lundi 28 août 2023

"Les yeux ouverts", Marguerite Yourcenar, 3

 Dans ce livre emblématique, Marguerite Yourcenar évoque ses essais moins connus que ses romans comme "Sous bénéfice d'inventaire" et ses traductions dont celles du récit, "Les vagues" de Virginia Woolf. Elle a rencontré l'écrivaine anglaise pour lui demander des conseils et celle-ci lui a répondu : "Faites ce que vous voulez". La jeune Marguerite, âgée de trente ans, relate son impression lors de cette entrevue unique : "Elle paraissait très menacée, très fragile". Mathieu Galey lui pose des questions sur sa grande saga magnifique, des mémoires intitulées "Le Labyrinthe du monde" avec les trois tomes : "Souvenirs pieux", "Les archives du Nord" et "Quoi, l'éternité" publiés entre 1973 et 1988. A la soixantaine, sa démarche autobiographique se résume ainsi dans cet entretien précieux pour comprendre la genèse de ses ouvrages : "Il s'agit pour moi de donner une pensée à ces millions d'êtres qui vont se multipliant de génération en génération (...) à l'immense foule anonyme dont nous sommes faits, aux molécules humaines dont nous avons été bâtis depuis qu'a paru sur la terre ce qui s'est appelé l'homme". Pour composer ses souvenirs personnels, l'écrivaine disposait de documents familiaux dans lesquels elle puisait des informations précises. Elle rend un hommage vibrant à son père, Michel, à qui elle doit tout : son éducation, sa mémoire familiale, sa culture et sa vision de la vie. Quand le journaliste l'interroge sur "la souffrance d'écrire", elle lui répond que l'écriture est un travail, "presque une jeu et une joie parce que l'essentiel, ce n'est pas l'écriture, c'est la vision". Elle ajoute même qu'elle a imaginé ses personnages pendant dix ans avant de les faire naître sur le papier. Dans ses brouillons, elle supprime "tout ce qui peut être supprimé" et elle écrit en bas de page le nombre de mots éliminés. A la fin de cet entretien, elle livre quelques règles de vie inspirées d'une sagesse bouddhiste : "éliminer les mauvais penchants, s'adonner à l'étude, tenter de toujours se perfectionner et, enfin, tenter par l'amélioration de soi d'arriver à l'amour des autres".  En conclusion, elle déclare en fin d'entretien qu'elle "va de l'avant" et espère garder longtemps "le yeux ouverts", une curiosité sans cesse à l'affût dans ses voyages comme dans son Ithaque américain. Elle est partie rejoindre ses chers Habrien et Zénon en 1987 et pour la retrouver, il faut lire ce très beau témoignage qu'elle a nous offert avec Mathieu Galey. Une très grande dame de la littérature française à fréquenter régulièrement.