mardi 11 juillet 2017

"Dans ce jardin qu'on aimait"

Je viens de terminer le dernier roman de Pascal Quignard, "Dans ce jardin qu'on aimait". Un pasteur américain, Simeon Pease Cheney, a composé un catalogue de chants d'oiseaux dans les années 1860-1880 dans l'Etat de New York. Il a perdu sa femme depuis une vingtaine d'années quand elle accoucha de sa fille qui vit avec ce père éploré. Cette histoire singulière se décompose comme une sonate à plusieurs temps. Parfois, le révérend s'exprime seul, puis s'adresse à sa fille et un troisième personnage, le récitant, reprend la trame romanesque comme dans une tragédie grecque. Il est question d'amour absolu entre cet homme et cette femme qu'il n'a jamais oubliée, malgré la mort qui les sépare. Le jardin lui sert de "temple du souvenir" car son épouse le cultivait avec soin. Ce veuf inconsolable en arrive même à rejeter sa fille qui a "tué" son épouse... Il a trouvé la seule consolation pour supporter cet immense chagrin : il note systématiquement tous les chants des oiseaux qui fréquentent son jardin merveilleux. Ce travail de musicien ne remporte aucun succès car son manuscrit est toujours refusé. Aucune importance pour cet ermite de l'amour. Il poursuit sa tâche sans douter de son génie musical. Cette chasse aux sons ressemble à un hymne à la vie naturelle. Les oiseaux représentent souvent les messagers des dieux car ils vivent dans les airs au plus près de l'Olympe... Pascal Quignard intervient dans ce récit-conte : "J'ai été soudain ensorcelé par cet étrange presbytère tout à coup devenu sonore, et je me suis mis à être heureux dans ce jardin obsédé par l'amour que cet homme portait à sa femme disparue". Ce texte polymorphe, à la fois pièce de théâtre, poème symphonique, prose chanté, s'apparente à une "cantate à plusieurs voix,  un chant grave et épuré, un hymne à l'amour éternel" d'après la critique Nathalie Crom de Télérama. J'ai décelé une "fulgurance quignardienne" : "Il est possible que l'audition humaine perçoive des airs derrière la succession des sons de la même façon que l'âme humaine perçoit des narrations au fond des rêves les plus chaotiques". J'ai aussi relevé une référence à Giorgio Morandi, un de mes peintres préférés quand l'écrivain évoque ses natures mortes... Une seule lecture ne suffit pas à comprendre ce conte nostalgique et romantique. Ce pasteur américain, Simeon Pease Cheney, représente à lui seul les interrogations philosophiques de Pascal Quignard...