mercredi 30 décembre 2015

"Lire, c'est vivre plus"

J'ai trouvé par hasard en librairie, un tout petit livre, édité chez L'Escampette en collaboration avec la Région Poitou-Charentes et qui s'intitule joliment : "Lire, c'est vivre plus". Parler de lecture, de livres, de littérature reste pour moi un objectif vital. Je ne peux pas passer une journée sans lire au minimum deux à trois heures, parfois moins, parfois plus... Quand je rencontre une personne qui n'ouvre jamais un livre dans sa journée ou qui n'a pas rencontré la chance d'aimer lire, je me demande comment il fait pour se passer de cet acte qui s'apparente, pour moi,  à de la respiration, à un "mise au monde" avec plus d'intensité et d'attention. L'ouvrage en question évoque cet amour de la lecture et tous les textes écrits par Christian Garcin, Alberto Manguel, François Gaudry, et bien d'autres auteurs, démontrent que l'acte de lire n'est pas anodin, banal, sans risques. Je citerai Mireille Macé : "La lecture n'est pas une activité séparée, qui serait en concurrence avec la vie ; c'est l'une de ces conduites par lesquelles, quotidiennement, nous donnons une forme, une saveur et même un style à notre existence". Les textes sont illustrés de dizaines de citations de Marcel Proust, de Pascal Quignard, de Paul Valéry, de Kafka... J'en connaissais certaines et j'en découvre d'autres avec plaisir. Ce petit bijou de papier, écrin d'un éloge de la lecture, devrait être diffusé gratuitement dans les librairies et les bibliothèques mais il ne toucherait que les lecteurs déjà  motivés. Il vaudrait mieux les trouver dans les supermarchés, les banques, les gares, etc., bref des lieux de passage... La phrase de Kafka, souvent citée : "Un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous", établit une passerelle essentielle entre un lecteur(trice) et un livre. En lisant, je me lis, je me découvre, je m'enrichis, je me remets en question, j'essaie de comprendre le monde, la société, l'autre. Ce billet sur la lecture est mon dernier de l'année 2015 et j'ai respecté le pacte que je m'étais fixée : 15 textes par mois et pas un de plus... J'aime me donner une limite, un cadre, une contrainte, comme un héritage de mon ancien métier et je possède une dédicace d'Alberto Manguel que j'avais rencontré dans une soirée littéraire. Il m'avait écrit sur son ouvrage, "Une histoire de la lecture" : "pour celle qui m'est de l'ordre dans le désordre du monde"... Pas mal pour une bibliothécaire !  

mardi 29 décembre 2015

Rubrique cinéma

J'ai vu récemment un film intéressant, "Back Home", de Joachim Trier à l'Astrée, ma salle de cinéma préférée à Chambéry. Isabelle Huppert joue le rôle d'une photographe-reporter, Isabelle Reed. Mais, elle a disparu trois ans avant, dans un accident de voiture. Lors d'une rétrospective concernant ses photos emblématiques, son mari et ses deux fils se retrouvent dans la maison familiale. Le film traite du deuil : comment survivre après la mort d'une épouse et d'une mère ? Le père se reconstruit grâce à la rencontre d'une collègue-professeur qui travaille dans le même lycée que lui. Ils cachent leur relation au fils cadet par délicatesse car ce fils traverse une crise d'adolescent, assez courante à cet âge. L'aîné se charge de collecter les photographies de l'exposition. Bien que jeune père, il se tourne vers un ancien flirt. Les retours sur la photographe montrent une femme fragile, inquiète, voire absente au monde. Ce paradoxe dévoile une vérité cachée pour une professionnelle de l'image qui doit montrer la réalité, même la plus violente des terrains de guerre. Sa double vie fragmente sa personnalité et ce décalage va l'entraîner vers l'irrémédiable. Car, un secret taraude le père. Il n'a pas dit la vérité sur la mort de sa femme. Elle s'est suicidée et ses fils l'apprennent trois ans après. Joachim Trier, cinéaste norvégien, a bien choisi ses acteurs : Isabelle Huppert, Gabriel Byrne, Jesse Eisenberg et Devin Druid forment un quatuor sensible dans leurs difficultés, émouvant dans leur maladresse pour se parler. La critique n'a pas toujours apprécié ce film mais, j'ai envie de le défendre. J'ai aimé ce portrait d'une famille en souffrance, la présence d'Isabelle Huppert, la mise en scène en flash back... Pour les amateurs d'optimisme béat, s'abstenir...

lundi 28 décembre 2015

"La Cache"

Le roman, "La Cache",  de Christophe Boltanski a obtenu le prix Femina en 2015. La critique s'est montrée dithyrambique et avant de lire cet ouvrage, je conseille d'aller se renseigner sur cette famille singulière, les Boltanski. L'écrivain est lui-même le fils de Luc Boltanski, sociologue connu et neveu de Christian Boltanski, un très grand artiste contemporain reconnu sur le plan international. Christophe Boltanski travaille pour le journal Libération comme reporter de guerre, spécialiste du Moyen Orient. La présentation familiale faite, le lecteur(trice) peut enfin pénétrer dans cette saga atypique en suivant l'itinéraire que l'écrivain nous dessine avec ses mots. Le personnage principal du livre est paradoxalement un lieu matériel qui unit et réunit tous les protagonistes : l'appartement parisien et cette cache mystérieuse, situés dans la rue de Grenelle. Chaque chapitre débute par un croquis de l'immeuble, de sa cour et des locaux appartenant à cet ensemble (influence de Perec...). Puis, le roman familial démarre avec des anecdotes précieuses et précises sur les membres de la tribu Boltanski. Les grands-parents du narrateur ont nidifié dans cet îlot parisien. La mère, atteinte de la polio, a perdu l'usage des jambes et couve ses trois fils jusqu'à l'étouffement. Son militantisme communiste n'empêche pas son mari de se convertir au catholicisme.  Ce père, médecin, a fui la Russie communiste, car ses origines juives l'obligent à disparaître dans cette cache miraculeuse pendant l'Occupation. Les fils et leurs progénitures (dont Christophe Boltanski) vivent une bohème anarchique et politique. Ce clan multiforme et coloré forme une sorte de mythologie française du XXe siècle. Je ne veux pas relater les faits et le anecdotes de cette famille car il vaut mieux les découvrir dans ce récit-fiction d'une densité rare où les notions d'identité, d'appartenance et de racines prennent une dimension toute contemporaine. Un texte parfois désordonné, mais inspiré, une fresque familiale originale et surprenante...

vendredi 25 décembre 2015

Présence des livres

Je n'ai pas écrit dans mon blog depuis une semaine pour des raisons simplement techniques, ma nouvelle fibre Orange ayant fonctionné deux jours et m'abandonnant ensuite à mon sort de non-connectée... J'ai retrouvé le chemin d'Internet sur ma tablette seulement la veille du 25 décembre. Je reprends donc avec soulagement l'écriture de ce blog. J'ai fait une petite pause hivernale et j'avoue que j'ai bien avancé mes lectures en délaissant mon ordinateur, grand dévoreur de temps. En ce jour de Noël, je veux rendre hommage aux livres. Ces compagnons silencieux m'accompagnent quotidiennement et à l'occasion des Fêtes, je n'ai pas manqué d'en offrir et d'en recevoir. J'ai ainsi envoyé trois livres de peinture à un de mes frères qui se lance dans la confection de tableaux. Il faut sans cesse venir et revenir aux fondamentaux de l'apprentissage par les mots même quand on commence à manipuler les pinceaux. Dans mon entourage, j'ai choisi le "2084" de Boualem Sansal pour une lectrice assidue, un roman d'un hollandais,  Stefan Hertmans, "Guerre et térébenthine" (d'après les conseils d'une libraire) pour une peintre amateur, des livres sur les chiens pour une orientation professionnelle d'une proche, des livres d'histoire pour mon fils étudiant. Ne jamais oublier le plaisir d'offrir ces objets de sens qui peuvent aider, soutenir, former voire transformer la vie... Pour ma part, j'ai reçu deux très beaux ouvrages : "L'alchimie du livre" d'Anselm Kieffer et "Zao Wou Ki et les poètes". Chaque année, je complète ma belle collection de livres d'art que je feuillette régulièrement et que je conserve précieusement dans ma bibliothèque. J'avais vu une sculpture géante de Kieffer à Berlin, et je voulais mieux le connaître. J'aime beaucoup les toiles de Zao Wou Ki, un peintre abstrait d'origine chinoise et j'avais visité une magnifique exposition de ce maître à Biarritz. Pas de Noël sans livres, des livres comme des chocolats (mais bons pour le régime !), demeure un adage gravé dans le marbre. Et cette année, j'ai maintenu la tradition : j'ai favorisé la présence des livres dans le quotidien de mes proches et dans le mien...

jeudi 17 décembre 2015

Atelier de lectures, 2

La deuxième partie de l'atelier était consacrée à Jens Christian Grondahl, un écrivain danois. J'avais choisi un seul roman, "Les Complémentaires", publié dans la collection Folio en 2015. Nous avons inauguré une nouvelle formule : les lectrices ont acquis ce poche pour confronter leurs critiques. Les échanges autour du roman ont bien eu lieu. Certaines l'ont apprécié, d'autres moins et il est évident qu'aucun livre ne peut entraîner l'unanimité d'un groupe. Quelques mots sur Grondahl : il a écrit une quinzaine de livres et il est traduit dans une vingtaine de langues. Sa réputation littéraire a largement dépassé les frontières symboliques danoises... Je connaissais ces romans depuis une quinzaine d'années et cette prose introspective me semblait intéressante à découvrir. Le roman "Les Complémentaires" explore le "moi" de deux personnages formant un couple solide et heureux, à priori. David, le mari, est un avocat brillant et sa femme, Emma, d'origine anglaise, dédie sa vie à la peinture. Mais elle ne tient pas à montrer ses toiles. Elle se réfugie dans son studio, au fond du jardin. Leur fille, Zoë, a suivi les traces de sa mère car elle expose dans une vidéo une performance artistique, où elle a intégré son ami Nabeel, d'origine pakistanaise. Un incident fissure les identités de chaque protagoniste. David trouve une croix gammée peinte sur sa boîte à lettres. Il ne s'attendait pas à cet acte antisémite alors que lui-même ne se sent pas particulièrement enraciné dans cet héritage. Sa fille Zoë, provoquante dans son art, choque ses parents. L'écrivain décrit avec une intensité psychologique le malaise existentiel de ses personnages en proie au doute et aux regrets. Chacun revoit leur ancien amour sans éprouver de nostalgie. Et Zoë s'émancipe de ses parents sans aucun état d'âme. Les dialogues feutrés, les portraits en demi-teinte, les sentiments enfouis, les émotions diffuses forment un canevas à points serrés... L'écrivain danois fouille le passé des personnages, creuse leur psychisme avec une plume acérée. Et la question des origines taraude les uns et les autres. Ce roman évoque le subtil mélange des identités contraires qui se mélangent dans une tolérance, vécue avec plus de sérénité dans les pays du Nord de l'Europe. Les lectrices ont bien souligné cet aspect du roman. L'avis mitigé de quelques unes portait davantage sur la relation du couple qui semblait d'un ennui profond. Peut-être que la fin du roman sans être explicite montrait aussi la mort de leur amour ?  Chaque lecture est au fond une ré-écriture, et le lecteur peut interpréter la conclusion à sa guise...

mardi 15 décembre 2015

Atelier de lectures, 1

Cet après-midi, le dernier atelier de l'année 2015 s'est déroulé dans une bonne ambiance entre lectrices motivées et disponibles. Malgré l'approche des Fêtes, le groupe était au complet à part une absente. Nous avons démarré par les coups de cœur. Janelou a parlé de Lionel Duroy, un écrivain qui est obsédé par sa propre vie, sa famille, ses amours et ce déballage intime provoque le malaise ou au contraire, l'admiration. Cette littérature du dévoilement, autobiographique, autothérapeutique est une prise de risque et il faut un certain courage de la part de l'auteur de révéler des secrets de famille. Dans "Le chagrin", publié en livre de poche, Lionel Duroy raconte son enfance dans les années 60 et décrit les relations familiales orageuses. Un texte fort, vivant et un règlement de compte très salutaire. Nicole a lu "2084" de Boualem Sansal, un roman d'anticipation dont j'ai déjà parlé dans ce blog. Il n'est pas facile à lire mais ce livre possède une force sans contexte et s'il est prémonitoire, il rappelle le "1984" d'Orwell et "Soumission" de Houellebecq. Evelyne a aimé "Palmyre" de Paul Veyne, un livre d'histoire très abordable qui rappelle l'extraordinaire perle du désert que constitue cette cité antique, broyée par la folie djihadiste. Mylène a voulu parler de cinéma en évoquant le film "Mia Madre" de Moretti qu'elle a beaucoup aimé. Elle a proposé une relecture d'Andrée Chedid, "Le Message", un beau roman d'amour en pleine guerre du Liban. Danièle a choisi "L'Homme de ma vie" de Yann Queffelec, un récit d'amour filial sur son père qui le détestait. Elle a découvert après cet ouvrage, "Les Noces barbares", qui n'a pas du tout vieilli. Son dernier coup de cœur concerne "Petit piment" d'Alain Mabanckou, un roman sur un enfant orphelin au Congo dans les années 60. Cet ouvrage a été remarqué à la rentrée sans pourtant obtenir de prix. Dany a évoqué "La Cinquième femme" de Mankell, récemment disparu. Un super roman policier dans la série du Commissaire Wallender. Régine a présenté un plaquette de Daniel Pennac sur les réfugiés, "Eux, c'est nous". Cet ouvrage pédagogique très bien écrit, explique le drame actuel des migrants. Nous avons terminé la première partie de l'atelier avec un second coup de cœur de Régine qui participe activement au Festival du Premier Roman de Chambéry. Elle nous conseille "Ciel d'acier" de Michel Moutot, un récit remarquable sur la déconstruction des Twins Towers après le 11 septembre 2001 par une tribu indienne, les Mohawks qui n'ont pas le vertige. Un ouvrage documentaire facile à lire et qui, selon Régine, semble passionnant à découvrir. Demain, j'évoquerai l'écrivain danois, Jens Christian Grondahl.

lundi 14 décembre 2015

"La carte des Mendelssohn"

Ce roman labyrinthique n'a pas reçu un prix littéraire mais il aurait largement mérité le Médicis. Entrer dans ce livre peut effrayer les lecteurs(trices) pour plusieurs raisons : un sujet ambitieux, une plongée vertigineuse dans un arbre généalogique en Allemagne, un projet en forme de spirale. Diane Meur a choisi la famille des Mendelssohn, une lignée impressionnante et fascinante. La famille comporte des grandes figures de la philosophie, de la musique, du commerce et de l'industrie et de bien d'autres domaines. L'ouvrage s'ouvre sur l'évocation du premier des Mendelssohn, Moses, un oublié de l'histoire, un Voltaire allemand d'origine juive, tolérant et chantre d'une laïcité qui ne se nommait pas ainsi à l'époque. Ce grand sage, devenu allemand au XVIIIe siècle, a eu six enfants, et les enfants aussi ont enfanté, et en 2010, Diane Meur compte plus de 500 individus... Heureusement un arbre avec de nombreuses ramifications, nous aide à suivre les ascendants et les descendants de cette famille illustre. Car, un des petits-fils de Moses s'appelait Félix Mendelssohn, le compositeur célèbre, doté d'une sœur moins connue, Fanny, elle aussi compositrice. Le lecteur ébahi par tant d'informations croise des vies de banquiers, d'industriels, des officiers de la Wehrmacht, et même un planteur de thé à Bali. Diane Meur croise ces vies en les situant dans leur contexte historique et social. Elle s'implique elle-même en relatant ses propres recherches, sa vie personnelle et familiale, ses amitiés à Berlin. Ce livre-kaléidoscope mélange plusieurs genres littéraires : un journal intime, des biographies, des enquêtes historiques, des notions de philosophie, de généalogie, un portrait de la culture européenne. La lecture alimente notre culture personnelle et "La carte des Mendelssohn" apporte une richesse d'informations que l'on trouve rarement dans un roman contemporain. J'ai aussi beaucoup aimé les pérégrinations de la narratrice dans le Berlin d'hier et d'aujourd'hui et comme j'étais dans cette ville en novembre dernier, j'ai revécu mon escapade avec un grand plaisir... Cette fresque familiale montre les parcours hasardeux des uns et des autres, la filiation bousculée dans ses racines et l'héritage éparpillé à travers les pays. Au fond, elle nous renvoie à notre liberté...

vendredi 11 décembre 2015

"Devenir grec"

Le cours sur Homère m'a donc redonné l'envie de relire des extraits de l'Iliade et de l'Odyssée. Mais, pour mieux comprendre cette épopée, j'ai aussi emprunté des documents à la médiathèque de Chambéry. Je n'ai pas encore perdu mes manies de bibliothécaire car je ne cesse de compléter mes informations par d'autres informations jusqu'à m'en fatiguer moi-même... J'ai surtout feuilleté un beau catalogue d'exposition sur Ulysse, édité par la Bibliothèque Nationale de France en 2007. Des images défilent : monnaies d'or, vases grecs, amphores, bustes en marbre, fac-similés des éditions anciennes et dans cette mise en scène iconographique, des articles  éclairent le destin d'Homère et de ses œuvres. Un long entretien avec la grande spécialiste, la lumineuse Jacqueline de Romilly, apporte un témoignage admiratif  sur les scènes pleines de tendresse malgré la guerre et la mort dans l'Iliade. Heureusement, les catalogues d'exposition conservent une trace et cela permet aux provinciaux dont je fais partie de voir à posteriori  la richesse d'une exposition organisée par notre belle et grande institution nationale. J'ai aussi bien apprécié un article de Marcel Conche que j'ai trouvé dans un essai sur Homère publié au PUF en 1999. Le titre m'a attirée : "Devenir grec". Pourquoi est-il devenu grec, ce grand philosophe ? Je cite cet extrait : "Devenir normal, c'est devenir philosophe, et devenir philosophe, c'est devenir grec." Plus loin, il ajoute : "La raison attend, en chacun de nous, qu'on la choisisse ; elle est la puissance de rejet, de questionnement, de liberté, inhérente à chacun de nous. Car tout individu humain a vocation à devenir philosophe. (...) Et, en tout cas, cela n'est jamais arrivé avant l'invention de la philosophie par les Grecs." Lire Homère, c'est retrouver à tous moments cette lumière de la Grèce antique que j'aime tant, et comme le dit Marcel Conche, j'ai une double nationalité : française et grecque... 
            

jeudi 10 décembre 2015

Homère, 2

On ne peut pas séparer l'Iliade de l'Odyssée car un personnage de légende, Ulysse, les relie et il s'avère que l'Odyssée a marqué, marque et marquera des générations de lecteurs(trices). Ulysse représente l'aventure humaine, le voyage, la curiosité, le courage, l'intelligence (la métis chez les Grecs). Je connaissais maintes aventures de ce héros fabuleux mais j'ai bien apprécié le rappel de mémoire donné par notre professeur. Il avait préparé la carte géographique des péripéties d'Ulysse, de la Grèce à la Sicile, de la Sardaigne à Gibraltar, de Naples à la Tunisie, le bassin méditerranéen est le berceau de la civilisation occidentale du monde grec. Ulysse a tué le géant cyclope Polyphème en lui crevant l'œil avec un pieu d'olivier. Or, le cyclope est le fils de Poséidon, lui-même frère de Zeus et la vengeance du dieu de l'océan va poursuivre Ulysse tout au long de son périple. Cette saga antique ressemble à une "série" d'aujourd'hui : des Sirènes enjôleuses aux Lestrygons guerriers, de Circé à Eole, de Charybde en Scylla, Homère nous raconte les exploits d'Ulysse avec une ironie philosophique. Le poète formule un message d'espoir : malgré les malheurs, les difficultés, les accidents de la vie, il faut suivre l'exemple d'Ulysse. Car, l'homme n'échappe pas à son destin même s'il est prévenu. Sa bravoure indestructible et son intelligence rusée lui permettent d'assumer les épreuves qu'il traverse. Il revient à Ithaque, seul car tous ses compagnons ont péri et quand il retrouve Pénélope, sa femme quittée devant vingt ans, Ulysse a accompli son destin. Cette histoire tient du mythe où les hommes et les dieux cohabitent dans "la fureur et le bruit". Ce livre d'images épiques est notre premier roman des origines, notre premier roman d'aventures, notre premier roman d'amour, notre premier roman historique... On a tous du Ulysse en nous, même si on est une femme. Car les épreuves de la vie sont unanimement partagées par les deux sexes...

mardi 8 décembre 2015

Homère, 1

Pendant six semaines, j'ai assisté à un cours de mon professeur de littérature (et de philosophie, aussi) sur Homère, proposé par l'USTL (Université savoisienne du temps libre) à  Chambéry. Evidemment, douze heures pour aborder le premier écrivain de la planète, c'est quand même trop peu... Il aurait fallu que l'on analyse Homère tout un semestre au minimum. Mais, ce format de cours nous a tout de même plongés dans l'Iliade et l'Odyssée,  deux œuvres écrites 2800 ans avant J.C. ! J'ai même été étonnée de me retrouver avec une cinquantaine "d'élèves sexagénaires et plus" pour écouter les explications de notre professeur, grand amateur éclairé du grec ancien et de sa littérature. Tout le monde connaît l'épopée de l'Iliade avec le valeureux Achille, sommé de récupérer la belle Hélène, enlevée de son plein gré par le beau Paris de Troie. Cette saga antique sur la guerre entre les Achéens et les Troyens n'a pas pris une ride et ce texte d'une portée universelle garde toute sa dimension historique quand on sait que des archéologues recherchent toujours des traces de Troie dans la Turquie d'aujourd'hui. Ulysse, le héros aux "mille tours" trouvera une astuce pour vaincre la cité aux remparts imprenables : le cheval de Troie. Cette tricherie audacieuse et astucieuse a permis la fin de la guerre et le retour à la paix. Mais que de batailles, de dialogues, d'interventions divines, de duels dont celui mythique d'Achille et d'Hector ! Une épopée sublime et magnifique que l'on a oubliée de lire sauf si on se donne l'opportunité de suivre un cours pédagogique sur Homère. L'Iliade nous renseigne sur la vie quotidienne des héros et des dieux, sur la forme littéraire en chants scandés par des aèdes. Lire Homère, c'est retrouver le soleil de ce pays magique, de goûter le sel de la mer, la cuisine à  l'huile d'olive, de rêver sous un ciel d'un bleu antique... Ces exploits ont été recueillis par ce mystérieux et insaisissable Homère.  Comme j'apprends le grec ancien depuis deux ans, je suis d'autant plus motivée pour relire Homère, le savourer voire essayer de traduire quelques passages avec mon professeur de grec ancien que je ne remercierai jamais assez de m'offrir deux heures par semaine, les fondamentaux de la langue grecque, une invention d'inspiration divine, j'en suis persuadée... Merci à Zeus !  

lundi 7 décembre 2015

"Si c'est un homme"

Depuis la rentrée de septembre, je suis inscrite à un cours de littérature animé par Daniel que je suivais déjà, dès janvier 2015. Notre professeur a analysé "Les Fleurs du Mal" de Baudelaire, le surréalisme, la littérature au féminin. Il nous a proposé cette fois-ci le thème de la condition humaine avec trois écrivains : André Malraux, Primo Levi et Robert Musil. Je n'ai pas assisté aux cours donnés sur Malraux et "La Condition humaine" pour des raisons fort agréables de voyages divers. Mais, je ne voulais surtout pas manquer le cycle consacré à Primo Levi. J'ai relu "Si c'est un homme" avec une attention encore plus profonde que dans ma première lecture datant d'une vingtaine d'années. Ce témoignage sur les camps de concentration est unique, irremplaçable, essentiel pour appréhender l'horreur du nazisme et de l'Holocauste. J'ai lu l'ouvrage avec un crayon et j'ai souligné un très grand nombre de phrases sur l'expérience concentrationnaire. Les bourreaux perdent leur humanité alors que les victimes pourtant déshumanisées à l'extrême, luttent pour conserver la leur. Primo Levi décrit avec une précision de scientifique (il était chimiste) la vie dans ce camp terrible avec la faim chronique, le froid glaçant, l'humiliation, l'anéantissement de toute personnalité. Il survit grâce à la solidarité de quelques compagnons. Il raconte sans émotion cet enfer dantesque, cette disparition programmée d'une partie de l'humanité. Il faut absolument lire et relire ce chef d'œuvre de la littérature italienne, car Primo Levi a décrit avec une lucidité froide et une sobriété philosophique, la folie nazie : "J'ai survécu, j'ai raconté, j'ai témoigné". La force de ce témoignage, dépourvu de haine et d'esprit de vengeance, montre que la littérature peut nous aider à comprendre et à combattre  l'insupportable, l'inimaginable, l'insoutenable de l'expérience concentrationnaire et totalitaire. Pourtant, Primo Levi a mis fin à ses jours à Turin en 1987. Sur sa tombe, on peut lire seulement son matricule : 174517... Dans le préambule de l'ouvrage, l'écrivain nous dit : "N'oubliez pas que cela fut. Non, ne l'oubliez pas : gravez ces mots dans votre cœur". Une lecture salutaire et essentielle en ces temps où un certain totalitarisme religieux menace l'humanité. Le cours de littérature m'apporte un nouvel éclairage sur des œuvres que j'avais lues un peu trop superficiellement. Et la relecture est un exercice intellectuel assez surprenant car les années que je cumule ne semblent pas se transformer en handicap... Bien au contraire.  

vendredi 4 décembre 2015

Rubrique cinéma

Je voulais absolument voir le dernier film de Nanni Moretti, "Mia madre" car j'aime beaucoup ce réalisateur. J'ai donc vu cet après-midi le long métrage du cinéaste italien et je ne n'ai pas été déçue, loin de là. J'ai retrouvé l'univers autofictionnel de Moretti, mais à un degré plus profond, plus subtil. Ce n'est pas le réalisateur qui raconte, dans un journal intime filmé,  la maladie de sa mère. Ninna Moretti interprète le frère de l'héroïne, nommée Margherita, (magnifique comédienne, Margherita Buy). Ce double féminin traverse une crise professionnelle et familiale. Elle termine un film social mais le choix d'un acteur américain ne se déroule pas comme prévu. Ils s'affrontent sans cesse car il ne connaît pas son texte et se conduit d'une façon trop capricieuse. Parallèlement, Margherita accompagne sa mère à l'hôpital et ne réalise pas la gravité de sa maladie. En fait, elle nie la proche disparition de sa mère et survit grâce au travail. L'angoisse la traverse fréquemment la nuit et ses cauchemars sont filmés avec des images surréalistes. Elle vit aussi une relation tendue avec sa fille qui lui préfère sa grand-mère, ancienne professeur de latin. Entre ses difficultés de communication avec ses proches et ses péripéties professionnelles, le parcours de Margherita est semé d'embuches. Elle finit aussi par rompre avec son compagnon. Seul, son frère la soutient et l'aide à surmonter les épreuves. Il se montre un très bon fils avec sa mère, se mettant même en disponibilité pour l'assister jusqu'à la mort finale. Le personnage du frère prend de l'importance au fil des images avec sa présence chaleureuse et sereine auprès de sa sœur en crise existentielle et de sa mère en fin de vie. Ce film émouvant et profondément humain comporte aussi quelques scènes humoristiques concernant l'acteur américain et ses gaffes permanentes.  La mère si belle, jouée par Guilia  Lazzarini, est un personnage emblématique pour la transmission familiale et culturelle (hommage au latin), la générosité maternelle universelle, le courage et l'abnégation jusqu'à la fin de sa vie. Un très beau film, sensible, touchant sans pathos comme on en voit peu dans l'année. Je n'ai pas pu m'empêcher de verser quelques larmes à la fin...

jeudi 3 décembre 2015

"Palmyre, l'irremplaçable trésor"

J'avais lu les mémoires passionnantes de Paul Veyne, un des plus grands historiens français, et je conseille encore son autobiographie : "Et dans l'éternité, je ne m'ennuierai jamais", parue en 2014. Il vient d'écrire un essai sur la cité de Palmyre, tristement célèbre par sa destruction perpétrée par la horde D. L'historien prend la parole pour raconter la fabuleuse histoire de cette cité antique. Il écrit : "Malgré mon âge avancé, c'était mon devoir d'ancien professeur et d'être humain de dire ma stupéfaction devant ce saccage incompréhensible et d'esquisser un portrait de ce que fut la splendeur de Palmyre qu'on ne peut plus désormais connaître qu'à travers les livres". Comme un beau conte oriental, Paul Veyne rend hommage à la cité pour son syncrétisme culturel. Au milieu du désert syrien, à côté de la Perse (Iran), ce lieu magique surgit comme une oasis et appartenait au vaste empire romain. On y parlait le grec, l'araméen et les habitants vivaient de commerce. L'historien décrit les monuments, les temples, les coutumes de cette cité à la croisée des deux mondes, l'occidental et l'oriental. Le désastre de sa démolition constitue un crime contre la culture "humaine". Les terroristes ont même assassiné l'archéologue Khaled al-Assaad, directeur des antiquités de Palmyre, auquel ce livre est dédié car il s'était intéressé aux "idoles". Imaginons l'anéantissement de Pompéi, de Syracuse, de Taormina et d'autres lieux magiques de l'Antiquité car Palmyre appartenait au patrimoine mondial  de l'Unesco. Comme l'archéologie raconte l'histoire de l'humanité, l'ouvrage de Paul Veyne apporte une lumière essentielle sur cette catastrophe historique. "Oublier le passé, c'est se condamner à le répéter" écrivait Primo Levi.  Palmyre restera toujours dans nos mémoires même si les traces ont disparu... 

mercredi 2 décembre 2015

Les 25 meilleurs livres de l'année

A la fin de l'année, j'aime bien découvrir la sélection de la revue Lire, concernant les 25 meilleurs livres de l'année. A ma grande satisfaction, le roman de Boualem Sansal, "2084 : la fin du monde" a été choisi comme le Livre de l'Année 2015. L'explication que nous donne la rédaction, confirme mon intuition : ce roman raconte la grande menace du XXIè siècle, le terrorisme islamiste. Je cite cette phrase : "Une année entamée dans les larmes le 7 janvier, avant que ne leur succèdent le sang et la colère, le 13 novembre" et plus loin, l'écrivain algérien nous annonce cette sentence prémonitoire : "La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité". Il faut saluer avec admiration cet écrivain d'un courage inouï. Il décrit dans son roman d'une audace politique indéniable, l'irruption d'un totalitarisme religieux dans un pays, l'Abistan, vivant sous le règne de la charia. Son œuvre résonne fort et juste dans cette dénonciation du radicalisme religieux et de l'intolérance, du triomphe de l'ignorance et de l'inculture généralisée. La revue Lire ne pouvait qu'honorer ce livre "rare, un livre puissant, au croisement de la fable et du pamphlet, de la satire et du roman d'anticipation".  Dans la catégorie "Roman français", on trouve Virginie Despentes, dans la catégorie "Roman étranger", l'écrivain islandais, Jon Kalman Stefansson et son "D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds". Puis, je citerai encore Victor Del Arbol dans la catégorie "Polar" et Philippe Forest pour son Aragon dans les biographies. La revue propose aussi un entretien avec Boualem Sansal, au centre de la revue et une sélection de beaux livres pour les Fêtes de Noël. Pour conclure, ce numéro de décembre et de janvier offre de bonnes idées de lecture pour cette fin d'année. Il paraît que le livre est le cadeau préféré des Français et cette constatation ne peut que me satisfaire.

mardi 1 décembre 2015

"A ce stade de la nuit"

Quand j'ai appris la sortie du nouveau texte de Maylis de Kerangal, "A ce stade de la nuit", paru aux éditions Verticales, je me suis précipitée chez Garin pour l'acquérir. Cet opus de 73 pages, dans un format poche, se lit vite mais mériterait une deuxième lecture plus approfondie. Ce récit littéraire ressemble à une longue réflexion poétique et politique sur le problème majeur des migrants fuyant leurs pays dévastés par la guerre. Ils franchissent les frontières pour trouver un havre de paix en Europe. La narratrice entend à la radio le mot "Lampedusa" et ce mot géographique l'entraine dans une rêverie sur Burt Lancaster, l'acteur américain interprétant le comte Don Fabrizio dans "Le Guépard" de Visconti. L'écrivain italien se nommait lui-même Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Dans le roman, le comte vieillissant observe la fin de son monde patriarcal et monarchique dans la grande scène du bal dont les images éblouissantes de Visconti restent gravées dans nos mémoires de cinéphile. Pourquoi Maylis de Kerangal utilise-t-elle le cinéma pour illustrer le drame terrible d'un naufrage de migrants en Méditerranée ? Comment un décor aussi magique, la mer, peut-elle se transformer en tombeau ? L'écrivain ne donne pas de réponse mais invite le lecteur à s'interroger sur les mots que nous écoutons parfois dans une indifférence coupable. Le terme Lampedusa n'est pas qu'une île paradisiaque ou un écrivain extraordinaire ayant écrit un chef d'œuvre de la littérature italienne. Cette île porte le malheur du monde où des hommes, des femmes et des enfants veulent l'atteindre pour survivre. Cet ouvrage propose une réflexion politique sur la complexité du monde contemporain. La littérature sert à comprendre la vie et la société dans laquelle nous vivons...