jeudi 24 août 2023

"Les yeux ouverts", Marguerite Yourcenar, 2

Dans cet entretien essentiel pour connaître Marguerite Yourcenar, il est aussi question d'elle, de son rapport à l'argent en particulier et elle déclare qu'elle a "horreur de la possession, l'horreur de l'acquisition, de l'avidité". Son rapport à l'amour aussi s'avère bien subtil : "Je crois d'ailleurs que l'amitié, comme l'amour dont elle participe, demande presqu'autant d'art qu'une figure de danse réussie. Il y faut beaucoup d'élan et beaucoup de retenue, beaucoup d'échanges et de paroles et beaucoup de silences". Avec l'aide du journaliste, elle présente en profondeur tous ses ouvrages comme "Feux", "Les songes et les sorts", "Les nouvelles orientales" tout en précisant les influences qu'elle a reçues des cultures diverses comme celles du Japon et de l'Orient. L'écrivaine raconte son itinéraire de Paris aux Etats-Unis en 1939 alors qu'elle souhaitait s'installer en Grèce. Elle a trouvé un poste de professeur de français mais cette expérience ne lui laissera pas de souvenirs impérissables. Comme elle l'a dit dans un de ses textes, sa véritable patrie, ce sont les livres. Et elle n'a pas ressenti de nostalgie pour la France et l'Europe. A partir de 1942, son petit coin de paradis dans le Maine l'a comblée tellement elle aimait la nature, les animaux, le silence et le calme. Mais cela ne l'empêchait pas de vivre au rythme du monde : "Il ne se passe pas un matin où, en me levant, je ne songe d'abord à l'état du monde, pour m'unir un instant avec toute cette souffrance et on réussit pourtant à être heureux parfois, malgré cela, mais d'une autre espèce de bonheur". Elle évoque sa vie quotidienne, entre lectures et écriture, visites des voisins, correspondance active, balades dans la nature proche, sorties chez des amis sans oublier de fabriquer son pain et de préparer de petits plats. Une vie sobre et modeste car elle ne voulait pas encombrer le monde avec des objets inutiles. En 1948, elle réceptionne une malle et elle retrouve les brouillons d'Hadrien qu'elle avait oubliés. En analysant la conception des "Mémoires d'Hadrien", elle se souvient de sa visite (à l'âge de 20 ans) à Tivoli, près de Rome et comme elle est pétrie de la même culture gréco-romaine qu'Hadrien, elle choisit la forme du monologue pour relater la vie de cet empereur philosophe, réformateur, en un sens, "un homme de la Renaissance". Paru en 1951, ce livre a rencontré l'enthousiasme des critiques et du public. Puis, la même profondeur d'analyse concerne "L'Œuvre au noir", un roman capital dans le panorama de la littérature française, paru en 1968. Entre Hadrien et Zénon, l'écrivaine déclare : "Il est certain, en tout cas, que l'empereur est naturellement solaire, et Zénon naturellement nocturne. Ce sont les deux pôles complémentaires de la sphère humaine telle que je l'ai contemplée". (La suite, demain)