mardi 3 mai 2022

"Un coup de hache dans la tête"

 Normalien et psychiatre, Raphaël Gaillard dirige le pôle hospitalo-universitaire de l'hôpital Sainte- Anne à Paris. Dans son ouvrage savant mais très abordable par des lecteurs (et des lectrices) curieux des troubles mentaux, il s'inspire de la citation de Diderot qui a écrit : "Les grands artistes ont un petit coup de hache sur la tête". L'essayiste reprend cette formule pour analyser les liens étroits entre la folie et la créativité. Cette idée a traversé les civilisations depuis les Grecs anciens qui reconnaissaient cette maladie, la bile noire ou la mélancolie, selon Aristote. Les Romantiques allemands privilégiaient les états d'âme, le déséquilibre, les passions amoureuses et même le suicide. Les surréalistes s'intéressaient à l'inconscient, à l'écriture automatique et considéraient la folie comme une manifestation du génie. Ce constat sur le monde de l'art dans ces mouvements se lit avec beaucoup d'intérêt. Ensuite, le psychiatre se lance dans une démonstration médicale et scientifique sur les troubles mentaux d'un point de vue biologique. La lecture devient alors plus ardue, voire austère quand il évoque les études génétiques, menées sur la population islandaise, démontrant une parenté entre la créativité et la présence des troubles mentaux dans une filiation familiale. Ce détour par les neurosciences mériterait une explication plus approfondie. Je me suis inspirée d'un commentaire sérieux sur cet essai passionnant. Quand l'homo sapiens apparaît dans le chainon humain, son cerveau réalise une révolution cognitive tout en se fragilisant, en intégrant la notion de vulnérabilité aux troubles mentaux. Notre condition humaine serait donc imprégnée d'une fragilité psychique. Il présente les grandes maladies psychiatriques comme la psychose, la bipolarité, la schizophrénie en proposant des portraits de patients dont la souffrance est décrite de manière touchante. Raphaël Gaillard explique aussi le processus de créativité artistique quand un patient est atteint de troubles mentaux graves : "L'absence de continuité de soi, l'équilibre psychique instable peuvent être chez le patient bipolaire, un frein ou un moteur à la créativité". Son admiration des artistes s'intensifie dans la conclusion de cet ouvrage remarquable : "Soigner, c'est ouvrir le champ des possibles". Je n'ai certainement pas tout compris dans ce texte dense et savant mais j'ai retenu des concepts détonants sur le psychisme humain. Cet essai rend un hommage fraternel à tous les artistes et surtout aux patients dont la souffrance semble inhumaine. Il évoque aussi le rôle de la littérature comme une ouverture essentielle pour comprendre l'esprit humain, si fragile, si vulnérable. Un document rare et précieux sur la maladie mentale et sur la création artistique.