jeudi 24 juin 2021

"Paris Fantasme"

 Lydia Flem, écrivaine belge et psychanalyste, spécialiste de Freud, a toujours aimé les traces familiales surtout dans ses récits autobiographiques émouvants : "Comment j'ai vidé la maison de mes parents", "Panique", "Comment je me suis débarrassée de ma fille et de mon quasi-fils". Cette année, elle agrandit sa propre famille dans "Paris fantasme" en adoptant une rue, la plus petite rue de Paris, la rue Férou, située entre le Jardin du Luxembourg et la place Saint-Sulpice dans le VIe arrondissement. A la manière de Georges Perec, l'écrivaine s'est lancée dans une aventure littéraire d'une grande ampleur. Pari risqué, pari réussi. Cet ouvrage hybride de 500 pages réunit à lui seul un patchwork de textes : des souvenirs intimes, des histoires de vie, des biographies de célébrités, des recettes de cuisine, des extraits d'inventaire, des anecdotes historiques, des faits divers, etc. Elle s'est installée pendant cinq ans dans un studio de la rue Férou pour apprivoiser ce lieu traversé par des fantômes qu'elle veut retrouver grâce à la littérature. Lydia Flem se pose le dilemme du chez-soi, de la magie du verbe habiter : "Pas de maison sans l'épaisseur des souvenirs, la conscience du temps déposé, pas de sentiment d'être chez soi sans un peu de poussière... Combien de jours pour se sentir chez soi ? Faut-il s'en éloigner pour ressentir la joie des retrouvailles ?". Quels sont ces personnages croisés dans l'ouvrage ? Madame de La Fayette, Chateaubriand, Taine mais aussi Hemingway, Michel Déon, Fantin-Latour, Prévert et tant d'autres disparus qu'elle ressuscite. Des souvenirs personnels et furtifs refont surface dans sa mémoire : sa mère Jacqueline dans sa Fiat 600, résistante et rescapée d'Auschwitz. Il lui arrive aussi de dire "je" quand elle évoque la vie d'une comédienne ou du photographe Atget. Lydia Flem évoque avec admiration Man Ray, photographe et peintre surréaliste, installé dans un atelier glacial de la rue Férou. Mais la question de la perte reste lancinante pour la psychanalyste : "N'est-ce pas un projet absurde de s'attacher à tant d'inconnus pour étancher la curiosité sur ce qui se cache derrière les façades, les portes, les fenêtres d'une ruelle parisienne ? S'approprier l'espace. (...) Puis-je m'arrimer en un point au hasard ? "Faire maison" là où le hasard me dépose, comme une graine qui s'enracine où le vent l'a semée ?". Cet ouvrage érudit décrit un monde disparu qui revit sous nos yeux ébahis de lecteurs et de lectrices. La rue Férou n'a plus de secrets pour moi et dès que je retourne à Paris, je m'y rendrai en pélerinage pour lire le gigantesque poème de Rimbaud, "le bateau ivre" gravé sur un de ces murs. Grâce à Lydia Flem, j'ai relu Rimbaud, redécouvert Man Ray, ressenti la magie de ce quartier entre le Luxembourg et la place Saint-Sulpice. Un livre cadeau labyrinthique pour tous les amoureux et amoureuses de la Capitale. L'écrivaine résume son livre ainsi : "Singulière ruelle qui s'absente à ces deux bouts. Ses pierres recèlent des trésors d'histoires, de légendes, de questions sans réponses et des réponses sans questions. Une rue, dix maisons, cent romans. Paris Fantasme". Un livre magistral.