lundi 30 août 2021

"Les Années"

 Comme tous les étés, je pars en vacances sur la planète baptisée "Virginia". Je lis et je relis Virginia Woolf et chaque fois, mon admiration pour cette écrivaine s'amplifie au fil des ans. Son univers singulier me touche toujours autant. Sa modernité littéraire reste intacte, j'entends par modernité, l'art de ses romans, son approche des personnages, leur psychisme complexe, leur monologue intérieur et bien entendu, leur destin souvent déchirant. J'ai donc repris ma Pléiade pour redécouvrir "Les Années", un des romans les moins connus de ma "Grande Anglaise". Publiée en 1937, cette fresque familiale se déroule des années 1880 à 1930. Les Pargiter sur trois générations constituent la trame du récit mais, comme dans toute l'œuvre woolfienne, il ne faut pas s'attendre à suivre une intrigue romanesque. Une multitude de personnages de la bourgeoisie londonienne traverse le roman mais les enfants du colonel Pargiter se détachent : Eleanor, Milly, Delia, Martin, Morris, Rose. Eleanor, l'ainée de la famille, va s'occuper de la fratrie car la mère, souffrante, va mourir. Son destin ressemble à un sacrifice car, au fil des années, elle restera célibataire et prendra soin de son père. Les frères et les sœurs d'Eleanor sont décrits à travers des scènes de la vie quotidienne, alternant des dialogues avec des monologues intérieurs nommés "flux de la conscience". Il suffit de lâcher prise pour se lover dans la prose impressionniste de Virginia Woolf. Tous les détails de l'existence dans sa banalité modèlent les personnages et le Temps, le principal sujet du roman, les change constamment. Les souvenirs surgissent pour montrer la durée, le déroulement des années dans sa fugacité, sa volatilité en façonnant sans cesse une métamorphose. En lisant avec une attention maintenue ce texte magique, Londres semble jouer un rôle important dans ses variations météorologiques, sa population en constante agitation, son évolution permanente folle. A chaque époque évoquée par tranches d'années, Virginia Woolf peint avec des mots une fresque humaine où chaque rencontre familiale, amicale et sociale révèle la vérité des personnages entre les regrets et les remords, entre la recherche du bonheur et de l'accomplissement.  Eleanor, la plus lucide, se demande : "Quand vivrons-nous aventureusement, totalement, non pas comme des infirmes dans une caverne ?". La dernière phrase du roman résume l'aspiration de l'écrivaine au bonheur, alors qu'elle lutte depuis des années contre ses démons dépressifs : 'Le soleil s'était levé et le ciel, au dessus des maisons, avait un air d'extraordinaire beauté, simplicité et paix". Mais, un matin, Virginia Woolf se lèvera, s'approchera de la rivière, remplira ses poches de cailloux et s'enfoncera dans l'eau. Elle écrit un dernier message à son mari en lui avouant qu'elle ne peut plus lutter contre sa "folie" et qu'elle a été heureuse avec lui. Elle n'avait que 59 ans...  Ce roman polyphonique, "Les Années", constitue une expérience de lecture d'une profondeur rare. Cette créatrice exceptionnelle symbolise à elle seule, une des plus belles aventures littéraires du XXe siècle comme notre Proust national.