lundi 23 juillet 2018

"Le Lambeau", 2

De sa chambre d'hôpital parisien, Philippe Lançon se réapproprie sa seconde vie, une vie vouée exclusivement aux soins. Il se raccroche à cet espoir : se reconstruire physiquement. Car, il est en morceaux, ne peut pas se nourrir, ne dort pas, dispose seulement de ses jambes. Il parcourt les couloirs de l'hôpital avec sa potence et dans son lit, il note tous les évènements quotidiens : les visites de sa famille, ses amis, sa compagne et surtout ses liens essentiels, étroits avec sa chirurgienne qui va lui poser ce "lambeau" pour remplacer sa mâchoire perdue. Il observe les services hospitaliers, le dévouement sans faille du personnel soignant, les brancardiers,  la compétence des médecins et ce microcosme médical devient sa bulle protectrice. Le monde extérieur n'existe plus pour lui. Les tueurs le hantent la nuit comme des mauvais génies et l'écriture de cette expérience chasse ces tourments funèbres. Il convoque souvent ses amis décimés dans cette atroce massacre. Dans un article du Monde des Livres, la journaliste écrit : "Il ne cesse de s'oublier pour s'intéresser à ce monde qui lui était étranger ; les objets aussi sont décrits dans leur infinie singularité, comme si ce voyage en haute solitude permettait de pratiquer enfin le pur amour des choses et des gens, fondé sur une égale dignité de tous, sur la poignante fragilité de leurs destinées". Sa lucidité et son humour restent des attitudes salvatrices et l'aident à survivre malgré ce temps pénible de la reconstruction de son visage. Il aime toujours profondément la musique, la littérature (Proust, Kafka), l'art et ces moments de réconciliation avec le monde culturel illuminent le récit. Philippe Lançon, malgré l'attentat, ne crie pas sa colère, n'éprouve pas de haine, et supporte avec un courage digne d'un Ulysse au bord du gouffre, sa propre destinée tragique. Ce récit de deuil pour sa vie d'antan, ne peut qu'émouvoir ces milliers de lecteurs(trices) qui ont lu et admiré ce soldat de la littérature, une littérature au service de la vérité, du courage et de la vertu dans le sens antique du terme. Je considère ce livre comme un chef d'œuvre… 

dimanche 22 juillet 2018

"Le lambeau", 1

Attention, ce livre ne s'ouvre pas sans risques. En lisant Philippe Lançon, j'ai reçu un coup de poing, un choc émotif, une leçon de vie inoubliable. Ce récit lumineux raconte une renaissance, la reconstruction d'une gueule cassée, à la manière de ces soldats de 14-18, victimes de blessures de guerre. Ce témoignage bouleversant met en scène sous la forme d'un journal intime, Philippe Lançon, tombé sous les balles immondes de deux fanatiques islamistes. Cette guerre d'aujourd'hui n'est pas seulement idéologique. Elle a fracassé une équipe entière d'humoristes, de dessinateurs, de journalistes de Charlie Hebdo.  Philippe Lançon, journaliste littéraire à Libération et chroniqueur dans ce journal satirique, s'est trouvé au mauvais moment, au mauvais endroit alors qu'il assistait à la préparation d'un numéro, ce matin du 7 janvier 2015. Deux guerriers barbares, vêtus de noir et armés de kalachnikov, se sont introduits dans la salle de conférence et ont tiré dans le tas, visant hommes et femmes. Douze personnes furent massacrées. Ces martyrs de la République, (eux devraient se retrouver au Panthéon) ont donné leur vie parce qu'ils ont eu l'audace de se moquer de tous les dieux, de tous les puissants et de la bêtise humaine. La vie intellectuelle française, représentée par ces héros de la pensée libre, de l'esprit voltairien, de l'humour libertaire, a subi une attaque insupportable. L'attentat de janvier a changé le monde occidental et ce récit d'outre-tombe relate ce moment où la réalité dépasse la fiction. Philippe Lançon a vu la mort, a vécu la mort : "Où étais-je à cet instant, un survivant ? Où étaient la mort, la vie ? Que restait-il de moi ?". Le narrateur est très gravement blessé aux bras et au visage. Il se relève comme Lazare et pourtant, malgré les dix sept interventions chirurgicales sur son visage, Philippe Lançon n'éprouve pas de haine, de rancœur, de rage envers ces deux assassins ; "Je n'ai aucune colère contre les frères K., je sais qu'ils sont les produits de ce monde, mais je ne peux simplement pas les expliquer. Tout homme qui tue est résumé par son acte et par les morts qui restent étendus autour de moi". Le narrateur décrit cette attaque avec un détachement stoïque, maîtrisant l'horreur vécue dans un souci d'exactitude. Cette mise à distance du cauchemar permet la lecture de ce témoignage, un témoignage capital sur la France des années 2010...

jeudi 19 juillet 2018

"Intérieur"

Je garde un très bon souvenir de mon séjour bref et intense à Copenhague, une capitale vraiment à taille humaine, expérimentale et où règne une douceur de vivre indéniable. J'ai découvert dans les musées danois, un peintre dont j'ai cité le nom lors de mon compte-rendu sur Copenhague. Il s'agit de Vilhelm Hammershoi. Quand je suis revenue de mon escapade, je voulais acquérir un catalogue en français sur ce peintre secret et troublant. Mais, je n'en ai trouvé aucun à un prix abordable. J'ai donc cherché (et j'aime rechercher des références) et j'ai acquis un essai de Philippe Delerm sur ce peintre. Cet ouvrage publié chez Les Flohic éditeurs fait partie d'une collection passionnante des années 2000, Musées secrets. Comme j'aime la littérature et la peinture, ces beaux livres illustrés associent des écrivains à des peintres. J'ai découvert en particulier la passion de Pascal Quignard pour Georges de la Tour ("La nuit et le silence"), et dans la liste indicative, je vois Jean Rouaud, Sylvie Germain, Charles Juliet, François Bon, etc. Philip Delerm a choisi une vingtaine de toiles et il tente d'élucider le mystère des personnages ou des paysages d'Hammershoi. Ainsi, ce tableau qui représente une femme devant un piano : "Autrefois, il lui semblait que le bonheur viendrait du piano. Une rencontre, une façon de tenir le monde entre ses mains. Elle n'attend plus personne… Elle joue pour elle la sonate de Mozart". Plus loin, Philippe Delerm imagine ces femmes, vivant dans le silence, la solitude et cultivant une discrétion impalpable. Présentes dans le décor mais des visages absents dans leur quotidien millimétré. Il écrit plus loin sur une femme devant une fenêtre : "Il y a des sensations d'enfance rassurantes dans cette habitude de se lever tôt, même pour peu. De se tenir à la proue des journées, comme s'il y avait quelque chose à attendre, quelque chose à manquer. Comme si chaque jour avait sa chance".  J'ai retrouvé le style intimiste "delermien" qui correspond à l'art secret d'Hammershoi. Ce peintre du silence et de la solitude aurait aimé lire les lignes de son frère de cœur, Philippe Delerm. Un bel ouvrage de collection, un rareté éditoriale à conserver longtemps dans sa bibliothèque. 

mercredi 18 juillet 2018

Partager ses lectures et ses voyages

Depuis un an et demi, je dispose d'un compte Instagram que j'utilise lors de mes escapades en Europe. Quand je me balade, je remarque un beau paysage et je prends une photo. J'ai redécouvert le charme de Chambéry en me promenant dans ses allées. Je prends donc des photographies avec mon smartphone Samsung pour marquer mes journées et engranger dans ma mémoire des beaux souvenirs. Ce journal illustré est instantané et chaque photo que je dépose attire la sympathie de mes abonné(e)s. Je ne cherche surtout pas une sorte de gratification à travers ces reportages mais, j'aime partager mes coups de cœur pour des paysages, des monuments, des musées, des temples, des livres, des fleurs, etc. Je suis surprise de participer à cette communauté d'internautes souvent plus jeunes que moi. Je ne dévoile jamais des photos intimes, de selfies. Ce compte garde son anonymat et je m'étonne parfois de l'impudeur de certains utilisateurs nombrilistes et ridiculement pathétiques. Comme partout sur le net, les comportements humains varient de la modestie la plus louable à la vanité la plus idiote. J'ai commencé à suivre des institutions, des musées, quelques éditeurs (Gallimard, Actes Sud, etc.), des amateurs de littérature, des photographes expérimentés, des peintres, et d'autres instagrameurs particuliers. Le compte des musées en Italie m'incite à repartir dans ce pays magnifique. Je me suis abonnée à des sites archéologiques (Pompéi), des bibliothèques, etc. Toutes ces photos m'informent, me cultivent et cette manne ne me prend pas beaucoup de temps car les messages sont brefs et la photo unique. Les lectures coups de cœur prennent une place régulière sur mon compte. Je photographie la couverture et je dépose une citation de l'auteur. Ce geste me prend cinq minutes et je suis souvent surprise de recevoir parfois des commentaires de lecteurs(trices) qui partagent les mêmes goûts en litterature. Je ne rencontrerai jamais ces humains virtuels mais j'avoue qu'il existe encore beaucoup d'amoureux des livres dans le monde. Ces échanges relèvent d'une pratique moins narcissique que facebook où la vie familiale, amicale et intime s'étale sans complexe. Instagram m'a fait découvrir la dimension sociale et culturelle d'un réel photographié. Images et textes se complètent harmonieusement. Mon blog de textes raconte ma vie de lectrice et de voyageuse, mon compte Instagram illustre mes lectures et mes découvertes… Il ne faut plus dire que les retraité(e)s sont en désarroi technologique, ringards et dépassé(e)s. Je me sens bien dans mon époque et c'est mon métier de bibliothécaire à l'université qui m'a initiée à ces nouvelles façons de communiquer. 

mardi 17 juillet 2018

"Dans les forêts de Sibérie"

J'éprouve une certaine méfiance pour les best-sellers, ces livres trop sympathiques qui veulent plaire à tout le monde et qui ne dérangent pas le confort des lecteurs(trices). J'ai pris par hasard sur la table de la médiathèque, le journal de Sylvain Tesson, "Dans les forêts de Sibérie", édité chez Gallimard en 2011. Prix Médicis de l'essai, cet ouvrage attire souvent les amoureux de la nature, les marcheurs de grandes étapes, les grimpeurs de sommets, les écologistes décroissants, les aventuriers, les baroudeurs et tant d'autres compétiteurs d'efforts physiques. Je m'attendais à une lecture ennuyeuse car je ne suis pas attirée par la littérature voyageuse. Quand je découvre la description des lieux, les problèmes d'intendance, les exploits du corps et les tourments de l'âme, le livre me tombe des mains. J'ai ouvert la première page du livre et j'ai accompagné jusqu'au bout, Sylvain Tesson, dans son expérience d'ermitage. Il a choisi la Russie, le lac Baïkal, précisément (voir une carte pour comprendre l'isolement du lieu) et a vécu six mois dans ce milieu hostile de février à juillet 2010. Cet hyperactif planétaire s'est arrêté pendant ces mois pour se lancer un défi intime : vivre dans le froid glacial largement au dessous de zéro, sentir la solitude, goûter le silence, maîtriser le temps, se ressourcer. Son habitat, une isba en bois, va devenir sa matrice essentielle. Sa cabane en Sibérie se transforme en personnage principal, un recours et un secours tellement l'extérieur le menace sans cesse avec les tempêtes, la présence des ours, le passage de quelques visiteurs inopportuns. Il écrit : "Dans ce désert, je me suis inventé une vie sobre et belle, j'ai vécu une existence resserrée autour de gestes simples. J'ai regardé les jours passer, face au lac et à la forêt. J'ai coupé du bois, pêché mon dîner, beaucoup lu, marché dans les montagnes et bu de la vodka à la fenêtre." Le narrateur organise son quotidien ainsi : activités intellectuelles le matin et taches matérielles l'après-midi. Il aime couper son bois pour le poêle, pêcher pour son repas du soir, chercher de l'eau, marcher tous les jours sous un climat extrême. En lisant ce journal intime, je ne m'attendais pas à rencontrer un amoureux des livres ! La nature ne lui suffit pas, il a besoin de ces compagnons silencieux pour vivre son expérience capitale. Il manie l'humour au fil des lignes et il raconte qu'il avait du retard dans ses lectures. Sa décision de vivre en ermite découle peut-être de cette passion pour les livres… J'ai noté dans sa liste des philosophes (les Stoïciens, Kierkegaard, Nietzsche, Schopenhauer), des écrivains classiques (Rousseau, Yourcenar, Camus, Jünger, Kundera). Sylvain Tesson se nourrit de lectures et cite souvent les auteurs qu'il aime. Il rencontre aussi des Russes et raconte leurs discussions saugrenues. Il décrit son amitié partagée avec deux chiens, des mésanges visiteuses. Son expérience à la Thoreau (Walden) lui permet de s'interroger sur lui-même, sur son envie permanente de bouger sans cesse. Il a compris que les voyages pouvaient aussi se vivre à l'intérieur de soi. Sa philosophie d'une vie proche de la nature, dans un rejet de la société de consommation, loin du tumulte de l'Histoire, est résumée dans cette phrase de l'écrivain : "Et si la liberté consistait à posséder le temps ? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence - toutes choses dont manqueront les générations futures ? Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu". Et j'ajouterai les livres, évidemment…

lundi 16 juillet 2018

"Bilan de faillite"

Les premiers mots de Regis Debray dans ce "Bilan de faillite" posent le sujet principal : "Tu as seize ans, moi soixante seize. Un abîme. Avoir duré plus que de raison ne donne pas à un père l'autorité requise pour se faire écouter d'un fils. Tu me demandes quoi faire de ta vie. Je me demande ce que j'ai fait de la mienne. Tu voudrais sortir de l'enfance, je rêve d'y retourner. Comment t'orienter dans les jungles de demain ?". Antoine, le fils de Régis Debray, doit choisir sa filière pour le bac : S ou L. L'écrivain conseille la section scientifique pour éviter à son fils une vie dont le bilan ressemblerait à une faillite comme l'indique le titre du livre. L'écrivain se raconte sans fard, sans maquillage et se livre comme jamais. Tout le monde connaît son itinéraire exceptionnel : révolutionnaire, proche de Che Guevara, emprisonné en Bolivie, rapatrié en France par Mitterrand, conseiller du Prince socialiste, médiologue sans attaches universitaires, sociologue du religieux, républicain gaulliste, militant d'une gauche perdue et surtout, écrivain. Si l'on veut comprendre le monde intellectuel français, il faut lire les récits autobiographiques de l'écrivain dont "Un Candide à sa fenêtre". Sa force de frappe se situe dans son style inimitable, brillant, plein d'humour, de lucidité et d'ironie. La planète Debray : un passé oublié où les professeurs, les gens de lettres, les littéraires avaient toute leur place dans la société. Aujourd'hui, "On ne nous avait pas préparés au culte du gagnant. On ne nous avait pas prévenus que les footballeurs deviendraient des demi-dieux, feuilletés d'or comme des bouddhas birmans ; ni que chanteurs, acteurs et actrices, avec oscars, noces et obsèques en direct, seraient les phares de nos étés, les héros de nos hivers et les mentors de nos mentors". L'écrivain déconseille à son fils les milieux de la politique, du militantisme, de la diplomatie, de la littérature, des sciences humaines. Il avoue sa désillusion de ne pas avoir été lu et reconnu à sa juste valeur. Il évoque la médiologie, dont il a été le précurseur et que l'université ne considère pas comme une science. Ce récit tonique démontre que toute vie génère des réussites et des échecs. Régis Debray conseille à son fils d'être lui-même, de choisir sa voie sans son avis et surtout, d'éviter l'inquiétante fascination du conformisme ambiant où les "followers", les "like", et autres "fans" du net confondent le réel et le virtuel… Régis Debray conserve malgré tout un humour sans égal, une nostalgie du temps des livres, et des regrets sur son agitation politique. Un ouvrage très instructif et un style flamboyant... 

vendredi 13 juillet 2018

Petite escapade bisontine

Je viens de passer quatre jours à Besançon pour des raisons familiales et j'apprécie beaucoup cette ville franc-comtoise où je me rends régulièrement. Je me suis baladée en toute tranquillité car cette grande métropole urbaine (175 000 habitants)  cultive le calme et maîtrise le bruit infernal des voitures, des motos et autres machines tonitruantes. Un tramway dessert tous les quartiers périphériques et traverse le centre ville avec discrétion et élégance. Chaque tramway porte des portraits d'hommes et de femmes célèbres de la cité : Victor Hugo,  Louis Pasteur, Louis Pergaud, Gustave Courbet, Colette, les Frères Lumière, et bien d'autres. Ces hommages évoquent l'histoire riche de la ville et incitent à la curiosité intellectuelle. J'ai découvert Jenny d'Héricourt, née à Besançon, écrivaine féministe active en 1848, et qui a fondé la Société pour l'émancipation des femmes à cette époque. Lors de ma visite, j'ai revu la Médiathèque Pierre Bayle, installée dans une ancienne caserne. J'ai interrogé une employée qui m'a avoué que le sol de pavés gris n'était pas très chaleureux ni pour les lecteurs, ni pour les livres… J'ai ensuite déambulé dans les rues animées et j'ai visité la cour du Palais Granvelle, érigé en 1534. Ce palais Renaissance abrite le musée du Temps ! Comment peut-on proposer ce type de musée ? Besançon possède un passé lié à l'horlogerie avec la célèbre et emblématique entreprise Lip. En fait, ce musée scientifique expose les instruments pour mesurer ce temps qui passe, ou lentement ou trop vite, selon les occupations pratiquées. Le Musée des Beaux-Arts et de l'Archéologie en rénovation ouvrira ses portes à la fin de l'année. Je le visiterai dès que possible lors de mon prochain séjour. Je suis rentrée dans deux églises dans mon parcours, austères et imposantes et j'ai terminé ma balade à la librairie "Les Sandales d'Empédocle", une institution culturelle incontournable à Besançon. J'ai même acheté la très belle revue de François Busnel, "America". La ville bisontine offre aussi de belles promenades dans ses espaces verts dont celui du Parc Micaud, longé par le Doubs, une rivière enchanteresse. La vue du Doubs et du parc Micaud quand on se trouve sur le pont de la République représente la quintessence de la cité bisontine. Les architectes des villes d'aujourd'hui devraient faire des stages à Besançon car la ville conjugue les conforts citadins avec les charmes de la nature, une nature omniprésente et revigorante. Le bleu des trams, le vert des parcs, le gris bleu des façades en pierre, le beige des remparts de Vauban, l'harmonie des couleurs enrobe mon âme de promeneuse… 

jeudi 12 juillet 2018

"Etre en vie"

Cristina Comencini, talentueuse réalisatrice, écrivaine et fille du grand cinéaste italien vient de publier "Etre en vie", chez Stock dans l'excellente collection, "La Cosmopolite". Catarina, la narratrice, se trouve à Athènes dans un hôtel face au Parthénon. La fournaise estivale rythme les jours de la protagoniste. Elle vit à Rome avec son mari et ses deux enfants. Elle est venue pour trouver une réponse au suicide de sa mère adoptive, Graziella et aussi de celui de son compagnon, artiste-peintre. Une catastrophe pour la jeune femme : "ça vient de kata, qui veut dire "bas" et "strephein", qui signifie "retourner", "bouleversement". C'était la conclusion d'une aventure, la résolution de l'intrigue, qui contenait souvent une révélation". Catarina cherche à comprendre le geste radical de sa mère, disparue sans laisser de lettre d'adieu. Cette mère l'avait sauvée du naufrage quand la jeune fille vivait son enfance dans une famille misérable de la Campanie jusqu'à l'âge de six ans. Des souvenirs surgissent dans sa mémoire alors qu'elle refuse ce deuil. Elle se souvient de cette petite fille muette, qui ne savait pas marcher. Ses parent, morts dans un incendie, l'ont laissée orpheline et Graziella l'a recueillie. Cette enfance fantomatique lui a laissé des séquelles physiques et des sensations prémonitoires. La jeune femme attend les résultats de l'autopsie avec le fils de Sebastiano, Daniele. Cet homme, "expert en complications intérieures", se sent très seul et révèle à la jeune femme que son père souffrait de bipolarité avec des moments d'euphorie et des descentes en enfer. Catarina et Daniele deviennent un miroir l'un pour l'autre et ils semblent que leurs liens se renforcent pour affronter la mort de leurs parents respectifs. Catarina se sent à la fois irritée et attirée par Daniele qui lui aussi a vécu une enfance difficile. Ce roman des blessures infantiles raconte aussi le retour à la vie pour les deux personnages principaux. Cristina Comencini dans son huitième roman pose la question essentielle : "Qu'est-ce ça veut dire être en vie ? Pour moi, c'est comme une chanson, vous la savez par cœur. Elle vous semble stupide, toujours la même, tout le monde la connaît, mais quand il vous arrive de la chanter à nouveau, elle vous donne le frisson". Un roman original et sensible à découvrir cet été…

mercredi 11 juillet 2018

La folie du moment

Si Erasme vivait aujourd'hui, il publierait un essai sur le nouveau fanatisme ambiant : le sport et surtout l'esprit de compétition. Depuis un mois, le pays vit au rythme de cette équipe d'hommes qui courent après un ballon rond et il faut introduire cet objet banal dans un filet où un garde se tient prêt pour l'arrêter car il surgit de n'importe quel côté. Imaginons un extraterrestre descendant d'une planète où l'agitation sportive n'existe pas. Il ouvrirait les yeux en se demandant : quel est cet étrange coutume de courir après ce drôle d'objet arrondi que les humains mâles se disputent sans cesse. Les Romains comprendraient ce jeu mais seraient déçus, car il manque les lions pour le sang coulé. Les Grecs, qui n'aimaient que l'athlétisme, jugeraient peut-être le côté amusant de la course d'un poteau à un autre. Je partage pour ma part le sentiment de l'extraterrestre. Pourquoi tant de cris ? Pourquoi tant d'enjeux de fierté nationale ? Pourquoi ce besoin archaïque de se sentir les plus forts, les plus doués, les plus virils ? Le patriarcat triomphant se manifeste dans ces occasions mondialisées où un esprit guerrier anime tous les protagonistes. J'ai besoin de Freud pour comprendre ces pulsions d'agressivité, de délire collectif, de passion irraisonnable. Le bruit des klaxons a envahi nos cités, des groupes (souvent d'hommes) se réunissent pour hurler à chaque but comme une explosion de testostérone… J'ai l'impression de vivre une aventure inouïe en fermant ma télévision, en souhaitant que tout s'arrête le plus vite possible, que le quotidien retrouve son harmonie intérieure.  Même notre Président surjoue l'enthousiasme populaire et pendant ce temps de liesse, les problèmes disparaissent. Je n'ose imaginer la fin de cette hystérie collective. Je me demande si Emmanuel Macron ne va pas proposer le Panthéon pour ces onze joueurs de ballon rond de leur vivant ! Comme il aime bousculer la tradition, cette idée va murir chez lui… Je lancerai une pétition sur Internet pour protéger nos vrais héros de la nation, ceux qui se sont battus pour nous pour vivre dans une République intelligente, cultivée et libre. Avec cet événement régressif,  je me sens une athée marginalisée dans un pays bizarre, voué aux dieux du ballon rond ! Docteur Freud, reviens pour soigner tous ces fanatiques du ballon rond !

mardi 10 juillet 2018

"Erasme, Grandeur et décadence d'une idée"

Stefan Zweig (1881-1942) appartenait à l'intelligentsia juive viennoise et son cercle d'amis se composait d'illustres contemporains : Sigmund Freud, Arthur Schnitzler, Romain Rolland, Richard Strauss, Emile Verhaeren, et bien d'autres. Ecrivain majeur du XXe siècle, il faut tout lire ou relire ses œuvres les plus fascinantes : "Amok", "La pitié dangereuse", "La confusion des sentiments", "Le joueur d'échecs" et de nombreuses nouvelles. Biographe et historien, il s'est intéressé à Joseph Fouché, Marie Antoinette, Marie Stuart sans oublier des ouvrages sur Freud, Nietzche, Montaigne, Balzac. Dickens, etc. Ce boulimique de la vie des autres a aussi livré ses propres mémoires : "Le Monde d'hier, souvenirs d'un Européen". Une planète à lui tout seul. Je viens de terminer la biographie d'Erasme, Erasme de Rotterdam, (1467-1536), encore un européen comme Zweig, auteur de "L'éloge de la folie". La Grèce antique et l'Empire romain m'intéressent en priorité, mais je ressens une immense admiration pour la Renaissance qui nous a donné tant de génies dans l'art, la philosophie et la littérature. Erasme symbolise cette période fastueuse dans l'histoire humaine. Publiée en 1935, la biographie d'Erasme rappelle le destin tragique de Stefan Zweig, qui, constatant le chaos européen en 1942, a mis fin à ses jours avec sa compagne. Erasme fut le premier penseur à voyager à travers l'Europe. Passionné par les savoirs et les techniques de l'époque, il fréquentait les bibliothèques et les imprimeries, des lieux emblématiques pour la Renaissance : "Une ville n'existait à ses yeux que par ses bibliothèques". Stefan Zweig définit cette période ainsi : "Grâce à une confiance en soi éprouvée et victorieuse, l'homme du XVIe n'a plus l'impression d'être un atome impuissant qui compte sur le secours de la grâce divine ; il se sent le centre des événements, le soutien du monde. Son attitude humble et suppliante s'efface soudain devant le sentiment de sa valeur personnelle ; et c'est la manifestation impérissable de cette griserie de sa force que nous désignons sous le nom de Renaissance". Erasme, l'homme des livres, de la lecture, voulait comprendre son temps et fuyait tous les fanatismes religieux. Il chercha à conjurer la rupture religieuse (la Reforme de Luther), et ses pérégrinations incessantes le conduisent à Paris, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, en Suisse. Sa vie d'errant et d'ermite ne pouvait qu'inspirer Stefan Zweig, homme européen par excellence, intellectuel avant l'heure, tolérant et pacifique. Cette biographie romanesque m'a plongée dans une époque, la Renaissance, miroir d'un XXe siècle tragique. Mais j'ai retenu une leçon vitale : Erasme nous apprend le libre arbitre, la responsabilité, la sagesse et surtout l'horreur du fanatisme religieux. Les biographies de Stefan Zweig ressemblent à des romans et même si la vérité historique ne correspond pas à l'historiographie scientifique d'aujourd'hui, le plaisir de la lecture reste entier… 

vendredi 6 juillet 2018

"Dictionnaire intime des femmes"

J'ai reçu ce dictionnaire lors de mon anniversaire et l'amie qui me l'a offert connaît très bien mon âme féministe depuis que je suis née ! Je n'ai jamais supporté que l'on nous considère comme des êtres faibles, fragiles, victimes. Depuis des décennies, j'essaie de mener ma vie en tant que femme libre, forte et indépendante. J'ai mené dans les années 70 et 80 des combats essentiels pour des causes justes. Si aujourd'hui, une jeune fille choisit sa contraception, peut pratiquer le métier qu'elle désire, faire de longues études, se sentir sans se poser des questions l'égale des hommes, elle doit ses choix à des femmes qui se sont révoltées contre un état patriarcal et injuste. Laure Adler, écrivaine et journaliste, biographe de Simone Weil, Hannah Arendt, Marguerite Duras, a célébré avec une empathie sororale l'héritage considérable des pionnières dans tous les domaines. Cet exercice d'admiration nous rappelle qu'il ne faut jamais oublier ces femmes magnifiques. Elle écrit dans la préface : "Ce livre est une invitation au voyage dans un étrange pays sans frontières, une terra incognita, un territoire où vit la moitié de l'humanité". On ne peut pas lire tous les articles passionnants d'une seule traite. La première démarche consiste à "picorer", à feuilleter, à humer, à sélectionner les textes selon les goûts du lecteur(trice). Pour ma part, j'ai tout de suite lu les notices sur Simone de Beauvoir, Karen Blixen, Marguerite Duras et toutes les écrivaines dont Carson McCullers et Virginia Woolf. Puis, j'ai noté la présence de quelques philosophes et historiennes comme Simone Weil, Françoise Héritier, Michelle Perrot, Mona Ozouf, Julia Kristeva. J'ai remarqué la présence d'Angela Merkel, de quelques hommes dont Roland Barthes, de mots révélateurs comme sorcière, pantalon, rouge à lèvres, vote, voile, lecture, loi, etc. Les grandes figures du féminisme sont présentes dans cet ouvrage complet. Hubertine Auclert, une suffragette peu connue du public, s'est battue pour le droit de vote des femmes, obtenue en 1945. Dans un article du Monde des Livres, Laure Adler évoque son projet : "Si nous connaissions mieux notre histoire, jalonnée de toutes ces femmes intenses, créatrices, indomptables, nous les femmes, serions encore plus guerrières". Sans ces héroïnes célèbres ou anonymes qui ont tracé les sillons de la liberté, la vie n'aurait pas le même intérêt… 

jeudi 5 juillet 2018

"Un jour"

Michel Crépu, directeur de la "Nouvelle Revue Française" depuis 2015, a composé dans ce récit autobiographique, "Un jour", le portrait de son père. Quand un père ou une mère disparaîssent, le monde semble s'effondrer, s'effriter, s'éparpiller. Ce tremblement d'être, Michel Crépu le raconte sans pathos, avec une émotion contenue et une pudeur discrète. Dès la première page, ces mots : "Mon père est mort la semaine dernière". Son père s'appelait Roger et il avait 89 ans. L'écrivain évoque une France disparue du XXe siècle, symbolisée par une famille traditionnelle de la petite bourgeoisie à Etampes. Son père était architecte :  "Crayon, T, équerre, gomme, compas, table à dessin : voilà pour les munitions, le carquois". Il militait du côté de la Démocratie chrétienne, possédait une forte conviction européenne car sa foi profonde le guidait dans toutes ses actions. Le narrateur se préparait à la disparition de son père, victime d'un AVC dix ans avant et plus tard, de la maladie d'Alzheimer. "Mon père s'est désagrégé sous nos yeux, au fil des mois, des années. Il est parti par bouts, par détachements de plaques, comme sous l'effet d'un courant irrésistible". Les pages qu'il consacre à la fin de vie de ces parents résonnent d'une façon particulière car elles ont une portée universelle. Son père avait deux passions : le cirque et les guides de voyage. Michel Crépu relate les vacances en famille en Suisse et en Italie, des souvenirs d'enfance inoubliables. Le narrateur nous raconte en fait une partie de notre histoire même si les familles naissent dans des moules différents. Ce texte personnel fourmille d'anecdotes politiques (Jean Lecanuet, qui se rappelle encore de lui ?), d'événements familiaux (fêtes et anniversaires), de traditions disparues (chanter à table à la fin des repas la "Marquise"). Michel Crépu, intellectuel cultivé, n'oublie jamais notre patrimoine littéraire et ne manque jamais une occasion de citer les classiques que je retrouve avec plaisir. Ce témoignage sur le destin banal d'un homme simple et honnête se termine dans la tragédie de la maladie, la maladie terrible de l'oubli. Son fils a pris la plume pour raconter l'épopée de cet homme et je citerai une phrase de Malraux : "La vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie"... 

mercredi 4 juillet 2018

Au bord du lac, l'été

D'habitude, je me balade au bord du lac du Bourget en début d'après-midi. L'été, je m'abstenais de ce plaisir car je fuis en général la foule des badauds et des baigneurs. J'ai donc choisi le matin pour retrouver mon beau lac savoyard, l'un des plus beaux de France. J'ai tout de suite constaté la tranquillité du lieu, investi seulement par quelques joggers. Les Mottets, Terre nue et l'esplanade du Viviers resplendissaient sous un soleil doux et caressant. La lumière inondait le paysage sous un ciel bleu profond. Quelques petits nuages blancs s'accrochaient encore sur la Dent du Chat. Comme les voitures émettent encore des ondes sonores désagréables, j'utilise mon MP3 pour écouter mes morceaux favoris comme le Stabat Mater de Pergolèse et la musique sublime de ce compositeur élimine le bruit environnant. Quand je traverse les Mottets, je remarque tout de suite la présence des lapins sauvages qui sortent des fourrés mais, dès qu'ils vous aperçoivent, ils détalent dans leurs cachettes. Plus loin, sur le quai du port de Terre Nue, un couple de cygnes dormaient avec leurs six petits et formaient un tableau familial attendrissant. Quand je longe les plages du Lido, j'aperçois dès onze heures du matin quelques baigneurs(ses) installé(e)s sur leur serviette de plage. Et certain(e)s tiennent un livre à la main. Quel plaisir de voir ces tableaux vivants : une lectrice et son livre mystérieux. Je n'arrive pas à voir le titre du roman, mais je sais que l'écrit tient encore la distance. Livre ou smartphone ? J'ai peur qu'un jour, le deuxième surpasse le premier… Les lecteurs vont devenir des héros anonymes, des Don Quichotte du papier. J'ai un souvenir d'Anglet où une jeune fille lisait "Un cœur simple" de Flaubert. Elle était couchée sur un muret et semblait dévorer ce texte. Je me disais que la lecture des classiques n'avait pas encore disparu. J'ose penser que les livres seront encore des compagnons doux et silencieux que l'on glisse dans les valises estivales. Cette vision de la jeune fille avec Flaubert m'a redonné le goût des classiques contemporains et cet été, je vais relire les "Mémoires" de Simone de Beauvoir, le "Labyrinthe du Monde" de Marguerite Yourcenar et un roman de Virginia Woolf, "Traversée". J'ai oublié de citer mon cher Quignard avec son premier tome du "Dernier Royaume", "Les Ombres errantes", publié en 2002. Des retrouvailles heureuses dans la quiétude de l'été.  

mardi 3 juillet 2018

"La fille qui brûle"

Claire Messud, écrivaine américaine, a déjà publié quatre romans dans la belle collection "Du monde entier", chez Gallimard. J'avais lu avec beaucoup d'intérêt  "Les filles de l'empereur" et "La femme d'en haut". "La fille qui brûle" n'aborde pas un sujet hyper original mais un thème récurrent dans la littérature : le malaise adolescent. Dans la petite ville de Royston, dans le Massachusetts, tout le monde se connaît. La narratrice, Julia, appartient à une famille unie de la classe moyenne : son père est dentiste et sa mère travaille en solo comme journaliste gastronomique et cinématographique. Elle s'est choisie une amie depuis la maternelle : Cassie Burns aux cheveux blonds et à la peau diaphane. Cassie grandit dans un foyer sans père, sa mère infirmière libérale l'élevant seule. Son père est mort dans un accident de voiture. Les deux petites filles jusqu'à leur adolescence partagent dès le début une complicité immédiate : jeux, baignades, bénévolat dans un refuge pour les animaux. Elles explorent ensemble la forêt environnante et pénètrent dans un asile abandonné, désaffecté depuis longtemps. Ce lieu secret où elles se retrouvent par effraction consolide leur amitié. Mais, Cassie commence à changer et s'éloigne peu à peu de Julia. Sa mère esseulée rencontre le médecin de la ville et l'installe chez elle. Cassie n'apprécie pas la présence de ce faux père qui se prend pour le vrai. La jeune fille subit aussi des influences négatives au lycée en fréquentant des filles peu recommandables. Cassie se sent de plus en plus mal et fuit Julia. Elle va même s'inventer un père qui ne serait pas mort car sa mère lui aurait menti. Ce rêve morbide se concrétise un jour quand Cassie repère un père de famille portant le même nom qu'elle. Sa visite inopinée chez cet homme se termine mal et Cassie disparaît. Seule, Julia comprend que son ancienne amie s'est refugiée dans l'ancien hôpital psychiatrique. Julia va la sauver mais, leur amitié comme beaucoup d'amitiés entre adolescentes se fracasse quand la mère de Cassie déménage et se sépare de son compagnon nocif. Claire Messud décrit à merveille les blessures de la vie, la perte de l'amitié fusionnelle, l'ennui et la solitude. l'environnement social. J'ai retrouvé dans ce beau roman, les univers de Carson McCullers, Joyce Carol Oates et Laura Kasischke. Et comme j'aime beaucoup ces trois écrivaines américaines, j'ai donc fort apprécié Claire Messud. 

lundi 2 juillet 2018

Simone Veil au Panthéon

Dimanche, j'ai regardé la cérémonie d'hommage à Simone Veil. Elle formait un couple fusionnel avec son mari avec lequel elle a vécu plus de soixante cinq ans. Le Panthéon, notre temple sacré républicain, n'a admis que quatre femmes (Sophie Berthelot, Marie Curie, Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle) et plus de soixante dix hommes. Sur le fronton du monument, il est inscrit : "Aux grands hommes, la patrie reconnaissante"... Et détournons l'inscription lapidaire en ajoutant : "Aux grandes femmes, la patrie reconnaissante".  Je pense à Marguerite Yourcenar, Simone de Beauvoir, Colette, George Sand sans oublier les féministes des origines comme les suffragettes, luttant pour le droit de vote des femmes. Simone Veil représente à elle seule plusieurs symboles : la mémoire de la Shoah, le combat féministe pour le droit à l'avortement en 1974, la réconciliation avec l'Allemagne et la création de l'idée européenne pour une paix durable. Qu'elle soit de droite, du centre gauche ou libérale, cette femme a survécu des camps de la mort pour témoigner de la barbarie atroce du nazisme et des totalitarismes. Cette jeune fille française, éduquée dans une famille cultivée,  se fait rafler à seize ans parce que juive. Comment survivre ? Après sa retour des camps de la mort où elle a perdu ses parents et un frère, Simone Veil a relevé la tête et a dédié sa vie aux autres pour que ces temps sombres ne reviennent plus. Simone Veil symbolise aussi une conscience européenne. Sans l'entité européenne, les nations ne pèsent pas grand chose. Son passage dans l'hémicycle de Bruxelles en tant que présidente a fait honneur à toutes les femmes à une époque où elles représentaient une infime minorité dans les instances politiques de tous les niveaux, de la commune au Parlement. Cette grande dame politique d'une droiture morale exigeante faisait partie de l'Académie française et son élection dans le fauteuil de Jean Racine a permis à Jean d'Ormesson de lui déclarer un beau "Madame, nous vous aimons"... Simone Veil repose pour l'éternité dans le Panthéon et avec elle, comme l'a si bien dit Emmanuel Macron, ce sont les femmes déportées, ses compagnes de Birkenau qui l'accompagnent. La Marseillaise a résonné à la fin de cette très belle cérémonie et un violoncelle nous berçait de ses sons mélancoliques. Une hommage républicain comme on voit peu de nos jours.