mardi 30 décembre 2014

"Heureux comme un libraire"

Je vais terminer l'année 2014 avec ce billet, mon quinzième du mois. Cette année, je me suis donnée un objectif mensuel de 15 articles par mois et j'ai respecté ce contrat même quand je m'absente de temps en temps pour quelques escapades. Pour ce dernier billet, je vais rendre un hommage aux libraires en m'appuyant sur le papier d'un journaliste du Monde, paru le vendredi 26 décembre. Michel Guerrin interroge quelques libraires "heureux" alors que les ventes de livres sont en baisse, que les jeunes délaissent la lecture, que de plus en plus d'achats passent par Internet. Certaines grandes librairies, situées dans des métropoles régionales comme "Ombres blanches" à Toulouse, "Mollat" à Bordeaux, "Millepages" à Vincennes et "Bookstore" à Biarritz résistent à la crise. Ces espaces sont renommés, très bien placés et offrent un large choix d'ouvrages. Les livres ont été plébiscités dans la liste des cadeaux, du plus modeste livre en format poche au livre d'art. Toutes les librairies, de la plus petite à la plus grande, ont un rôle à jouer dans la ville : elles deviennent des lieux de rencontre, des carrefours culturels, des espaces de partage. J'ai vécu une expérience de libraire à Bayonne de 1975 à 1981 et pour faire venir des clients-lecteurs, j'organisais des expositions, des soirées musicales, théâtrales. La clientèle fidèle n'a pourtant pas sauvé mon commerce car je vivais une concurrence déloyale avec les grandes surfaces. C'était l'époque du prix libre du livre. Si j'avais tenu un an de plus, je serais encore libraire... Mais, ma reconversion professionnelle m'a permis de devenir bibliothécaire et j'ai vécu aussi des rencontres formidables avec des lecteurs et surtout des lectrices  motivées dans des lieux bien aménagés, chaleureux et confortables (dont la médiathèque de Tarare) que j'avais équipés dans les années 90 et 2000 au temps de l'expansion de la lecture publique dans notre pays. Je me rends compte de la chance que j'ai eue de vivre cette "épopée" culturelle, une vie professionnelle au service des livres et du public, avec une passion qui ne m'a jamais quittée malgré les années cumulées... Voilà pourquoi, jusqu'à mon dernier souffle, je parlerai de littérature, des écrivains, des librairies, des bibliothèques, des maisons d'édition, des ateliers de lecture, de la place de la lecture dans ma vie, du monde fascinant des livres !

"Bad girl"

Nancy Huston fait partie de ma planète littéraire... J'ai lu pratiquement toute son œuvre romanesque et ses essais. J'ai toujours aimé son féminisme, sa passion de la littérature (en particulier de Romain Gary), son style inimitable, vivant, puissant et parfois, alambiqué. Elle ne laisse aucun(e) lecteur(trice) indifférent(e). On l'adore ou on la déteste. Je suis parfois déroutée par la construction de ses romans mais, il suffit de se cramponner et on se laisse porter par son souffle, son dynamisme et son charisme. Son dernier récit vient de sortir chez Actes Sud et je l'ai lu d'une traite... Nancy Huston mène une enquête sur sa vie intra-utérine, sa naissance, son enfance. Elle fouille, traque, vérifie comme une inspectrice, recherche les raisons pour lesquelles elle est devenue écrivaine et essayiste. Ses origines familiales ne sont pas favorables à ce destin de femme canadienne anglophone et parisienne d'adoption. Elle est née à Calgary, au Canada dans les années 50 dans un milieu de la classe moyenne. Elle évoque un arrière-grand-père fou à lier, une grand-mère féministe, une belle-mère allemande, un père dépressif, une mère intellectuelle, tout une galerie d'adultes complexes que l'écrivaine peint avec une empathie magnifique sans jugement et sans procès. Elle se donne le surnom de Dorrit en utilisant le tutoiement dès la première ligne du récit : "Toi, c'est toi, Dorrit. Celle qui écrit. Toi à tous les âges, et même avant d'avoir un âge, avant d'écrire, avant d'être un soi. Celle qui écrit et donc aussi, parfois, on espère, celui/celle qui lit. Un personnage." Nancy Huston est obsédée par la question de l'être : pourquoi suis-je née alors que ma mère voulait avorter ? Pourquoi me suis-je tant accrochée ? Quelles influences ai-je subies ? Elle écrit : "Notre corps grouille de cette descendance et de cette dépendance. Nous ne tombons pas du ciel, mais poussons sur un arbre généalogique". Cet ouvrage fourmille d'anecdotes sur ses ancêtres, ses parents, ses écrivains de prédilection (Virginia Woolf, Beckett, Barthes, Nin). Ce texte-puzzle, mélangeant les styles, la chronologie, les personnages comporte aussi des réflexions philosophiques, politiques et sociétales. Il faut lire Nancy Huston et "Bad girl", une littérature d'inspiration "volcanique", une lave de mots, d'images, de sensations, de réflexions, un bonheur de lecture...