, de moments, de paysages et de rencontres. Cette ville-livre, cette ville-musée, cette ville-jardin, je l'ai retrouvée pendant ces cinq jours. Je suis descendue dans un hôtel, quai Voltaire, entre l'Institut de France et le musée d'Orsay en face du Louvre. Dans cet édifice de la moitié du XIXe, quelques personnalités l'ont fréquenté : Wagner, Sibelius, Baudelaire, Oscar Wilde. De mon balcon, coulait la Seine, et le Louvre s'étalait devant mes yeux dans toute sa munificence. Mon regard émerveillé débusquait tous les monuments qui se profilaient dans un ciel dégagé : les ponts de l'Ile de la Cité, la Coupole de l'Institut, les tours de Notre-Dame, la Tour Eiffel… Dès ma première journée, j'ai visité le musée Jacquemart-André où m'attendait la collection Alana, l'une des plus précieuses et secrètes collections privées d'art de la Renaissance italienne, actuellement conservée aux Etats-Unis. 75 chefs-d'œuvre étaient présentés au public dispersé en fin d'après-midi : Uccello, Bellini, Lippi, Fra Angelico, Carpaccio, Véronèse, Le Tintoret, etc. J'ai remarqué une Annonciation remarquable de Lorenzo Monaco. Je ne connaissais pas ce musée parisien et j'ai découvert un lieu vraiment intéressant. Je craignais une grosse affluence car l'exposition est assez médiatisée, et j'ai eu de la chance de pouvoir admirer ces tableaux inédits, collectionnés par un milliardaire chilien. Comme j'aime l'Italie et tout particulièrement la Renaissance, je ne pouvais que me réjouir d'avoir vu la collection Alana. Je suis repartie vers mon hôtel en traversant la Place de la Concorde, toujours envahie de voitures, et je me suis promenée dans les jardins des Tuileries, inscrits au Patrimoine de l'UNESCO, un espace jardin magique avec ses deux bassins, ses chaises vertes, ses mouettes, ses statues, ses sculptures contemporaines, ses arbres centenaires. Après la pause restaurant (le Café de l'Empire, rue du Bac), je suis repartie voir la Pyramide du Louvre, illuminée face à l'Arc de Triomphe du Carrousel… Un paysage historique et culturel unique ! 

dimanche 3 novembre 2019

"La panthère des neiges"

Le dernier récit de Sylvain Tesson, paru chez Gallimard, n'est pas seulement un livre animalier sur la mythique panthère des neiges que l'on rencontre aux confins du Tibet.  L'écrivain voyageur, géographe et poète, délivre un message à ses lecteurs(trices) fidèles : essayez donc l'affût, l'affût de la beauté du monde. La panthère symbolise cette vision d'une beauté qu'il faut absolument protéger, conserver, préserver, sauver. Notre arpenteur des espaces part en plein hiver sur des sommets enneigés à cinq mille mètres d'altitude avec le photographe Vincent Munier, sur les traces de la panthère. Déjà, le texte prend une certaine hauteur, une dimension indéniable, un air rare, une appréhension palpable. Sylvain Tesson réalise qu'il vit une expérience unique avec son équipe. Lui, l'agité, le fou de vitesse, l'illuminé des toits (il fera une chute qui le blessera gravement), se rend compte que la frénésie, dans laquelle il traversait l'existence, semble dépassée par l'aventure du moment. Pour photographier un animal si furtif, il faut apprendre des vertus qui paraissent démodées, décalées, obsolètes : la lenteur, la patience, le silence, l'attente, l'affût. Ces vertus si exceptionnelles dans nos modes de vie transforment chaque individu quand il les pratique. Il confesse son état d'âme : "L'affût vous mène à une forme de modestie : vous pensiez que la nature vous était donnée et elle recèle de chatoiements dont vous n'aviez pas idée. La patience est la vertu de l'affût. On s'installe dans la géographie au lieu de la parcourir. J'ai été amené à repenser mon usage du monde". Dans ce texte inspiré, Sylvain évoque les paysages du Tibet, le froid pénétrant, les yacks, les loups, les chèvres sauvages, les rapaces, les relations dans le groupe, les contacts avec les habitants. Le moment le plus magique se déroule dans le dernier tiers du récit quand le narrateur aperçoit sa panthère des neiges : "Ce fut une apparition religieuse. Aujourd'hui, le souvenir de cette vision revêt en moi un caractère sacré". L'écrivain évoque comme à son habitude des poètes, des écrivains et des philosophes qui viennent illustrer ses pensées personnelles. Dans ce cadre naturel originel, Sylvain Tesson n'oublie jamais de parsemer des mots d'humour, d'ironie pour mettre à distance ses chagrins nostalgiques. Il reverra sa panthère une deuxième fois avec la même émotion émerveillée. Un très beau récit à la tonalité nouvelle, teinté de maturité, de gravité joyeuse, un appel pour vivre une vie plus intense dans une sérénité retrouvée. L'agitation du voyageur compulsif se termine et commence pour Sylvain Tesson l'ère d'une certaine contemplation du monde… 

samedi 2 novembre 2019

"Souvenirs de l'avenir"

Ce roman, "Souvenirs de l'avenir" de l'écrivaine américaine, Siri Hustvedt, réclame un peu d'effort et de patience pour apprécier son projet ambitieux, un patchwork d'histoires qu'il faut saisir d'emblée afin que la lecture soit plus confortable. Le roman est structuré par trois textes différents : un journal intime, l'écriture d'un premier roman, composés en 1978 et le texte de l'écrivaine d'aujourd'hui. HS, la narratrice s'installe à New York dans un immeuble décrépi où les cloisons laissent passer les moindres paroles des voisins. Elle perçoit des propos confus d'une mystérieuse locataire, Lucy. Elle prend des notes sur les monologues de Lucy qui évoque la mort brutale de sa fille et la soif de vengeance qui l'anime. La narratrice entame aussi l'écriture de son propre livre maladroit et inachevé. Quarante ans plus tard, elle retrouve son journal intime, l'ébauche de son premier livre et décrit son présent actuel en analysant la femme qu'elle était à l'époque de sa jeunesse. A partir de cette architecture un peu complexe, il suffit de pénétrer dans l'univers littéraire de Siri Hustvedt et quel univers ! L'écrivaine américaine interroge ses différents "moi" à travers les décennies sans utiliser le jargon de la psychologie, de la psychanalyse et de la philosophie. Son entreprise autobiographique repose sur les textes de sa jeunesse. Le flot des souvenirs inonde son moi actuel et tout ce magma psychique se mélange et aboutit à une identité flottante, chatoyante de réel et de fictions. Il s'agit d'analyser comment on devient Siri Hustvedt, vaste programme… Dans un entretien qu'elle a donné à une journaliste, elle qualifie cette œuvre "d'origami, tant il joue de plis et replis pour finalement former un oiseau de papier, prêt à l'envol, libéré des contraintes, qu'elles soient formelles ou intimes". Dans le journal intime, elle relate son histoire avec un étudiant violent et sûr de lui qui tente de la violer. Sa voisine la sauve de ce désastre et commence alors des relations de SH, la jeune femme, avec le groupe de femmes autour de Lucy, des "femmes sorcières"... Ce roman plonge le lecteur(trice) dans les thèmes chers à l'écrivaine : l'emprise du temps sur le "moi", l'identité fragile, la mémoire défaillante, les rapports de violence, la création littéraire, le rôle de la littérature, de l'écriture. L'écrivaine américaine poursuit livre après livre son rêve de jeunesse : "Je finirais, avec le temps, par m'augmenter moi-même volume après volume, jusqu'à devenir cette géante que je voulais être". Même si ce récit hybride semble un peu complexe à décrypter, lire cette écrivaine fascinante et d'une intelligence fabuleuse procure un plaisir certain. Pour moi, il est temps que le prix Nobel couronne son œuvre, mais je crois que ce jury n'a jamais lu Siri Hustvedt… Une écrivaine américaine majeure, à lire sans modération. 

vendredi 1 novembre 2019

"Par les routes"

Sylvain Prudhomme, jeune écrivain français, compose avec son "Par les routes", une fugue musicale autour de trois personnages : le narrateur, Sacha, Marie et son compagnon, l'autostoppeur. Sacha quitte Paris pour s'installer dans une ville du sud, où vit aussi un ami mythique avec lequel il a parcouru les routes de France quand ils étaient jeunes. Les voilà tous les trois dans la quarantaine et à cet âge-là, tout peut se rejouer. Marie travaille chez elle comme traductrice de l'italien et particulièrement de Marco Lodoli. La jeune femme accepte les lubies de son autostoppeur qui part de temps en temps sur les routes, son métier d'autoentrepreneur lui permettant de s'absenter régulièrement. Sacha traverse une crise existentielle : "A V., je comptais mener une vie plus calme. Ramassée. Studieuse. Je rêvais de repos. De lumière. D'une existence plus vraie. Je rêvais d'élan. De fluidité. D'un livre qui viendrait d'un coup, en quelques semaines à peine". Sacha loue un petit studio comme au temps de ses études. Un redémarrage régénérant. Il retrouve un cousin qui habite la petite ville et surtout il contacte son ancien ami qu'il n'a pas vu depuis vingt ans. Celui-ci lui présente sa compagne, Marie, et son fils Agustin. Tout se passe dans une parfaite harmonie. Son ami lui raconte alors sa quête obsessionnelle de partir sur les routes. Il photographie les hommes et les femmes qui ont la gentillesse de le prendre en autostop. Cette soif de rencontres hasardeuses le passionne et des bouts de vie se déroulent au fil du texte. Peu à peu, des liens affectifs entre Sacha et Marie se tissent à cause des absences répétées de l'autostoppeur (il n'a pas de prénom dans le roman). L'autostoppeur envoie des cartes postales de tous les lieux visités mais, un jour, il ne donne plus de nouvelles. Marie finit par perdre sa sérénité et s'interroge sur ce trio amoureux. L'autostoppeur semble sacrifier sa vie de famille pour sa passion de la liberté qui commence à se conjuguer difficilement avec la patience de Marie et les attentes de son fils. Le narrateur, peu à peu, remplace son ami auprès du petit garçon et surtout auprès de Marie. L'autostoppeur va-t-il revenir au sein de son foyer ?  Je ne dévoilerai pas la fin de ce roman subtil à l'écriture finement ciselée dans une simplicité trompeuse. Le vagabondage sur les routes, loin du confort familial, montre le malaise, le mal être du personnage. L'un se libère des liens pour fuir le réel, l'autre au contraire noue des liens pour s'ancrer dans le réel, des jumeaux complémentaires qui, peut-être, ne sont qu'un seul personnage. Ce très bon roman au charme certain mériterait d'obtenir un prix littéraire, pari tenu… 

lundi 28 octobre 2019

"Propriété privée"

Julia Deck publie son quatrième roman, "Propriété privée", dans cette rentrée littéraire, édité chez Minuit. La narratrice raconte son déménagement dans une banlieue cossue. Le couple a décidé de fuir Paris pour vivre dans un quartier écologique, "un écoquartier pour bobos",  où un ancien entrepôt s'est transformé en lotissement de luxe : "Il était temps de devenir propriétaires. Soucieux de notre empreinte environnementale, nous voulions une construction peu énergivore, bâtie en beaux matériaux durables". La gare RER leur permet d'atteindre Paris en peu de temps. Une maison avec un jardin, un rêve de bonheur pour ces Parisiens fatigués. Ils peuvent se permettre cette vie car elle est urbaniste en free lance et son mari, professeur d'université,  ne travaille pas pour des raisons de santé car il souffre d'une dépression. Leur nouvelle cohabitation se déroule normalement à leur arrivée, peu à peu les ennuis commencent à poindre avec le voisinage. L'anonymat des grandes villes a disparu dans ce quartier convivial et solidaire. Un chat rouquin commence à prendre ses aises dans leur propre jardin, ce qui agace le couple. Une voisine sans-gêne frappe chez eux à tous moments pour leur demander des services. Ce manque d'éducation les contrarie un peu. Les travaux du lotissement ne sont pas terminés et provoquent un bruit constant. Ce nouvel Eden ressemble déjà à un petit enfer. Leurs voisins, jeunes couples bourgeois, font la fête autour de barbecues arrosés, la sono hurlante. Le lendemain matin, il faut supporter les bruits de perceuses et de tondeuses sans compter sur les cloisons de ces maisons qui laissent filtrer les secrets gênants des voisins. La narratrice accepte de participer à contre-coeur à un vide-grenier où "les propriétaires monopolisent le trottoir avec une jovialité indécente, comme s'il n'existait pas de plus grand bonheur sur terre que de se soûler tout un dimanche à exhiber ses rebuts". Le roman satirique se termine en thriller : le chat rouquin est retrouvé avec le ventre ouvert, une voisine disparaît avec son fils, des relations adultères se nouent. La narratrice, lasse de tous ses déboires, met la maison en vente et retourne à Paris. Une fin logique pour ces bobos parisiens qui finissent pas se séparer : la déflagration n'a pas seulement touché cet écoquartier, elle a pulvérisé le couple. Julia Deck s'amuse beaucoup en décrivant ces urbains branchés, écologistes naïfs, qui exécutent une comédie sociale où le sempiternel "vivre ensemble" s'avère une utopie trompeuse. Un roman ironique sur le rêve de la maison individuelle, nid douillet mais parfois, nid épineux… 

vendredi 25 octobre 2019

"Les Pays"

Ce roman, "Les Pays", écrit par Marie-Hélène Lafon et publié chez Buchet-Chastel en 2012, se lit d'une seule traite. Claire, jeune étudiante en Lettres, est originaire du Cantal. Elle poursuit ses études à Paris et se trouve confrontée à deux mondes fort différents : sa vie d'avant dans sa simple expression à la campagne et sa vie d'aujourd'hui à Paris dans la ville la plus urbanisée du pays. Ces deux cultures tissent un récit autour du sentiment ambigu de trahir ses origines : comment s'adapter  dans la capitale intimidante sans se renier ? Le thème de transfuge est traité magistralement par l'écrivaine. Annie Ernaux raconte la même histoire, celle d'une jeune fille émancipée qui quitte l'épicerie de ses parents pour devenir professeur et écrivaine. Dans les premières pages de l'ouvrage, le père de Claire a décidé de visiter le Salon de l'Agriculture avec ses deux grands enfants. Le père agriculteur s'inquiète pour son avenir et se bat pour maintenir sa ferme familiale. Ce voyage à Paris représente un exploit pour cet homme simple et effrayé par la complexité du lieu. Plus tard, Claire, restée seule, loin de son pays natal,  découvre Paris, la Sorbonne, le Louvre et invitée chez son professeur de grec avec d'autres étudiantes, elle décrit ce milieu ainsi : "Une vie comme celle que monsieur Jaffre menait dans cette maison et dans ce jardin était donc possible, ça tenait par les livres, ça tenait par l'arbre, et par mille autres liens dont on ne démêlerait pas l'enchevêtrement ; ça sentait la joie, une joie austère  et ardente". La jeune provinciale rencontre Lucie et se noue une belle amitié entre elles. Pendant les mois d'été, elle trouve un travail dans une banque tout en regrettant le temps des moissons et des travaux à la ferme. Son Cantal lui manque et le texte fourmille de souvenirs nostalgiques sur ce pays perdu. Claire comprend la différence sociale en fréquentant le milieu privilégié de son amie Lucie : "On vivait avec Bach".  Son initiation à la vie urbaine, loin de sa terre natale, s'affirme au fil des pages. Marie-Hélène Lafon consacre le dernier chapitre à son héroïne (qui lui ressemble comme une sœur jumelle) à l'âge de quarante ans quand celle-ci est devenue professeure à Paris. Elle a apprivoisé la capitale, la considère comme "un terrier dans la ville minérale" et là-bas, dans le Cantal, son "terrier des champs". La mue semble réussie en conjuguant ces deux amours sans les trahir. Un texte lumineux, d'une écriture toujours singulière, vibrante, un hommage à la nature (son pays natal) et à la culture (son pays adoptif). 

mercredi 23 octobre 2019

"A la première personne", 2

Alain Finkielkraut revient, évidemment, sur un des sujets qu'il développe souvent dans ses prestations médiatiques : l'affaissement de la culture. Il évoque Charles Péguy, fils d'une rempailleuse de chaise, sauvé par l'école communale. En regrettant cette indifférence à l'héritage culturel, il attire les foudres d'un grand nombre de ses pairs qui le trouvent réactionnaire, passéiste, voire décliniste. Quel crime a-i-l commis pour se sentir sans cesse vilipendé ? Il ose intégrer une échelle de valeurs dans le monde de la culture, ce qui est une entorse au politiquement correct. Pour lui, une mélopée de rap n'égale pas une symphonie de Mozart : "L'inculture a disparu d'un coup de baguette magique : tout est culturel, proclament les sciences sociales. (...) Aujourd'hui, la culture, c'est la mare. Plus besoin donc de s'élever pour s'en approcher". Nous avons vu l'hommage de la nation à un chanteur populaire. Pour ma part, j'étais étonnée de voir notre Président aux obsèques de ce grand chanteur de rock. La société du spectacle n'intéresse pas le philosophe et il ne se reconnait plus dans ce monde égalitariste. Tout se vaut et alors rien ne se vaut. Sa conception d'une culture élitiste pour tous passe très mal de nos jours. Un terrain glissant où il est préférable de ne point s'aventurer. Ce philosophe ne se résigne pourtant pas à l'effondrement culturel : "Je continue, je m'obstine, j'aggrave mon cas pour une raison toute simple, admirablement exprimée par Léon Werth (…) : je tiens à la civilisation, à la France. Je n'ai pas d'autre façon de m'habiller. Je ne peux pas sortir tout nu". La phobie technologique d'Alain Finkielkraut appartient aussi à sa légende médiatique. Il craint l'emprise des écrans dans nos vies et cette critique lui vient du grand philosophe Heidegger qui a défini le monde comme un empire de la technique, le Gestell qui se manifeste dans le langage  anglicisé, l'écriture inclusive, la féminisation des métiers, le tourisme de masse, l'invasion de la musique en tous lieux et bien d'autres contrariétés que notre société génère. Il évoque "l'inhabilité de notre monde, l'empire dévastateur de l'esprit de la technique", dont il révèle les symptômes. Avant de critiquer et de condamner ce grand intellectuel français, je conseille d'ouvrir ces ouvrages et de le lire, tout simplement, de le lire attentivement. Et ensuite, de penser par soi-même si cette voix dérange ou au contraire nourrit la réflexion sur notre monde contemporain. J'avoue que je partage souvent l'inquiétude "finkielkrienne", peut-être est-ce un phénomène générationnel… Un ouvrage à lire pour comprendre les combats d'arrière-garde ou d'avant-garde de ce philosophe nostalgique… 

mardi 22 octobre 2019

"A la première personne", 1

Alain Finkielkraut a pris la plume dans son nouvel opus autobiographique, "A la première personne" pour désamorcer les attaques qu'il subit depuis de nombreuses années. Il sait par la presse et par ses désagréments propres qu'il est souvent rejeté, critiqué, détesté. Je me souviens de l'incident des Gilets jaunes où il a été insulté et traité de sioniste. Il ne peut plus entrer à Sciences Po pour donner une conférence. Dès les premières lignes de l'ouvrage, le philosophe avoue sa fatigue et son découragement face à cet état de faits mais il ne souhaite pas renoncer à chercher "le vrai du réel, l'élucidation de l'être, des événements". Il revendique sa posture d'intellectuel pour justifier son parcours depuis les années 80. Il évoque son engagement militant en Mai 68 en qualifiant ce moment révolutionnaire de conformisme social, un dogmatisme de jeunesse, une comédie festive. Sa rencontre avec Pascal Bruckner l'a "décoincé" et il raconte ce temps là avec une ironie distancée. Il revient sur ses ouvrages qu'il a composés avec sincérité et regrette aujourd'hui que "son passé ne le constitue pas, il me toise. Rien ne me remplit d'être, rien ne me protège, rien ne me rassure, rien ne vient combler le néant qu'aujourd'hui je suis". Cet aveu mélancolique mérite toute notre admiration pour cet homme si tourmenté par son "chagrin patriotique". Il rend hommage à Michel Foucault, un philosophe charismatique, à Philip Roth, un écrivain qu'il adule et influence sa réflexion sur sa judéité. Un des chapitres les plus émouvants concerne son héritage familial. Ses parents, rescapés d'Auschwitz, n'ont pas voulu léguer leur mémoire meurtrie et en lisant le chef d'œuvre de Daniel Mendelsohn, "Les Disparus", il a compris qu'il avait été plus qu'un fils négligeant avec eux car il n'a pas sondé leur passé douloureux pour témoigner, révéler, inscrire leur tragédie dans l'Histoire : "Je ne remplirai jamais les blancs de mon histoire familiale". Il aborde la question de l'antisémitisme avec une lucidité clairvoyante et remarque la détestation d'Israël par certains milieux alors qu'il avoue son admiration pour ce pays fragile. Il relate son amitié pour Milan Kundera, cet écrivain majeur qui l'a détourné de la théorie littéraire pour le plonger dans l'univers de la vérité romanesque, dans la force intemporelle de la littérature. Il cite ses écrivains de prédilection : Henry James, Dostoïevski, Grossman, Camus, Conrad, Roth, Blixen. "Les grands livres nous lisent", nous révèle Alain Finkielkraut. Cet hommage à la littérature, une passion "sacrée", semble un peu paradoxale pour un philosophe, mais quelques essais d'Alain Finkielkraut confirment cette dimension de critique littéraire . Il veut "payer" ses dettes à ceux qui l'ont formé à commencer par Charles Péguy, Emmanuel Levinas, Hannah Arendt, Heidegger. Sa gratitude envers ses "maîtres" à penser rappelle son obsession pour l'héritage culturel… Un défaut impardonnable pour les ennemis de ce philosophe et une qualité essentielle pour ses amis…