vendredi 8 avril 2022

Venise, une cité amphibie

J'ai vécu une semaine dans une bulle temporelle loin du fracas de la guerre en Ukraine et de la comédie burlesque de notre monde politique si médiocre. Venise représente pour moi une cité enchantée où ne roule aucune voiture (Madame Hidalgo devrait transformer sa ville en cité aquatique). A partir de cet élément, un certain silence règne dans les ruelles et dans les campos, les canaux et la lagune. Ce silence particulier est zébré par le bruit métallique des vaporettos qui sillonnent constamment les veines de Venise. Les vaporettos, apparus à la fin du XIX, sont concurrencés par un nombre frappant de toutes sortes d'embarcation : ambulances, transporteurs divers, bateaux poubelles, taxis de luxe et parmi ce merveilleux spectacle, glissent paisiblement les gondoles traditionnelles, habillés de noir et chamarrées de tissus rouge et or. Le cliché de Venise fonctionne encore pour les couples d'amoureux qui ne résistent pas à magnifier leur relation avec un romantisme désuet. Tout ce monde sur l'eau se dépasse sans s'insulter, se surpasse avec une adresse séculaire et lâche sur les quais les transportés avec une politesse exquise. J'ai passé pas mal de temps sur ces vaporettos avec parfois une foule compacte et parfois assez tranquille. Les gestes séculaires des marins vénitiens se devinent dans la dextérité efficace des employés aussi bien garçons que filles quand ils lancent les cordes pour attacher le bateau sur la plateforme mouvante. Ce bateau collectif à soixante euros la semaine permet de visiter la cité avec les Vénitiens et avec les Vénitiennes qui doivent souffrir de l'invasion touristique en gardant le sourire. En début avril, j'ai remarqué la présence de Français (en majorité), des Allemands et des Anglais. Les touristes d'Asie ne sont toujours pas revenus et cette absence de consommateurs compulsifs doit peser sur l'économie locale. Dès l'aéroport, j'ai pris le bateau "Alilaguna" qui traverse la lagune et quand je suis arrivée à la hauteur de la Place San Marco, cette vue de Venise si célèbre dans le monde entier, conserve toujours sa magie. La météo n'était pourtant pas follement favorable mais, même avec un ciel gris troué de bleu, je me souvenais des plafonds peints de Tiepolo. Le soleil est revenu dès le samedi avec parfois quelques nuages paresseux survolant l'horizon. Comme j'avais loué un appartement sur les Zattere, proche de la Punta de la Dogana, je retrouvais dans cet espace vintage de palais un peu décati, la présence de l'eau conquérante, venu de la mer Adriatique, devant le canal de la Guidecca. J'ai remarqué un air d'allégresse, un esprit d'insouciance sur les visages des touristes quand j'ai marché vers la Place San Marco. J'avais envie de partager cette philosophie de "la légèreté d'être", si chère à Milan Kundera. Revoir cette place plus que millénaire m'a vraiment basculée dans un temps inactuel, une durée élastique où les années ne comptent plus comme si je me baignais dans les siècles comprimés à la manière d'une sculpture de César.  Une étrange et envoûtante expérience qui ne faisait que commencer...