mercredi 6 mai 2015

Atelier de lectures, 2

La deuxième partie de l'atelier était consacrée à deux femmes écrivains : Michèle Lesbre et Maylis de Kerangal, deux planètes différentes, singulières et attachantes. La première est née en 39, a publié une bonne quinzaine de romans chez Sabine Wespieser depuis 1991 dont son dernier "Chemins" cette année. Il est assez périlleux de résumer chacun de ses livres. De "Boléro" au "Canapé rouge", du "Lac immense et blanc" à "La petite trotteuse", elle poursuit la même quête du temps retrouvé à la façon d'un Patrick Modiano, ou de Marcel Proust. Ses romans ressemblent à la musique de chambre, intimiste, délicate, nostalgique. Des duos, des trios, des quatuors, toutes ces formes musicales se retrouvent dans son œuvre subtile avec le fil conducteur de la nostalgie, de la saudade, ce sentiment du temps perdu, du passé évaporé, des regrets, des souvenirs flous, opaques.  La narratrice de ses opus musicaux hante les gares, occupe des maisons en solitaire, rencontre des gens avec empathie, se souvient des amours anciennes, évoque souvent des écrivains fétiches, des films culte. Cette écriture impressionniste peut dérouter mais, pour lire Michèle Lesbre,  il faut se laisser aller sans analyser mot à mot le sens de sa pensée. Il faut arpenter sa prose comme des chemins de campagne, qui conduisent peut-être nulle part mais qui soulignent la singularité d'une œuvre palpitante et émouvante. Certaines lectrices ont aimé, d'autres étaient déçues par cette œuvre labyrinthique. Les romans de Maylis de Kerangal dont le génial "Réparer les vivants" attirent l'admiration des lectrices même si la lecture demande une certaine tension, une attention soutenue.  Son style unique d'une beauté rare, la construction de l'histoire, les sujets choisis (autour d'un chantier de pont, sur la transplantation cardiaque, sur une corniche, dans un train de Russie) forment une œuvre originale et forte. Dans "Corniche Kennedy", paru en 2008, l'écrivain raconte l'histoire d'une bande de jeunes à Marseille qui se jettent dans l'eau en frôlant le danger. Cette audace transgressive insupporte les autorités municipales et les jeunes sont mis sous surveillance. Je cite cet extrait pour montrer le style "Kérangal" : "Les petits cons de la corniche. La bande. On ne sait pas les nommer autrement. Leur corps est incisif, leur âge dilaté entre treize et dix-sept, et c'est un seul et même âge, celui de la conquête : on détourne la joue du baiser maternel, on crache dans la soupe, on déserte la maison". Daniel Pennac dans la revue Lire définit ainsi le roman "Réparer les vivants" : "C'est un livre extraordinaire dont l'écriture relève de la pure sensation. Son style est une nouveauté totale, avec une langue qui sait être extrêmement précise et particulièrement évocatrice." Michèle Lesbre et Maylis de Kerangal ont un public solide et fidèle malgré leur discrétion médiatique exemplaire. L'une utilise le roman pour raconter un passé perdu, l'autre manie la plume comme un scalpel pour ciseler un présent intense. Mon objectif dans l'atelier a peut-être été atteint quand les écrivains que je choisis, sont lus et appréciés...