lundi 26 février 2024

"Démolition", Ann Enquist

 Ann Enquist vient d'écrire "Démolition", paru chez Actes Sud en début d'année. Cette écrivaine néerlandaise, possède deux qualités excellentes que j'apprécie beaucoup : elle adore la musique classique (elle est pianiste aussi) et elle pratique le métier de psychanalyste. J'ai lu tous ses romans : de "Contrepoint" à "Quatuor", "Des porteurs de glace" au "Secret", etc. Son oeuvre profonde et subtile évoque les méandres tortueux de l'âme humaine dans ses petitesses comme dans ses grandeurs. Un thème les lie tous avec la célébration de la musique. Elle parle aussi du deuil, de la perte irréparable, de l'évolution de la société occidentale. Sa prose, même traduite en français, conserve une élégance stylistique. L'héroïne du roman s'appelle Alice Augustus, compositrice et fan absolu de Haydn. Elle nous raconte son enfance, sa passion pour la musique et pour les percussions, en particulier. Quand elle parle d'elle, elle adopte un ton ironique et distanciée et ce parti pris donne au texte une tonalité musicale. Dans sa quarantaine, elle désire un enfant mais, ce projet n'aboutit pas et malgré l'aide de la médecine, elle n'arrive pas à être enceinte. Son mari l'aide au mieux dans ses tentatives de maternité mais, il n'est pas aussi motivé qu'elle et lui suggère même d'abandonner son projet. La narratrice se pose des questions sur ce manque et en remontant dans son passé, elle se confie sur une relation amoureuse avec son professeur de musique beaucoup plus âgé qu'elle. Ils vont s'aimer dans la clandestinité et elle tombera enceinte sans le vouloir. Son amant comprend que la différence d'âge posera problème. Il quitte son ancienne étudiante et la jeune femme fera une fausse couche. Cette histoire traumatisante l'empêche de devenir mère. L'art romanesque d'Ann Enquist déroule un drame intime autour d'Alice. La mère "empêchée" se refugie dans la composition musicale, sa passion première.  A l'occasion du centenaire de son conservatoire, le directeur lui commande une oeuvre symphonique et elle lui donne ce titre, "Démolition", la démolition de son passé, un passé enfoui et douloureux ? Cette brillante compositrice a choisi les sons comme consolation... Il lui arrive pourtant une heureuse surprise et je n'en dis pas plus. La magie romanesque d'Ann Enquist opère dans ce dernier opus musical. Un régal de lecture.  

vendredi 23 février 2024

"Pêcheur de perles", Alain Finkielkraut

 Ce philosophe français, académicien, Alain Finkielkraut, attire souvent l'antipathie de tous ceux et celles qui ne l'ont jamais lu. Il s'est fâché avec une gauche radicale qui a trahi la laïcité et la classe ouvrière. Cet ancien gauchiste des années 70 comme tant d'autres de sa génération a aussi écouté les sirènes des dogmatismes marxiste, maoïste, stalinien. Aujourd'hui, il ne reste plus grand chose de ces temps hémiplégiques où il n'était pas question de critiquer Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Ce philosophe s'est tourné vers la littérature en mettant à l'honneur Charles Peguy, Albert Camus, Milan Kundera et Philip Roth, ses vigies essentielles. Et ses prestations audiovisuelles, parfois maladroites, ont peaufiné sa caricature de "ronchon philosophe". Il est qualifié injustement de pessimiste, de réactionnaire et d'élitiste, trois qualificatifs disqualifiants pour les médias institutionnels. En particulier, sur l'école et sur la culture, il a toujours refusé la non-hiérarchie des objets culturels. Tout ne se vaut pas. Malgré ses prises de position parfois urticantes pour certains,  il vaut mieux le lire pour s'en faire une idée juste. Il vient de publier "Pêcheur de perles", chez Gallimard, un ouvrage hybride, 'un herbier littéraire" qui lui permet d'aborder des questions fondamentales comme l'amour, la mort, la vie. Chaque chapitre est introduit par une citation : "Je me suis plongé dans les carnets de citations que j'accumule pieusement depuis plusieurs décennies. J'ai tiré de de ce vagabondage les phrases qui me font signe, qui m'ouvrent la voie, qui désentravent mon intelligence de la vie et du monde". Son côté "ruminant" se retrouve dans ces textes quasi testamentaires. Un aphorisme de Paul Valéry, "Le coeur consiste à dépendre", lui donne l'occasion d'offrir une confidence sur sa relation amoureuse avec sa compagne qui l'a quitté au début leur relation. Cet art de la citation ressemble à une "conversation avec les grands auteurs qui nous ont précédés". Il confesse aussi sa peur panique d'une maladie effrayante, la maladie d'Alzheimer et souhaite pour lui une "mort disponible". Ses aveux sincères et émouvants sur sa nostalgie du passé, sa tristesse de voir un monde enlaidi, le manque de civilité définissent bien sa personnalité intranquille. Son âge et sa fragilité physique l'influencent certainement dans une vision pessimiste de l'avenir. Mais, il conserve un certain humour, une lucidité clairvoyante sur le "désordre" mondial et un amour total de la vie.  Un essai lucide et nostalgique d'un homme des Lumières, d'un philosophe inquiet à juste titre. Il est toujours intéressant de se forger une opinion personnelle en lisant son livre sans céder aux critiques cruelles des médias intolérants sur un homme courageux et qui ne va pas à lui tout seul mettre en danger la "démocratie". 

jeudi 22 février 2024

Les cabanes à livres, la nostalgie littéraire

Quand je me balade vers le lac du Bourget, je me dirige vers les cabanes à livres et souvent, je pêche, comme les pêcheurs à la ligne de l'esplanade d'Aix-les-Bains, des poissons de papier. Il m'arrive de connaître d'agréables surprises. En janvier, je lisais un essai de Patrice Jean sur la littérature engagée et il citait un philosophe-écrivain oublié, Michel Henry. Dans la semaine, je farfouille dans la cabane du Jardin Vagabond d'Aix et je trouve un roman de cet auteur, "L'amour les yeux fermés". Une coïncidence heureuse. Je recherche souvent des textes du XXe siècle et j'ai parfois de la chance. Je suis tombée sur "Génétrix" de François Mauriac que je voulais relire. Ma nostalgie littéraire se manisfeste à l'évocation de certains titres abandonnés dans ces niches pour se donner l'espoir qu'un promeneur se saisisse de cet ouvrage. Au Bourget du Lac, j'ai déposé mardi dernier un Balzac, "Eugénie Grandet". Une heure plus tard, en revenant de Bourdeau, j'ai remarqué un homme qui tenait à la main mon livre de poche et il lisait le roman. J'étais heureuse de voir cette belle scène sur la lecture ! Balzac vit donc encore dans les mains de ce charmant lecteur ! Il ne faut pas désespérer de l'humanité... Cette nostalgie littéraire, je la ressens quand je note les noms des auteurs délaissés dans les cabanes : Jean Hougron, Henri Troyat, Philippe Hériat, Françoise Sagan, Christine Arnothy, André Maurois sans parler de Claude Michelet, et de tant d'autres complètement oubliés. A leur époque, ils avaient tous et toutes énormément de succès dit populaire. Qui n'a pas lu un Mazo de la Roche, un Troyat, un Duhamel ? Ils nous ont ouvert la porte magique de la littérature avant qu'ils ne sombrent dans l'oubli. Après cette étape de boulimie livresque tous azimuts dans ma jeunesse, j'ai eu la chance de rencontrer les grands écrivains de l'époque : de Colette à Giono, de Martin du Gard à Malraux, de Sartre à Yourcenar sans oublier Simone de Beauvoir. Les classiques du XXe me sont toujours aussi indispensables pour comprendre notre monde. Ma nostalgie littéraire se porte souvent sur des figures originales comme Marcel Aymé, Georges Perros, Paul Gadenne, Violette Leduc, et je pourrais en citer encore des dizaines. Fouiller les cabanes à livres, c'est dénicher des pépites littéraires et même si mes cueillettes s'avèrent infructueuses, j'aime bien sentir le parfum des romans, lus dans tous les foyers familiaux quand la présence des médias n'existaient pas autant ! Les cabanes à livres, des bibliothèques gratuites et sans complexe. Des sociologues devraient se pencher sur ce phénomène et dans mon quartier de Chantemerle à Chambéry,  la ville vient d'installer une jolie cabane près de la boîte à lettres ! Une bonne surprise que j'utilise souvent. 

mercredi 21 février 2024

Atelier Littérature, les coups de coeur, 4

 Janelou et Geneviève H. ont choisi le même coup de coeur : le dernier roman de Robert Seethaler, "Le café sans nom", publié chez Sabine Wiespeser. En 1966, Robert Simon, un trentenaire, décide de changer de vie. Il quitte son métier de journalier dans un marché de Vienne pour acquérir un café laissé à l'abandon. Son rêve vient de prendre forme avec ce vieux café, lieu de rencontres de toutes les destins modestes de la ville. Ce roman raconte une époque révolue mais ô combien attachante. A lire absolument. Annette a bien aimé le dernier roman de Bernard Werber, "La diagonale des reines", paru dans Le Livre de Poche. Deux femmes, deux destins, deux façons de voir le monde. L'une ne pense qu'au "collectif", l'autre préfère l'individualisme. Des années 1970 à 2050, Nicole et Monica vont s'affronter sans répit entre guerres, attaques terroristes et espionnage. Un thriller dystopique, haletant et surprenant. Un choix étonnant à découvrir. Régine a présenté deux coups de coeur : "Les ravissements" de Jan Carson, publié chez Sabine Wiespeser. L'histoire se déroule en Irlande du Nord en 1993. Dans sa classe de onze enfants, Hannah se sent exclue. Ses parents, fondamentalistes, lui refusent une vie d'enfant ordinaire : aucune sortie, aucun cinéma, aucune liberté. Ross, un condisciple d'Hannah, meurt d'un mal inconnu. Une autre élève meurt aussi peu après. Puis, les uns après les autres disparaissent aussi. La panique s'installe dans la communauté du village. Des scientifiques sont chargés de découvrir l'origine de l'épidémie. Hannah est la seule survivante de ce mal mystérieux. Un à un, les fantômes de ses amis viennent la hanter. Roman troublant, roman puissant, à découvrir sur les conseils avisés de Régine. Le deuxième coup de coeur concerne le roman de Dominique Barbéris, "Une façon d'aimer", prix de l'Académie française en 2023. Madeleine quitte sa Bretagne natale pour suivre son mari au Cameroun. Elle découvre une Afrique étrange et violente. Dans un bal à Douala, elle rencontre Yves Prigent, mi-administrateur, mi-aventurier. Discrète et belle, cette femme mélancolique s'éprend de cet homme dans un pays en voie de décolonisation. Ce roman élégant et délicat, très bien écrit, évoque "la force de nos désirs secrets et la grâce de certaines rencontres". Voilà pour les coups de coeur de ce jeudi 14 février, des idées de lecture, des très bonnes, évidemment ! 

mardi 20 février 2024

Atelier Littérature, les coups de coeur, 3

 En deuxième partie, nous avions le projet de débattre sur un seul livre, celui de Philip Roth, "Némésis". Comme Mylène était absente, j'ai préféré reporté notre discussion dans l'atelier du jeudi 14 mars. J'ai donc demandé aux amies lectrices leurs coups de coeur. Danièle a évoqué un livre d'une écrivaine qu'elle apprécie beaucoup, Laurine Roux. Dans ce roman, "Une immense sensation de calme", paru en Folio en 2020, une jeune fille rencontre Igor et elle est subjuguée par cet homme étrange : "Cela dure un instant ou de longues minutes, je ne saurais le dire. Le regard d'Igor abolit mon être. Partout dans mon corps, mille particules soulèvent mes membres, et c'est à la fois de la peur et de la glace, du miel et de la lavande". Dans ce Grand Nord qu'ils arpentent en chassant, ils entendent des voix de femmes qui leur murmurent des secrets enfouis. Une tempête les précipitera dans la tourmente, révèlant les légendes du lieu. Récit mythologique, conte merveilleux, roman initiatique, Danièle s'est laissée emporter par l'ambiance poétique de ce texte original. Odile a bien aimé le dernier ouvrage de Nina Bouraoui, "Grand seigneur". Ce récit autobiographique de l'écrivaine raconte la mort de son père, ce "grand seigneur". Elle remonte dans son passé et décrit son père de Paris à Alger, un père qui reste mystérieux à ses yeux d'enfant. Il effectuait des "missions", occupait un poste de haut-fonctionnaire en Algérie. Ce témoignage d'admiration pour un homme hautement romanesque évoque aussi le chagrin du deuil et de la perte. Nina Bouraoui, dans son écriture élégante, avoue sa détresse : "Je ne sais pas ce que déclenche la mort d'un père, je ne sais pas si je vais me briser, me tordre ou grandir, m'élever. Je sais que je vais devenir une autre personne".  Pascale a présenté une bande dessinée, "L'Arabe du futur" de Riad Sattouf. Cette série en 6 tomes vendue à plus de 3 millions d'exemplaires et traduite en 23 langues raconte l'enfance et l'adolescence de l'auteur, fils aîné d'une mère française et d'un père syrien. Pascale a mis à l'honneur une saga graphique pleine d'humour caustique et de vérité sociologique. Nous parlons très rarement des bandes dessinées dans l'Atelier. Une question d'âge ? Sans doute. (La suite, demain)

lundi 19 février 2024

Atelier Littérature, Stefan Zweig, 2

 Véronique a découvert dans sa bibliothèque, "Wondrak", un texte étrange et rare, un des moins connus de Stefan Zweig. A la fin du XIXe siècle, dans un village de Bohëme, la jeune Ruzena vient de donner naissance à un enfant. Cette femme, surnommée "Tête de mort", avait un défaut physique majeur car elle n'avait pas de nez. Les hommes la fuyaient et pourtant, ce fils existe et apporte à la jeune mère une joie qu'elle n'avait jamais connue. Vivant à l'écart, elle est tout de même obligée de le scolariser. En 1917, son fils doit partir à la guerre. Mais, elle organise un plan pour le soustraire aux gendarmes.  Cette nouvelle révèlait le caractère pacifiste de Stefan Zweig. A découvrir par curiosité. Geneviève H. et Odile ont beaucoup aimé l'autobiographie de Stefan Zweig, "Le monde d'hier. Souvenirs d'un Européen", écrit lors de son exil au Brésil avant son suicide en 1942. Ce livre essentiel de l'oeuvre globale se lit avec une admiration unanime. Il raconte sa vie familiale libérale d'origine juive à la fin du XIXe siècle, les changements sociaux et techniques, ses amis comme Freud, Verhaeren, Rilke. Cette époque surtout intellectuelle était faite de liberté et de sécurité qui s'éffondrera dans les années 30 avec l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Cet ouvrage testamentaire d'une richesse inouïe reste le chef d'oeuvre de l'écrivain et résonne toujours autant de nos jours. Il intègre dans ses mémoires beaucoup de thèmes comme l'éducation, les femmes, la fin des monarchies, Paris, Londres, l'art, les guerres mondiales, etc. A lire absolument cette autobiographie extraordinaire ! J'ai retenu cette belle maxime : "Et seul celui qui a appris de bonne heure à épanouir largement son âme est plus tard à même de saisir en lui le monde entier". Annette a lu la nouvelle, "Etait-ce lui ?", un récit "policier" où il est question de voisins avec leur jeune enfant et leur chien. Betsy, la narratrice, revient sur le drame de cette famille qui a perdu leur enfant assassiné. Qui est l'assassin ? Ponto, le chien ? Si vous voulez connaître la vérité, il faut lire cette nouvelle originale. Odile a bien apprécié "Amok", une nouvelle très célèbre, publiée en 1922. Un médecin se confie au narrateur lors d'une traversée à bord d'un bateau pour l'Europe. Il raconte qu'une Anglaise voulait se faire avorter discrètement et elle était prête à payer une somme considérable. Il refuse et veut discuter avec elle pour rejeter cette solution. Mais, comme elle maintient sa décision, le médecin rentre dans une transe furieuse (l'amok) et la poursuit jusque chez elle. Il faut découvrir cette étrange nouvelle d'une densité troublante.  Régine, qui considère Stefan Zweig comme son écrivain préféré, a relu "Brûlant secret" qu'elle a évidemment beaucoup apprécié. Je n'en reparlerai pas car j'ai déjà consacré un billet sur ce texte "brûlant" d'intensité. Danièle a terminé la séance en présentant la biographie de Stefan Zweig, écrite par Catherine Sauvat. Cet ouvrage bien écrit, apporte un éclairage précieux sur la vie de l'écrivain. Pour mieux comprendre l'oeuvre polymorphe de Zweig (nouvelles, biographies, essais, mémoires, théâtre et poésie), il est essentiel de connaître cet homme aux multiples facettes. Pour ma part, j'ai consacré un nombre important d'heures de lecture pour relire et lire ma Pléiade de Zweig et jamais, je ne me suis ennuyée, un gage de son génie romanesque ! 

vendredi 16 février 2024

Atelier Littérature, Stefan Zweig, 1

J'ai démarré l'atelier Littérature du jeudi 15 février avec Stefan Zweig, l'immense écrivain autrichien et cosmopolite par excellence. Geneviève M. a évoqué avec son talent de conteuse, "La pitié dangeureuse", publié en 1939. Anton Hofmiller, jeune officier de cavalerie, est invité dans un château et commet une erreur fatale en s'adressant à une jeune femme esseulée pour une danse. Or, Edith est paralytique et elle éclate en sanglots. Comme il veut réparer sa bévue, il envoie des fleurs à la jeune femme. S'ensuit un engrenage infernal : sa pitié d'origine se transforme en piège qui se referme sur lui. Le comte Kekesfalva le traite comme un fils. Il envisage un mariage car Edith est follement amoureuse du jeune officier. Mais, quand l'officier renonce à se marier, la jeune fille se suicidera. Cet unique roman de l'auteur évoque le sentiment de la pitié d'une façon magistrale. Odile a choisi la célèbrissime nouvelle, une des plus interprétées au cinéma, "La confusion des sentiments", publiée en 1927. Le narrateur, professeur à la soixantaine bien frappée se souvient d'une relation lointaine avec un universitaire dans une petite ville allemande. Celui-ci participe à son cours sur la littérature anglaise et devient son "scribe". Ce vieux professeur cache un secret intime. Il est marié à une femme plus jeune que lui mais, en fait, il tombe amoureux de son jeune étudiant. A cette époque, l'homosexualité était punie par la loi. Cette relation amoureuse interdite ne pouvait que finir mal... Ce texte audacieux et moderne explore en profondeur des sentiments universels : l'amour, l'amitié, la jalousie, la passion. Une nouvelle incontournable de son oeuvre. A lire absolument. Odile a qualifié sa lecture d'extraordinaire. Pascale n'a pas apprécié "La peur" (ou "Angoisses"), Elle n'est pas rentrée dans le texte. Dommage car c'est aussi une nouvelle palpitante, dense et moderne sur la culpabilité, le secret, la peur de tout perdre. Janelou a beaucoup apprécié "Brûlant secret", publié en 1911. Cette histoire d'un jeune garçon se passe dans un hôtel où un séducteur cynique tente d'approcher la mère du garçon pour en faire sa maîtresse. Sa stratégie consiste à s'occuper de l'enfant et il devient son ami. Mais, tout se gâte quand la mère cède plus ou moins aux avances du jeune homme cynique et empressé. Le jeune garçon se sent trahi, se rebelle et frappe le séducteur en pensant qu'il tente de tuer sa mère. Il s'enfuit chez sa grand-mère et tout finira bien. Encore une nouvelle très emblématique de Stefan Zweig sur l'innocence de l'enfance, les secrets des adultes et les relations parentales. Un régal de lecture. 

mercredi 14 février 2024

"Angoisses", Stefan Zweig

 "Angoises" de Stefan Zweig, cette courte nouvelle parue en 1920, est aussi connue avec le titre "La Peur". J'ai découvert ce texte avec un intérêt croissant tout au long des pages. Au début du siècle, à Vienne, Irène, une belle trentenaire mariée, s'ennuie dans la société bourgeoise de l'époque. Pour pimenter son quotidien, elle prend un amant, un jeune musicien à succès dont elle n'est pas particulièrement amoureuse. Elle agit par légéreté et par inconscience. Un jour, elle sort de l'immeuble de son amant et rencontre une femme qui l'accuse d'infidélité. Elle lui annonce qu'elle va le dénoncer à son mari. Cette étrange créature n'est qu'une vulgaire maitre-chanteuse. A partir de cet instant, Irène vit dans la peur permanente. Cette femme la poursuit même chez elle pour réclamer de l'argent. Son sentiment de culpabilité la taraude et la rend folle. Elle a peur de la réaction de son mari et elle pressent que la vérité sur son comportement va éclater sa famille et son monde. L'angoisse, ce sentiment si analysé par Stefan Zweig, s'empare de cette trentenaire qui était loin d'imaginer son enfer personnel en prenant un amant. Sa vision de sa vie familiale change car elle a maintenant peur de tout perdre. Elle met en vente un de ses bijoux pour calmer cette femme ennemie menaçante. Sa descente aux enfers la montre prise à son propre piège. Son mari soupçonne l'état angoissant de sa femme et ses enfants ne la reconnaissent plus. Le piège se referme sur elle et l'oblige à avouer son "crime" d'un adultère qui, à ses yeux, ne valait pas les moments d'angoisse vécus. Dans ce milieu bourgeois rigide, une femme ne se donne pas le droit de tromper son mari et cette conduite constitue un vrai scandale. La peur monte en elle comme une bestiole dévorante. Pour se sortir de cette impasse, elle décide de mourir, sa seule solution radicale. Avant de passer à l'acte, elle va revoir son amant et là, coup de théâtre, la maître-chanteuse vit avec ce musicien. Irène n'avait pas imaginé ce scénarion pitoyable. Mais une autre nouvelle va mettre fin à son angoisse. Un témoin silencieux assiste au naufrage d'Irène. Ce témoin n'est autre que son propre mari qui, pour punir l'infidilité de son épouse, a monté tout ce stratagème. Irène a tellement vécu un enfer que son mari lui offre le "pardon". Cette nouvelle dramatique possède une densité particulière, l'angoisse monte crescendo tout au long du récit. Un bijou de concision, de précision sur un sentiment universel : la peur de la perte.

mardi 13 février 2024

Escapade à Biarritz

Pendant une semaine, j'ai pris le large marin dans ma belle cité de Biarritz, un retour aux racines familiales. Devant mes yeux : la Grande Plage, les rochers, l'Hôtel mythique du Palais, le Rocher de la Vierge, le Port des Pêcheurs, l'église Sainte-Eugénie et tant d'autres sites que je repère toujours avec un grand plaisir dans mes déambulations quotidiennes. Ces balades matinales m'offrent des panoramas superbes ! Vagues géantes sur le pont du Rocher de la Vierge, plages en marée basse où affleurent les roches couvertes de lichens, bâteaux de pêche couchés sur le flanc dans le port. Les fameux "Ours blancs" se jettent dans l'eau glacée sans hésitation. J'admirais leur témérité et ces bains de mer quotidiens ont un bienfait salutaire pour la santé. Mais je manquais certainement d'entraînement ! J'aime flâner, déambuler dans cette ville balnéaire pendant l'hiver sans la masse touristique d'avril à novembre. Les Biarrots et Biarrotes vivent dans un petit paradis surtout l'hiver et ils le savent bien. Des policiers municipaux encadraient des classes scolaires et ils avaient le sourire aux lèvres. Je suis tombée sur une manifestation d'enfants en costumes basques fêtant Sainte Agathe dans les rues de la ville. La culture basque est toujours vigoureuse et vivante dans cette région française. J'avais l'impression de vivre dans un temps culturel long d'une tradition plus que millénaire. La langue basque restera toujours une énigme et il est très difficile de l'apprendre si on ne naît pas dans son bain linguistique dès sa naissance. J'ai profité aussi d'une de mes librairies préférées, le Bookstore, et en fouillant les rayonnages pour trouver une pepite littéraire, j'ai déniché deux Zweig : des lettres de l'écrivain et une conférence sur le mystère de la création artistique. Sur le balcon de mon studio, je vivais des moments de gardien de phare en observant les surfeurs en alerte "vagues" dès le matin. Les mouettes n'arrêtaient pas de passer devant mes yeux en planant de bonheur et j'ai même réussi à donner une mie de pain à l'une d'entre elles. Si la réincarnation s'avérait réelle apres notre disparition terrestre, je choisis sans hésiter le corps d'une mouette pour planer au-dessus de l'océan, des vagues et du sable. En plein hiver, j'ai ressenti la douceur du climat basque sans pluie mais en fin de semaine, la tempête Karlotta est arrivée et l'océan s'est déchâiné ! Les vagues, hautes de quatre mètres, lêchaient avec une énergie découplée les plages et les promenades. Des vents contraires empêchaient la marche tranquille. J'ai pris quelques photos pour immortaliser ces moments de furie météorologique. Alors, j'ai déviné que le dieu Neptune était de très mauvaise humeur pendant ces deux jours en Côte basque. Lundi, quand je me suis envolée vers Lyon, la colère de Neptune s'est évanouie et j'ai attéri à Lyon sans dommage ! Je ne veux pas me montrer "chauvine", mais quand même, il est beau, mon Pays basque ! 

lundi 12 février 2024

"La confusion des sentiments", Stefan Zweig

 Un des romans les plus énigmatiques de Stefan Zweig, "La confusion des sentiments", touche toujours le lectorat conquis par l'étrangeté des relations humaines. Cette longue nouvelle a été publiée en 1927 sous-titrée : "Notes intimes du professeur R. de D.". Parue en France deux ans plus tard, elle était intégrée dans le même recueil que le texte, "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme". Le narrateur, un universitaire sexagénaire, revient sur son passé et raconte sa rencontre avec un professeur charismatique qui l'a fortement influencé pour poursuivre ses études et se lancer dans les voies de la pensée. L'étudiant, Roland de D. s'ennuie à Berlin malgré une vie dissolue. Son père lui rend une visite et lui intime l'ordre de poursuivre ses études dans une autre ville allemande. Dans sa nouvelle vie, il tombe sur une conférence tenue par un professeur de lettres anglaises. Cet amour commun de l'étude les rapproche dans une relation amicale inter-générationnelle. Le professeur semble attiré par ce jeune homme et il lui propose un hébergement dans son immeuble. Cette proximité va favoriser un rapprochement affectif. Ils vont se voir tous les soirs chez le professeur en étant invité au repas du soir. Roland éprouve une admiration totale envers cet homme érudit qui lui dicte des commentaires sur Shakespeare. En entrant dans la vie intime du professeur, il fait la connaissance de son épouse, plus jeune que son mari. Leur mariage semble bien étrange et la jeune femme devient vite amie avec le jeune homme. La conduite du professeur s'avère paradoxale avec le jeune étudiant : parfois très proche, parfois très distant. Roland ne comprend pas ce comportement ambigu et constate aussi les absences subites du professeur. Il confie alors à la jeune femme ses tourments et sa confusion sentimentale. Ce trio amoureux finit par éclater quand le professeur avoue ses sentiments à Roland. Pour conserver le "suspens", je ne donnerai pas la clé du drame. Stefan Zweig a eu l'audace à l'époque d'évoquer l'homosexualité masculine, une question hautement sensible encore aujourd'hui dans le monde. L'écrivain autrichien met en lumière les luttes internes, les élans refoulés, l'interdiction d'aimer dans une société intolérante et normative. La passion amoureuse se niche au coeur des nouvelles de Stefan Zweig et cette "confusion des sentiments" montre bien l'impossiblité du bonheur dans un dilemme moral, vécu par les personnages. Encore une longue nouvelle fascinante à lire et à redécouvrir. 

lundi 5 février 2024

"Kafka au candy-shop", Patrice Jean

 L'essai de Patrice Jean, "Kafka au candy-shop", publié chez Léo Scherer, remet la littérature "au centre du village". Cet écrivain peu connu d'un large public a pourtant publié deux romans emblématiques, "L'homme surnuméraire" et "Le Pari d'Edgar Winger". J'ai lu avec plaisir cet ouvrage sur la littérature dite "engagée", imprégnée de militantisme politique, déformant la vision du monde et de l'humain avec des lunettes idéologiques. Le slogan, "Tout est politique" ne convient vraiment pas à l'essayiste. Loin des revendications progressistes ou conservatrices, l'écrivain se doit de cultiver une seule attitude : la subjectivité. Etre soi, être seul : "Vivre, c'est s'éprouver soi-même, dans son irréductible solitude". Comment appréhender "l'autre" et le monde alors dans cette posture subjective ? Par la littérature, affirme Patrice Jean : "La connaissance d'autrui serait impossible sans l'imagination et la faculté de rapporter à notre vie intérieure, les rires, les timidités, les joies et les douleurs des hommes rencontrés dans le présent, le passé, l'imaginaire". La définition du mot "littérature" se précise au fil des pages : "Mon propos est de définir l'objet de la littérature comme un objet autonome, indépendant de la politique et du collectif". Si on commence à décrypter les positions politiques des uns et des autres dans le champ littéraire, le sectarisme triomphe. Nos écrivains classiques, hors concours. Ne lisons plus Simone de Beauvoir et Sartre, trop à gauche. Celine et D'Ormesson, trop à droite. Et la liste sera longue si chacun tombe dans ce piège de l'idéologie. Le roman doit se détacher de ces visions dogmatiques : "Le roman est le point de rencontre entre le spectacle objectif des sociétés et la vie intérieure (subjective) de l'individu". Il mentionne de nombreux écrivains et philosophes : Schopenhauer, Bernanos, Clément Rosset, Michel Henry, Baudelaire, Cavafis, Cioran et tant d'autres. La littérature révèle la part sombre de chaque humain, la possibilté du Mal, la complexité, l'ambiguïté, l'ambivalence. Essai disruptif, essai transgressif, ce texte a le mérite de poser des questions importantes sur le statut de la littérature. Dans un article de "Marianne", Patrice Jean résume avec clarté la réponse à la question "A quoi sert donc la littérature ? " : "Elle permet de mieux comprendre le monde, elle aide à vivre, oui. Elle ne sauve pas le monde mais sauve des individus. (...) Elle s'est infusée dans l'esprit des individus. Elle ne parle pas au collectif, c'est au coeur de chacun qu'elle parle. Si je n'avais pas lu, je ne sais pas ce que je serais devenu". Cet essai revigorant et tonique n'exclut pas un certain pessimisme de la part de l'écrivain. La lecture littéraire reste encore une activité "spirituelle" ou "philosophique" au sens laïque du terme. Mais jusqu'à quand ? La littérature autonome, indépendante de l'idéologie, forme encore une île salvatrice où il fait bon vivre...

dimanche 4 février 2024

"Vingt quatre heures de la vie d'une femme", Stefan Zweig

 Le court roman de Stefan Zweig, "Vingt quatre heures de la vie d'une femme", publié en 1927, se lit d'une traite et n'a rien perdu de son actualité, presque cent ans après sa publication. Le narrateur raconte l'ambiance feutrée et familiale d'un hôtel bon chic bon genre sur la Riviera. Un jeune Français, élégant et courtois, va déclencher chez les vacanciers un scandale inqualifiable : Madame Henriette, épouse et mère, une trentenaire pourtant sage, va fuir avec lui au grand dam du mari trompé et de la petite communauté de l'hôtel. A l'époque, cet adultère bousculait la morale conformiste bourgeoise. Stefan Zweig écrit : "On comprendra aisèment qu'un tel événement, coup de tonnerre pour nos yeux et nos sens, était de nature à troubler violemment des êtres qui n'étaient accoutumés qu'à l'ennui et à des passe-temps insouciants". Cette romance à la Madame Bovary dérange ce petit monde bien pensant sauf un personnage féminin âgée, Mrs S., avec laquelle le narrateur compréhensif établit un dialogue. Elle lui confie qu'elle aussi a vécu une expérience amoureuse à 40 ans et une deuxième histoire s'emboîte sur la première anédocte. Dans son passé, la dame en question a voulu sauver un jeune homme, joueur addictif du casino, un jeune fils de famille de la noblesse polonaise. En 24 heures, elle l'accompagne dans sa détresse de joueur perdant, déboussolé, désemparé. Ils vont même s'aimer pendant la nuit et elle espère le sauver du suicide. Mais, elle ne peut lutter contre l'addiction mortifère du joueur. Il finira par se tuer avec une arme à feu. Stefan Zweig montre à travers ce texte emblématique de son oeuvre les bifurcations que toute vie humaine peut prendre. Les deux femmes ont choisi la passion amoureuse contre la morale collective. La superposition des deux histoires évoque les thèmes de la "faute" et de la "culpabilité". Le rapport à l'argent et au jeu est aussi un sujet "zweigien". La passion amoureuse s'empare des deux femmes qui ne résistent pas à ce bouleversement des sens. Eros est plus fort que Thanatos, nous dit l'ami de Freud. La critique littéraire relève la scène d'une densité dramatique, celle des mains du jeune homme en proie à la folie du casino. Le narrateur joue le rôle du psychanalyste en écoutant sans juger l'histoire de Mrs S.. Un roman indispensable et emblématique de la planète Zweig. 

samedi 3 février 2024

"Qui-vive", Valérie Zenatti

 Valérie Zenatti, traductrice du grand écrivain israélien, Aharon Appelfield, vient d'écrire, "Qui-vive", publié chez l'Olivier. Mathilde, professeur d'histoire et de géo, vit à Paris avec un mari idéal, Julien, et une fille adorable, Lola. Malgré ce bonheur familial éclatant, elle ressent une certaine inquiétude et devient insomniaque en perdant aussi le sens du toucher. Le monde devient fou avec la guerre en Ukraine et la pandémie. Son grand-père décède dans une maison de retraite et elle découvre dans sa chambre des feuillets énigmatiques, une sorte de conte. Qui a écrit ce texte ? Elle est persuadée que son aïeul ne l'a pas composé. Elle éprouve une passion musicale pour le chanteur Léonard Cohen qu'elle visionne dans une vidéo quand il se trouve en Israël dans les années 70. Sa décision est prise : elle veut marcher sur les traces de l'artiste dans ce pays si compliqué, sa terre familiale. Entre la France et Israël, le choc culturel s'avère rude. Son errance se déroule entre Tel Aviv, Capharnaüm et Jérusalem.  Les rencontres hasardeuses de son périple en solo augmentent son inquiétude devant un pays composé de multiples contradictions. La narratrice, qui parle l'hébreu, découvre une réalité tendue et fissurée par la violence. Elle retrouve un cousin qu'elle a connu dans son enfance et ne reconnaît que son regard tellement il a changé. Un jardinier, amoureux de ses arbres, lui raconte sa vie à l'écart du monde. Edna la percute avec sa bonté. Ces rencontres chaleureuses lui donnent la foi en l'humanité : "La joie de la rencontre, c'est la joie dans la confiance dans l'humanité". Dans un contexte aussi délicat, elle passe la nuit dans un char abandonné. La guerre est là, en permanence : "Comment on se remet en route après chaque choc, il y en a tant ici". L'écrivaine oppose au chaos, une voix  plus optimiste avec ce roman qui résonne après l'horrible attentat des barbares islamistes du 7 octobre. Je ne révèlerai pas la fin du roman où la narratrice va vivre le point d'orgue de la violence humaine. Ce texte d'une écriture vibrante se lit avec beaucoup d'intérêt et nous fait découvrir une réalité complexe, celle d'Israël,  si proche et si lointain à la fois. Face à des dangers imminents, la narratrice rappelle aussi le livre de l'historien Flavius Josèphe, 'La Guerre des Juifs" et elle établit un parallèle avec l'Histoire contemporaine. Comment préserver la vie en temps de guerre ? Valérie Zanetti donne une réponse consolante dans ce texte étonnant et profond. 

vendredi 2 février 2024

"Brûlant secret", Stefan Zweig

Après la biographie de Balzac, j'ai repris la Pléiade de Stefan Zweig qui comporte 36 textes, un recueil avec les meilleures traductions. Pour découvrir le génie de cet écrivain autrichien, il suffit d'ouvrir le livre et de picorer dans cette mine d'or. Publié en 1911, "Brûlant secret" est une de ses meilleures nouvelles. Un baron mondain, un séducteur cynique, se retrouve en villégiature dans une ville thermale de montagne. Il finit par choisir sa proie, une femme, Mathilde, assez ronde et bien bourgeoise, accompagnée de son fils. Comment attirer son attention ? Avec son esprit de manipulation, il remarque le jeune garçon, Edgar, avec lequel il va créer un climat de confiance. Se joue alors dans les lignes fébriles, fiévreuses de la nouvelle, les réactions, les sensations du jeune garçon. Celui-ci s'ennuie énormément dans cet hôtel huppé pour adultes. Quand il commence à fréquenter le baron, sa vie d'enfant devient plus passionnante. Il se met même à croire à l'amitié du baron à son égard. En même temps, cet homme dissimulateur avance ses pions avec la mère de l'enfant. Mathilde, déjà dans sa maturité, se sent très flattée d'attirer cet homme plus jeune qui la supplie d'avoir une liaison avec lui. Edgar se sent délaissé et comprend la trahison du baron. Ce "brûlant secret" entre adultes met le jeune garçon dans un état de colère et de révolte. Il observe sa mère qu'il ne reconnaît plus quand elle est en compagnie du baron. Se sentant abandonné, il enrage et veut contrarier les plans amoureux du baron. Comme il voit sa mère lui échapper, il fuit l'hôtel et malgré son jeune âge, il réussit à prendre un train pour se réfugier chez sa grand-mère. Sa mère va prendre conscience de son égarement passager et arrêter cette relation adultère ridicule avec le baron trompeur. Je ne relaterai pas les retrouvailles de la famille pour maintenir l'intérêt de cette nouvelle. Stefan Ewzig décrit la jalousie d'Edgar, sa passion subite pour le baron, les jeux du chat et de la souris entre les trois protagonistes avec une dramaturgie palpitante. Edgar devient le symbole du passage entre l'enfance et l'âge adulte. Lui, si innocent apprend la duplicité de sa mère et du baron. Une très bonne nouvelle à découvrir pour constater l'influence aussi de la psychanalyse dans l'oeuvre de Stefan Zweig. Un régal de lecture. 

jeudi 1 février 2024

Haro sur Sylvain Tesson

 Une polémique est née récemment concernant Sylvain Tesson. Cet écrivain voyageur aux tirages exceptionnels (500 000 exemplaires pour "La Panthère des neiges") a été choisi par la directrice du Printemps des Poètes, Sophie Nauleau, pour parrainer cette manifestation (elle a démisionné depuis). Un honneur pour lui et pour la poésie. Quelques jours plus tard, un quotidien français diffuse une tribune signée par mille deux cents poètes, écrivains, libraires, éditeurs s'opposant à cette nomination contestable à leurs yeux, car disent-ils, Sylvain Tesson représente une tendance politique honnie et insupportable, l'extrême droite. Il a soi disant écrit une préface à un roman de Jean Raspail, (ce qui est faux) et il fréquenterait des amis de la sphère "Bolloré", etc. Ce milieu littéraire, très soucieux d'une morale républicaine sans faille, ne supporte plus les écrivains libres, solitaires et indépendants de tous les dogmes. Sylvain Tesson ressent certainement une envie de fuite depuis des lustres devant tant d'embrouilles politiciennes. J'ai entendu récemment une émission sur France Culture, "Signes des temps" avec l'excellent Marc Weitzmann. Il avait invité des signataires de la tribune et des défenseurs de Sylvain Tesson. Une jeune poétesse et un écrivain inconnu dénonçaient l'emprise de l'extrême-droite dans les médias. Leur paranoia anti-fasciste les rendaient nerveux et agressifs et leur haine de cet écrivain baroudeur semblait outrancière et bien inquiétante. William Marx, un grand spécialiste inconstestable de la littérature, prônait la liberté des écrivains, une liberté indispensable, totale pour la création littéraire. Nul besoin de porter le drapeau de tel ou tel mouvement politique engagé. On a encore le droit en France de préferer la légéreté d'être à la Milan Kundera à la loudeur des sectaires à la Annie Ernaux (hélas) ! Les lecteurs et les lectrices peuvent encore choisir leurs lectures sans penser aux penchants politiques des écrivains et écrivaines. Donc, il faudrait mettre dans "l'enfer" des bibliothèques et des librairies ceux et celles qui osent penser par eux-mêmes sans tenir compte des engagements politiques. Plus de Baudelaire, le libertaire, de Céline l'antisémite, de Chateaubriand, le royaliste, de Flaubert, l'élitiste, de George Sand, l'anticommunarde, etc. Sylvain Tesson appartient à la catégorie des hommes qui ressentent une nostalgie du passé. Cette tribune insensée et injuste l'accuse d'être réactionnaire, passéiste, misanthrope. Et alors ? Ont-ils lu quelques lignes de ses ouvrages ? En aucun cas. Dans "La panthère des neiges", l'écrivain vagabond, préfère la géographie à l'histoire, la solitude à la multitude, la nature aux villes. Sa vision de la vie s'avère poétique et non politique. Point final. Si j'étais Sylvain Tesson, je tournerais le dos au Printemps des Poètes et je partirais en voyage, un long voyage loin de la France et loin des tribunaux médiatiques intolérants. S'attaquer à un écrivain quelque soit ses idées montre bien l'intolérance de ce petit milieu parisien nombriliste. Pour ma part, je ne censure pas Sylvain Tesson et je continuerai de le lire en toute liberté !