samedi 9 mai 2020

"L'injonction à écrire"

Je pratique la lecture des blogs littéraires où je découvre de vraies pépites qui m'enchantent. Un des blogs le plus construit, le plus sérieux, le plus fouillé se nomme "La République des Livres" de Pierre Assouline. Mes idées de lecture proviennent parfois de ces billets et il m'a fait connaître de nombreux jeunes écrivains. J'ai découvert qu'il hébergeait un blog "Le Coin du critique SDF" et j'ai lu un long article d'Hélène Gestern sur le confinement. Cette écrivaine très discrète se demande comment réagir face à la crise sanitaire actuelle. Elle a constaté la publication de ces journaux de confinement que l'on trouve dans la presse et l'écriture est vécue comme "remède, comme thérapie souveraine au mal du confinement". Comme si tous les écrivains confinés dont j'ai déjà parlé dans ce blog se mettaient furieusement à se lancer dans leur propre chef d'œuvre qui sera publié à l'automne. Hélène Gestern avoue que le fait de rester cloîtrée ne l'a pas du tout influencée à écrire : "Dans mon cas, la recette miracle n'a pas fonctionné. L'écrivaine s'est révélée une femme ordinaire, inquiète pour les siens, pour ses proches fragiles, pour ses amis malades du covid. Elle a découvert, comme tout le monde, lors de sa première sortie, avec une sidération remplie de tristesse, une ville désertée, des supermarchés où l'on se croisait, méfiants et masqués comme des gangsters". La narratrice, professeur, évoque le regret d'annuler une rencontre avec Léonor de Recondo à l'université. Elle pense à ses étudiants obligés de travailler en télétravail. Les émotions défilent dans ce texte comme un miroir qu'elle nous tend : colère contre le manque de masques, anxiété à cause des infos, révolte contre les recommandations infantilisantes de nos gouvernants, sidération devant tous les spécialistes du Covid-19, peur devant l'effondrement économique, angoisse de la contamination. Hélène Gestern "n'avait pas eu envie d'écrire, mais alors pas du tout". En fait, elle décrit tout simplement sa condition de femme ordinaire : sortir pour se nourrir, gérer son travail, prendre des nouvelles de ses proches, de ses amis, regarder des séries et lire des romans policiers pour se changer les idées, regarder ses plantes grandir, sa glycine fleurir. Une vie ordinaire et simple au fond. Elle termine son long texte avec ses mots : "Le confinement ne m'aura rendue, en tant qu'écrivaine, ni meilleure, ni pire. Il n'aura pas buriné mon âme d'artiste ni suscité en moi la moindre inspiration. Il m'aurait plutôt donné, à ce stade, l'envie de continuer à vivre comme je vivais avant lui, dans le silence, la quiétude, l'attention à une nature dont je me sens particule éphémère, insignifiante, petite poussière dans le grand tout, et c'est tant mieux". Un avenir un peu incertain nous attend tous : il faudra beaucoup d'efforts pour recréer une vie collective sans suspicion sans avoir peur de son prochain. Son billet m'a vraiment convaincue qu'un texte simple et sincère valait de loin toutes les analyses alambiquées des spécialistes de la "chose". Hélène Gestern ne voulait pas écrire sur le sujet. Heureusement, elle l'a fait. Tant mieux pour nous.