mercredi 15 juin 2022

"Petit éloge de la fuite hors du monde"

 Remy Oudghiri propose dans son essai littéraire, "Petit éloge de la fuite hors du monde", publié chez Arléa en 2014, un panorama pertinent sur ce besoin humain de tout quitter, de fuir la société pour un choix de vie solitaire. Cette "Fugua mundi" semble appartenir à toutes les époques : "Qui n'a jamais ressenti au moins une fois dans sa vie l'envie pressante de fuir le monde ? Qui n'a dans un moment d'égarement ou de découragement, rêve de tout quitter, sortir du jeu ou disparaître ?". Il expose dans son texte le paradoxe de cette fuite du monde : "La fuite du monde n'est rien d'autre qu'une façon d'y entrer vraiment". Pétrarque, au XIVe siècle, a relaté dans son "Traité sur la vie solitaire", les fuites les plus mémorables de l'histoire occidentale. En choisissant la solitude, les ermites se rapprochaient de Dieu. Cette fascination d'échapper au fracas du monde traverse les siècles et a obsédé de nombreux artistes, écrivains et philosophes. Il s'appuie surtout sur la littérature qui demeure pour l'auteur le terrain le plus fécond sur la question : "Fuir, c'est être". Cette "permanence de la tentation" de fuir le monde se retrouve chez certains écrivains que Rémy Oudghiri présente dans son essai. Dans son chapitre consacré à Pétrarque, j'ai relevé un hommage vibrant aux livres : "Peut-être que le bienfait de la fuite hors du monde consiste précisément dans cette possibilité inouïe : sortir du temps présent et accéder à une forme de petite éternité, l'éternité des livres, l'éternité du savoir universel, l'éternité à laquelle on peut prétendre de son vivant". Il évoque Jean-Jacques Rousseau et sa ferveur de vivre dans ses "Rêveries du promeneur solitaire", Tolstoï dans sa fuite avant de mourir, Flaubert dans son ermitage en Normandie, Gauguin aux îles Marquises, Emmanuel Bove, Simenon, Le Clezio et Pascal Quignard. Evidemment, j'ai particulièrement apprécié le chapitre consacré à un de mes écrivains préférés. Pascal Quignard a déclaré : "Je suis un intellectuel qui aime lire dans son coin. J'étais ainsi. Je suis ainsi. Je serai ainsi. Toute ma joie est là". L'auteur rappelle le parcours atypique de l'écrivain qui s'est débarrassé en 1994 de tous ses rôles sociaux pour se consacrer à la littérature. Il décida de vivre "dans l'angle caché du monde". L'écrivain ermite d'aujourd'hui développe dans toute son œuvre cette idée de la solitude indispensable pour la création littéraire. Et la lecture demeure pour Quignard une des activités les plus singulières de la condition humaine. Il s'agit de se retirer du monde et à travers eux, "on se glisse hors du temps" qui nous oppresse. Pascal Quignard préfère "l'intérieur, l'intime, le secret, le caché, le profond" et fuit ''la société du spectacle". Cet essai sur ces écrivains en rupture avec le "collectif", la société, le monde se termine avec l'évocation d'un scientifique, Henri Laborit, qui, dans son "Eloge de la fuite", publié en 1976, prônait ce geste "d'exil dans l'imaginaire" car même si la société peut exercer tous les contrôles possibles, elle ne peut "empêcher un individu de se mettre à rêver et d'inventer son propre univers". Ce livre original a aussi le mérite de donner envie de lire tous les écrivains cités par Rémy Oudghiri. De très bonnes lectures pour cet été.