vendredi 26 février 2021

"Le parfum des fleurs la nuit"

 Les Editions Stock proposent une très bonne collection : "Ma nuit au musée". Leonor de Recondo visitait le musée de Tolède à la rencontre du peintre El Greco et Lydie Salvayre racontait son expérience dans le musée Picasso à Paris. J'ai découvert celui de Leila Slimani, "Le parfum des fleurs la nuit", paru en janvier. Cette écrivaine franco-marocaine rencontre un grand succès auprès d'un large public, surtout après l'obtention du prix Goncourt pour "La chanson douce" en 2016. Dès les premières pages, la narratrice revendique son retrait de la vie sociale pour s'adonner à sa passion première : écrire. Elle décrit son quotidien, son petit bureau sous les toits : "Je vis en aparté. La réclusion m'apparaît comme la condition nécessaire pour que la Vie advienne. (...) Dans cet espace clos, je m'évade, je fuis la comédie humaine, je plonge sous l'écume épaisse des choses". L'écriture exige un certain "renoncement au bonheur, aux joies du quotidien". La solitude volontaire devient ainsi une condition essentielle pour l'écriture. Mais, Leila Slimani rompt cette discipline de vie quand la directrice de la collection lui propose une nuit au musée. Ce n'est pas n'importe quelle institution : elle se situe à Venise et prend la forme d'un palais, le Palazzo Grassi à la Punta de la Dogana (Pointe de la Douane) qui abrite des collections d'art contemporain de la Fondation Pinault. Comment résister à cette merveilleuse tentation ? L'écrivaine accepte donc le contrat et rejoint la sublime cité des Doges. L'enfermement dans ce musée l'attire et la voilà installée pour une nuit dans une des salles. Ces heures nocturnes lui permettent de vagabonder dans l'espace en commentant quelques œuvres exposées d'artistes contemporains. La narratrice raconte son rapport timide à l'art en général et elle se sent "pataude", écrasée par ces lieux de culture, même élitistes à ses yeux. Cette nuit au musée ne constitue pas un album d'art mais ressemble davantage à une autobiographie intimiste. L'écrivaine parle d'elle, de sa vie d'écrivain, des voyages, de son identité entre deux rives, l'Orient et l'Occident, de son père, injustement accusé de malversations dans sa banque et de sa mort prématurée. Elle n'oublie pas Venise aussi : "Venise porte en elle les germes de sa destruction et c'est peut-être cette fragilité qui en fait sa splendeur". La littérature aussi est à l'honneur dans ce récit élégant, discret et curieux : "La littérature chérit les cicatrices, les traces de l'accident, les malheurs incompréhensibles, les douleurs injustes". Le texte se termine sur un "parfum des fleurs" et surtout sur le sortilège de Venise, sur la présence consolante de l'art. Leila Slimani ne nous donne pas une leçon sur l'art contemporain, même si certains artistes lui ouvrent des horizons nouveaux mais elle parle de sa passion obsessionnelle : "Ecrire, c'est jouer avec le silence, c'est dire, de manière détournée, des secrets indicibles dans la vie réelle".