mercredi 26 octobre 2022

"Le monde d'hier, souvenirs d'un Européen", Stefan Zweig, 2

Dans sa jeunesse, Stefan Zweig commence ses périples européens à Berlin tout en rêvant de Paris, une fois son doctorat de philosophie terminé. Son rêve se réalise enfin dans cette ville lumière, le centre culturel du monde selon lui, une ville libre, ardente et décomplexée. Il hume cet air de liberté avec bonheur et partage cet enthousiasme avec Rilke qui lui présente Rodin. Cette rencontre avec un sculpteur de génie illumine son séjour parisien. Voyageur éclairé, il rejoint Londres où il se sentira seul et ne réussit pas à établir des contacts avec le milieu littéraire. Stefan Zweig manifeste sa passion de la littérature en collectionnant des autographes et des manuscrits de grands artistes comme Goethe. Le succès de ses nouvelles se confirme en rencontrant l'adhésion du public. Mais sa curiosité insatiable pour l'ailleurs l'emmène en Inde, en Amérique, en Europe. La politique de son pays le passionne et il évoque la figure de Walther Ratheneau, un homme politique allemand qui sera assassiné plus tard. Ses mémoires qu'il a écrites en 45 jours brassent beaucoup de thèmes, de personnages réels, d'évènements historiques et sociaux. Il établit un bilan positif des progrès matériels, dues aux découvertes innovantes. Pourtant, il note aussi l'insouciance des peuples quand l'immonde peste du nazisme prend forme. L'optimisme généralisé occultait le danger d'un antisémitisme meurtrier. Il relate plusieurs faits marquants dans cette atmosphère délétère et troublante. Quand la guerre de 14 avait éclaté, cet écrivain de la paix avec son ami Romain Rolland avait compris qu'un monde, son monde, s'effondrait. Stefan Zweig croit malgré tout à la raison, à la paix au-dessus des peuples. Il tente avec son ami Romain Rolland d'organiser une grand conférence réunissant les plus grands penseurs de l'époque, pour promouvoir la réconciliation. Mais cette tentative est un échec. Après la guerre de 14, l'écrivain s'installe à Salzbourg et se consacre à la littérature. Il poursuit son analyse de la société viennoise en évoquant les ravages de l'inflation. Malgré les soubresauts de la société, la vie intellectuelle bat son plein avec de nouveaux talents littéraires, des peintres de la Sécession, du cubisme au surréalisme. Il part en Italie, en Allemagne, en Russie et ces voyages déterminent son amour d'une paix idéale européenne, une utopie qui sera plus tard réalisée. Ses livres sont traduits dans le monde entier. Ce qui n'empêche pas sa lucidité pessimiste de s'exercer. Le nazisme finit par triompher en Allemagne et l'Autriche est annexée. Les derniers chapitres crépusculaires de l'ouvrage évoquent les horreurs que traversent les Juifs. Il part en Angleterre mais ce pays le déclare "ennemi étranger". Il termine son récit en se sentant poursuivi par la guerre et écrit cette très belle phrase consolatrice : "Mais toute ombre est en fin de compte aussi fille de la lumière, et seul celui qui a connu clarté et obscurité, guerre et paix, ascension et déclin, seulement celui-là a véritablement vécu". Ce chef d'œuvre de Stefan Zweig que j'ai relu lors de mon séjour à Vienne m'a littéralement plongée dans les "plis du temps" de cette ville si fascinante. Stefan Zweig, ce grand écrivain européen d'une modernité éternelle, nous fait comprendre ce XXe siècle si capital dans l'Histoire humaine. Un classique à préserver et à découvrir sans cesse.