jeudi 30 août 2018

Mon sejour basque, 2

Je ne peux pas m'empêcher aussi lors de mes séjours au Pays basque de humer quelques effluves culturelles. J'ai eu de la chance cette année car deux expositions intéressantes m'ont permis de découvrir la place de de l'art à Biarritz avec "Picasso, 1918 et 2018" et à Anglet avec "La Littorale". Picasso a vécu à Biarritz pendant l'été 1918 avec sa femme Olga, danseuse des Ballets russes et peint le tableau des "Baigneuses". A l'occasion de ce centenaire, l'Ecole Supérieure d'Art Pays Basque a proposé une confrontation historique entre le célèbre tableau des Baigneuses et des œuvres d'artistes contemporains dont Daniel Buren, Annette Messager, Hervé Di Rosa, Gloria Friedman. Dès l'entrée, j'ai aperçu le tableau en question que je connaissais évidemment depuis longtemps. J'avais même acquis un poster pour décorer une cuisine. Je rêvais, grâce à cette peinture, de ma ville quand j'étais exilée à Grenoble, à Tarare et ailleurs dans mes différents postes de bibliothécaire en Rhône-Alpes. Et là, il se tient devant mes yeux : un petit format d'une vingtaine de centimètres sur quinze. J'étais assez stupéfaite de vérifier la différence entre une œuvre imprimée sur papier et celle accrochée sur un mur. Le tableau reste au demeurant magnifique avec ses femmes Vénus, exaltées et formant un trio mystérieux, des Amazones océaniques… Cette exposition très réussie n'était pas très fréquentée alors qu'à cent mètres, des milliers de touristes se baignaient dans les vagues biarrotes. A Anglet, j'ai donc visité dès samedi les sculptures contemporaines de la Biennale, "La Littorale", une manifestation d'une qualité exceptionnelle. Sur un espace de deux kilomètres, j'ai arpenté le chemin qui me menait aux œuvres toutes intéressantes et qui frappaient l'esprit des baigneurs qui passaient par hasard devant elles. Je citerai une Pieta magnifique et immense, une montagne en argile, face à l'océan, d'une sculptrice allemande, Anne Wenzel.  J'ai aussi beaucoup aimé une Vénus noire, suspendue dans l'air, d'un artiste, Stéphane Pencreac'h. Cachée au pied de la falaise au milieu de roseaux, elle me faisait penser à une Koré grecque, une déesse de la mer, toute proche. Des panneaux explicatifs renseignent à merveille les curieux de la Biennale et j'étais vraiment heureuse de découvrir cette exposition en plein air devant l'océan qui rythmait mes pas… Un moment magique dans mon séjour quand la nature et l'art s'épousent avec harmonie. Il faut dire que le sujet de la Biennale d'Anglet porte le titre de "Chambre(s) d'amour", tout un programme !  La Côte basque ne cultive pas seulement la beauté de ses paysages, elle n'oublie pas les amateurs d'art... 

lundi 27 août 2018

Mon séjour basque, 1

Dès que je mets un pied, puis l'autre sur le sol de l'aéroport, l'air sent le sel marin. Cette odeur familière me pénètre comme un lied de Schubert. Un pays se résume parfois à un parfum, à des couleurs, à des sensations. La Côte basque ressemble à un patchwork rouge, vert et blanc et j'ajouterai le bleu profond de l'océan. Le charme de mon pays natal s'infiltre dans mes veines dès que j'y réside pour quelques jours. Mais, en août, attention, danger : Biarritz perd son aura magique. Un article du journal Sud-Ouest évoque la saturation touristique à l'égal de Venise, de Barcelone et d'autres villes envahies. Comment réguler ce fléau ? L'océan attire de plus en plus de touristes et il semblerait qu'Internet soit la cause de ces afflux anormaux de visiteurs. Plus le prix des places d'avion baisse, plus les locations de particulier à particulier fonctionnent à plein, l'invasion touristique sera de plus en plus gênante pour les habitants de ces lieux. Dès dix heures du matin, ce n'est plus la peine de prendre sa voiture pour aller à la plage. Malgré les navettes bus, les vélos gratuits de la ville d'Anglet, les automobiles règnent partout sur la Côte. J'ai trouvé la solution en me baignant dès neuf heures du matin et j'avais toute la plage pour moi mais sans surveillance. Pour satisfaire les besoins primaires des touristes, les villes inventent aussi des distractions permanentes : compétition de surf la nuit, marchés nocturnes, courses à pied pour les enfants et les catégories d'âge. Il ne faut surtout pas que les touristes s'ennuient une seule minute pendant leurs vacances sublimes du bord de mer. Pour admirer le coucher de soleil, personne n'a besoin d'accompagnement social. Cette esprit de fête permanente enlève à mes yeux le charme du pays qui est resté très longtemps authentique, simple et tranquille. L'authenticité s'amenuise, la simplicité se complexifie et la tranquillité disparaît au fil des années du premier juillet au trente août. La marchandisation estivale règne dans les commerces locaux, les restaurants typiques des plages et les marchés. Mon si beau Pays basque souffre de son succès malgré sa réputation légendaire de climat entre pluie et soleil. Je souhaitais la pluie pour me balader tranquillement sur la plage… Je conseille donc d'éviter cette destination à tous ceux (celles) qui aiment le silence, la solitude et le calme. Biarritz s'apprécie pendant les trois saisons restantes, dix mois sur douze, c'est quand même appréciable ! Et je n'y retournerai plus jamais en août !  J'ai l'intention de revoir Biarritz dès novembre pour retrouver mes plages désertées, ma Côte basque en beauté avec ses vagues majestueuses et ses paysages somptueux...

vendredi 17 août 2018

"Un balcon en forêt"

Dans ma reconquête estivale des classiques contemporains, j'ai saisi sur mon étagère la pléiade de Julien Gracq que je n'ai pas relue depuis très longtemps. Je garde dans ma mémoire de beaux souvenirs de lectures gracquiennes en particulier, "Le Rivage des Syrtes" qui m'avait subjuguée dans ma jeunesse. J'ai relu récemment "Un balcon en forêt", publié en 1958. Ce roman de l'attente diffuse une étrange ambiance qui régnait pendant la "drôle de guerre" de septembre 1939 à mai 1940. Julien Gracq a vécu cette expérience d'officier et il s'inspire de ce vécu dans ce texte. Quand on lui posait la question des sources de son inspiration : il répondait par : "De l'image des Ardennes" et de "L'idée de la solitude". L'aspirant Grange est cantonné dans une maison forte des Hautes Alizes, près de Moriarmé, dans les Ardennes. Cette maison en surplomb est un blockhaus en béton, construit au cœur de la forêt afin de signaler l'avancée des chars allemands entre la Belgique et la France. Un souterrain a été creusé permettant une évacuation rapide dans la forêt. Grange partage ce huis clos avec trois soldats, Hervouet, Gourcuff et Olivon. Il ne se passe presque rien dans leur vie : ils braconnent, coupent du bois, se préparent les repas dans une attente insouciante. Pourtant, l'aspirant Grange sent monter en lui une angoisse latente quand il arpente les sentiers forestiers. Il écrit : "On eut dit que sur le coeur de l'Europe, sur le cœur du monde, était descendue une énorme cloche à plongeur, et on se sentait pris sous cette cloche, dont l'air mou serrait les tempes et faisait bruire les oreilles d'un bourdonnement léger". Mais, cette drôle de guerre ne provoque pratiquement aucun incident. Tout semble lointain, distant, irréel. Cette irréalité de la guerre met la vie en suspens, entre parenthèses, enrobée de coton. L'aspirant se rend dans un village proche où il rencontre Mona, une très jeune femme plus proche de l'enfance que de l'âge adulte. Il la rejoint la nuit clandestinement et cet amour furtif lui offre un répit dans cette période menaçante. Quand les Allemands avancent, le village est évacué et Mona disparait. Le blockhaus finit par être attaqué et Grange sera blessé alors qu'il perd deux soldats. Ce roman à la fois réaliste et à la fois poétique se lit lentement, ligne après ligne avec une attention extrême tellement le style de l'écrivain nous envoûte littéralement. Je cite cette phrase emblématique de la magie gracquienne : "La forêt respirait, plus ample, plus éveillée, attentive jusqu'au fond de ses forts et de ses caches soudain remués aux signes énigmatiques d'où on ne savait pas quel retour des temps - un temps de grandes chasses sauvages et de hautes chevauchées - on eût dit que la vieille bauge mérovingienne flairait encore dans l'air un parfum oublié qui la faisait revivre". Julien Gracq a offert à la littérature française contemporaine, une de ses plus belles proses. J'ai appris que cette œuvre fut inscrite au concours de l'agrégation de Lettres en 2008. Une reconnaissance évidente pour cet écrivain somptueux et une  deuxième lecture encore plus intense que la première.  

jeudi 16 août 2018

Balade à Aix les Bains

Ce mercredi 15 août, j'avais envie de me balader du côté d'Aix-les-Bains. J'ai revisité le petit musée Faure, ouvert ce jour-là et j'étais surprise de constater qu'il était bien fréquenté. Installé dans une villa italienne, la Villa des Chimères se transforme en musée en 1949. J'aime bien cet espace sans prétention mais qui présente tout de même une belle collection de sculptures de Rodin, la deuxième de France au deuxième étage où l'on trouve aussi la chambre reconstituée de Lamartine avec lit, secrétaire, table et divers objets domestiques du poète. Au premier étage, on peut voir des tableaux impressionnistes de peintres célèbres : Pissaro, Bonnard, Corot, Degas, Marquet, etc. Hier, le musée proposait une exposition temporaire d'un éclectisme étonnant. Après cette visite intéressante et malgré la foule du 15 août, j'ai poursuivi ma balade après la pause déjeuner du côté du port d'Aix-les-Bains. Il faut franchir quelques dizaines de mètres pour se retrouver pratiquement seul dans le Jardin vagabond, une espace de cinq hectares, aménagé en 2007 par la ville et le lycée agricole de Costa de Beauregard de Chambéry. Une association des Amis du Jardin vagabond gère cet espace original, innovant et très agréable à parcourir. On aperçoit tout de suite des massifs de fleurs, des sentiers tracés, un crocodile en bois, une sculpture en bronze, "Germination", une mare, un observatoire d'une roselière et surtout à ma grande surprise, une cabane à livres. Je me suis précipitée pour consulter la cinquantaine d'ouvrages et là, j'ai découvert un vrai trésor littéraire : les cinq tomes des "Thibault", écrits par Roger Martin du Gard en livre de poche des années 60. Je les ai lus dans ce format d'origine et je me souviens encore de cette "saga" de l'époque où deux frères très différents s'affrontaient dans des causes différentes. Je vais relire cet œuvre bien oubliée aujourd'hui et revivre peut-être de grands moments de lecture. J'ai aussi emporté dans mon sac, "Les Hauts du Hurlevent" d'Emily Brontë et "Le silence de la mer" de Vercors. Quel est ce lecteur mystérieux qui a déposé ces poches de collection dans cet endroit si incongru ? Décidément, ce phénomène des livres vagabonds ou "bookcrossing" me convient très bien… Beau moment culturel au musée, délicieux moment naturel dans  un jardin, plein de poésie prés du lac, le plus beau de France, et en récompense, un bouquet de livres de notre patrimoine littéraire… Une balade fructueuse à Aix-les-Bains en amicale compagnie.

mercredi 15 août 2018

"Traversées"

Cet été, j'ai pris une grande décision : relire les classiques. Je les ai abandonnés depuis trop longtemps car les nouveautés avaient gagné la partie. Libraire, je devais lire tous les romans nouveaux pour les recommander à mes clients et bibliothécaire pendant vingt six ans, je devais aussi privilégier les parutions afin de les conseiller. Lire les auteurs contemporains me semble toujours une expérience fondamentale pour comprendre son temps. En fait, j'ai dévoré les classiques entre mes quinze et vingt cinq ans : dix ans consacrés à la découverte de la littérature française au lycée et surtout à l'université pendant mes études littéraires. Au programme : Balzac, Flaubert, Stendhal, Zola, Victor Hugo. Puis, j'ai ensuite "attaqué" le XXe et là, je suis devenue adepte de Proust, de Roger Martin du Gard sans oublier Giono, Gracq, Beauvoir et tant d'autres… Mais, une de mes plus grands découvertes littéraires restera l'immense et bouleversante Virginia Woolf. J'avais commencé par "Une chambre à soi", "Trois guinées", "Mrs Dalloway", "Au phare", "Orlando". Dans les années 70, mes années féministes, Virginia Woolf symbolisait la création féminine, l'indépendance, une écriture unique, un regard sur la vie, tissé de multiples sensations. Comme je possède les deux tomes de la Pléaide, j'ai décidé enfin de les ouvrir au lieu de les abandonner sur une étagère de ma bibliothèque. Quand j'ai ouvert dans les années 70, "La Traversée des apparences", j'avais beaucoup aimé le roman. Aujourd'hui, le traducteur Jacques Aubert a choisi un titre raccourci, "Traversées". Ce premier roman de Virginia Woolf a été publié en 1915 et j'avais l'impression de le lire pour la première fois. Rachel, jeune anglaise célibataire, accompagne sa tante Helen dans un voyage en Amérique australe afin de fuir le climat néfaste de Londres. Cette "traversée" est une promesse de bonheur pour la jeune femme car elle tombe amoureuse d'un jeune homme charmant, Terence. Ces Anglais privilégiés (une soixantaine) recréent à l'identique leur mode de vie dans cette île entre le tennis, les tea time, les soirées dansantes. Lors d'une excursion, Rachel et Terence s'isolent du groupe et s'avouent leur amour mutuel. Mais, dans un roman woolfien, la vie heureuse ne dure pas longtemps. Rachel contracte une fièvre qui la tuera. Le bonheur court et intense de cette relation amoureuse se termine en tragédie. J'ai retrouvé dans ce texte l'humour ravageur de l'écrivaine anglaise, les dialogues aiguisés de ses personnages parfois snobs, parfois pitoyables, tous mêlés les uns aux autres avec une maladresse réelle et une impossibilité de communiquer. Comme le disait Milan Kundera (un contemporain essentiel pour moi), "Personne n'écoute personne"... Dans cette comédie humaine à l'anglaise sous influence proustienne, seuls, Rachel et Terence conservent leur innocence et dérangent le groupe avec cet amour pur et impossible. Je ne pouvais pas passer mon été sans me retrouver en compagnie de ma très belle Virginia… 

mardi 14 août 2018

Mon après-midi livresque

J'ai consacré mon début d'après-midi à la médiathèque de Chambéry pour rendre et emprunter des documents. Les règles de prêt ont considérablement changé car tout lecteur peut emporter chez soi vingt-cinq documents, tous supports confondus. J'aime bien me balader dans les rayonnages et farfouiller sur les étagères. J'ai l'impression de me retrouver dans une forêt de papier avec des sentiers bien dessinés et parsemés de clairières pour s'asseoir et feuilleter les ouvrages. J'ai ainsi parcouru la revue "La Quinzaine littéraire", des revues sur l'art, des nouveautés sur les tables et j'ai trouvé un essai d'Umberto Eco sur l'écriture, un livre de Cynthia Fleury sur le courage, la revue "Critique" sur un philosophe italien, Giorgio Agamben qui est souvent cité par Patrick Boucheron. Je suis repartie très satisfaite de ma cueillette et j'aime avoir des provisions comme un écureuil qui engrange ses graines pour l'hiver. Peut-être que je lirai ces documents jusqu'au bout, peut-être que je ne les terminerai pas. L'avantage des prêts de livres me semble donc considérable : la lecture est une activité buissonnière et les bons livres se flairent comme des fruits ou des légumes pour deviner la saveur des textes. Après ma visite d'une bonne heure dans ce paradis chambérien, j'ai mené mes pas vers la librairie qui se nomme "le libre erre" où je cherchais des poches d'occasion pour mes voyages. Une belle surprise m'attendait. J'ai remarqué la discrétion extrême du jeune homme libraire et sa timidité ne correspond pas beaucoup avec ce métier de dialogues. Comme il ne pose aucune question, ni ne demande rien, la librairie perd son charme intrinsèque. Seuls, les livres apportaient une chaleur humaine, ce qui me semble très paradoxal… En farfouillant une étagère, je découvre un roman que j'avais envie de relire depuis que j'avais visité le site magique de Sélinonte en Sicile. Je savais qu'un écrivain français, Camille Bourniquel, avait écrit "Sélinonte ou la chambre impériale", édité au Seuil en 1970, prix Médicis, cette année là. Cet écrivain a disparu du panorama littéraire et il est complétement oublié comme beaucoup de ses confrères de l'époque. Qui lit encore Maurice Druon, Gilbert Cesbron, Hervé Bazin, Henri Troyat ? Pourtant, ces auteurs avaient un succès fou… Ce roman m'attendait dans cette librairie chambérienne et je l'ai évidemment acheté au prix modique de deux euros ! Une coïncidence heureuse pour moi, "Sélinonte" s'était perdu dans le cimetière des livres oubliés et je l'ai sorti de l'oubli. Va-t-il tenir sa promesse de bonheur de lecture ?

lundi 13 août 2018

"Lire !"

Qui ne connaît pas Bernard Pivot ? Tous les lecteurs(trices) éprouvent une sympathie reconnaissante pour cet animateur des livres et de la litterature. Il vient de publier un bel ouvrage avec sa fille Cécile, "Lire !", édité chez Flammarion. Je l'avais feuilleté en librairie et je l'ai acquis pour ses illustrations et ses textes fort agréables à lire. Ce point d'exclamation veut tout dire tellement ces deux compères, père et fille, aiment sincèrement les livres, pratiquent la lecture avec une passion réelle. Je pourrais qualifier cet homme, de forçat littéraire car il consacrait douze heures par jour à lire quand il présentait la célébrissime émission "Apostrophes" de 1975 à 1990 que pour ma part, je suivais tous les vendredis soir. Sur le plateau, il recevait les romanciers, les philosophes, les historiens, les intellectuels français et étrangers avec une facilité étonnante. Il révèle dans l'ouvrage que certaines lectures pouvaient aussi se transformer en pensum… Mais, son honnêteté foncière faisait peut-être le succès de l'émission. J'ai ressenti une grande déception quand il a arrêté Apostrophes. Libraire et bibliothécaire, les lecteurs(trices) me demandaient les livres présentés par Bernard Pivot. Regarder l'émission représentait pour moi une obligation professionnelle bien volontiers assumée. Sa deuxième émission, "Bouillon de culture" mélangeait les genres : littérature, théâtre, cinéma, spectacles et n'a pas eu un impact aussi important que la première. Aujourd'hui, cet octogénaire en pleine forme (grâce à la lecture ?) appartient au jury Goncourt, tient une rubrique littéraire dans le Journal du Dimanche. Quelle énergie ! Cécile, sa fille, partage la passion des livres avec son père et raconte la vie de moine de Bernard Pivot, car, lui-même a avoué avoir sacrifié sa famille en s'adonnant, corps et âme, à son métier de journaliste. Mère d'un fils autiste, Cécile Pivot relate ses moments difficiles face à la maladie et lire l'a sauvée du désespoir. Dans ce bel ouvrage, les deux auteurs parlent de la planète livres : "Lire, un privilège, lectures d'enfance, rituels de lecture, entrer dans les librairies, lire le cœur libre, lire en vacances, ranger ses livres, abandonner un livre, etc". Je me suis retrouvée dans ses textes, appartenant moi-même à cette confrérie des amoureux du papier comme les Pivot. Nous ne pouvons pas vivre sans lire tous les jours, plusieurs heures par jour, un rythme quotidien, une discipline volontaire, une passion dévorante, en somme. "Lire !" fourmille d'anecdotes et ne se résume pas, il faut le savourer avec gourmandise. Je laisse la parole à Bernard Pivot : "Lire, c'est partir, s'égarer, faire des rencontres, s'arrêter pour réfléchir ou rêver, repartir en jubilant, (…), avoir peur, avoir envie, s'émerveiller, se plaindre, s'interroger, se souvenir, et ainsi poursuivre, voyageur infatigable, jusqu'au bout du livre". Et après avoir fini la lecture de ce beau livre, je n'avais qu'une envie et qu'une certitude : lire encore et toujours pendant de très longues années. Quand je pense à tous les livres que je n'ai pas encore lus, je ressens une jubilation vivifiante ! 

vendredi 10 août 2018

Les Jardins du Prieuré

J'aime collectionner des lieux un peu secrets et peu envahis par les touristes. Au Bourget du Lac, très joli village, les Jardins du Prieuré conservent un charme romantique à l'ombre rafraichissante de l'église. Comme je marche souvent du côté du lac, du port du Bourget au château de Bourdeau, je m'arrête au retour de ma balade, pour visiter mon jardin du Prieuré. Le bâtiment lui même a été construit vers les années 1030 à la suite d'un rêve prémonitoire d'Odilon, un abbé de l'Abbaye de Cluny. Odilon aurait été sauvé d'une fièvre lors de son passage au Bourget du Lac et interprétant ce signe comme un miracle, il construisit le prieuré. Comme il n'est pas toujours ouvert au public, il faut avoir de la chance pour le visiter. J'ai eu cette occasion en juillet car une exposition de deux femmes peintres m'a permis de revoir les salles du monastère. J'ai aperçu derrière une porte le cloître où souffle toujours un peu d'air mystique. Puis, j'ai passé un grand moment à observer le Jardin. les rosiers sont plantés dans des carrés séparés par des rangées de buis. Des ifs taillés entourent deux sculptures de Jacques Coquillay, baptisées "Vagabondage" et "Corinne". La perspective du haut du jardin permet d'admirer ces deux statues avec une fontaine rafraichissante. Je ne rêve pas : je ne suis pas en Toscane, ni dans un parc des châteaux de la Loire. Je me balade dans un jardin savoyard de tradition française et italienne. Ce joyau est à ma portée, à dix minutes de chez moi. Je ne connais pas l'identité du jardinier (ou des jardiniers) mais je me dis que ce sont des hommes (ou des femmes) heureux de travailler dans un lieu aussi beau. L'histoire locale évoque la duchesse de Choiseul qui aurait dessiné ce jardin au début du XXe siècle. En 1990, une cure de rajeunissement a eu lieu et cette rénovation me semble réussie. Dans mes escapades en Europe, je visite désormais les parcs et les jardins botaniques souvent magnifiques comme à Palerme ou à Madrid. Ces espaces de nature apprivoisée deviennent des musées vivants à l'honneur des arbres remarquables et des fleurs rares. Quand la culture se "naturalise" et quand la nature se "culturalise", il ne faut pas manquer ces lieux inspirés. Les Jardins du Prieuré offrent cette fusion heureuse...

jeudi 9 août 2018

"La Chambre claire"

Roland Barthes a écrit cet essai, "La chambre claire" en 1979 et va mourir un an après d'un accident à Paris, renversé par une camionnette. Ce sémiologue-philosophe a marqué le monde de la culture dans la seconde moitié du XXe. Son célèbre "Mythologies" est un classique ainsi que son bouleversant "Fragments d'un discours amoureux". J'éprouve le besoin depuis quelques mois de relire des œuvres essentielles qui m'ont particulièrement influencée et "La chambre claire" faisait partie de mon programme estival. Comme j'ai fini par me prendre au jeu de la photographie dans mes escapades, j'avais ce désir d'analyser la signification d'un cliché sorti de mon Samsung. Dans ce texte théorique, Roland Barthes établit une distinction entre le "studium", le sujet, et le "punctum", le détail, l'objet partiel, qui suscite l'émoi, la surprise, l'émerveillement. Ce "punctum", Roland Barthes le décrit comme "piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure et aussi coup de dés. Le punctum d'une photo, c'est ce hasard qui, en elle, me point. Mais aussi me meurtrit, me poigne". Il propose des études de quelques photographies historiques dont celles de Stieglitz ou de Kertész,  révélant le détail troublant et significatif. Dans le deuxième chapitre, Roland Barthes évoque la mort de sa mère qu'il adorait. En découvrant une vieille photo d'elle, âgée de cinq ans, il écrit : "Sur cette image de petite fille, je voyais la bonté qui avait formé son être tout de suite et pour toujours, sans qu'elle la tînt de personne". Cet hommage proustien à sa mère illumine cet essai parfois austère et l'on sait que Roland Barthes cultivait le secret de ses sentiments et de sa vie privée. La photographie l'accompagne dans ce deuil inconsolable et lui permet de "ressusciter" sa mère : "La photographie a quelque chose à voir avec la résurrection". Cet essai demande une lecture attentive pour goûter le style et la pensée de cet immense intellectuel français. Je l'avais lu à sa parution et presque quarante après, ce livre reste neuf, actuel et d'une modernité remarquable. Quand on regarde des vieilles photographies de famille en noir et blanc, le passé de ces disparus resurgit et ils deviennent nos contemporains… Roland Barthes vivait au bord de l'Adour, à Urt, quand il descendait de Paris et sa fidélité au Sud-Ouest ne peut que m'émouvoir… Un livre capital sur le phénomène de la photographie.

mercredi 8 août 2018

"L'avenir vient de loin"

Ce livre, "L'avenir vient de loin", se compose de trente textes provenant d'un colloque qui s'est tenu à la Sorbonne en juin 2018. Publié aux Belles Lettres, ce volume rassemble des interventions d'hommes politiques, de savants, de professeurs, d'écrivains. Ils partagent tous un sentiment d'appartenance à la culture gréco-latine. Depuis que les langues anciennes ne représentent plus le summum de l'éducation humaniste (il vaut mieux choisir les mathématiques), je vois se lever dans notre société une envie de sauvegarder ce patrimoine linguistique en péril. Un réseau, Antiquité-Avenir, constitué de trente-huit associations, milite pour revivifier, revitaliser, revenir aux sources de notre civilisation occidentale. Cet ouvrage appartient à la catégorie des exercices d'admiration et se lit avec un grand plaisir.  L'Antiquité qui a duré presque 4000 ans (-3300 av. JC-476 ap. JC) donne le vertige et représente donc l'enfance de l'humanité. Pour ma part, j'ai toujours été fascinée par les commencements et j'ai approfondi ma connaissance de ce temps-là avec des livres, évidemment. Puis, j'ai visité les plus grands sites archéologiques (Grèce, Italie, Sicile, France, Espagne) comme des pèlerinages païens. J'ai compris en observant un temple, un théâtre, une agora, des thermes, des palais, des villas, l'immense dette que nous devons aux plus anciens de nos Anciens. Depuis que je fréquente avec assiduité les musées archéologiques de toutes les villes européennes (y compris à Copenhague en mai), je ne cesse d'admirer toutes les traces matérielles de la civilisation gréco-latine : fresques, colonnes, kouroi, koré, statues, objets divers, vases grecs, amphores jusqu'aux tuiles retrouvées de quelques toitures antiques. Parfois, je me demande d'où me vient cette passion de l'Antiquité : un coup de foudre culturel qui doit s'enraciner dans mon rapport aux temps archaïques. C'est pour cette raison que je lis assidument les œuvres de Pascal Quignard et de Marguerite Yourcenar. Je citerai quelques noms pour remercier ces intellectuels qui révèlent leur gratitude envers le monde antique : Frédéric Boyer, Michel Deguy, Christian Prigent, etc. Tous les participants du colloque ne s'imaginent pas que c'était mieux avant, mais si on apprend du passé, demain ira peut-être mieux… Un livre essentiel pour les amoureux de l'Antiquité.

mardi 7 août 2018

"Le Bleu du Lac"

Parfois, je peux choisir un roman pour son titre : "Le Bleu du Lac"... Ce livre, publié aux éditions Sabine Wespieser, se lit d'une traite et raconte une histoire d'amour entre une pianiste et un critique musical. Comme j'aime vraiment le monde de la musique classique, les deux personnages m'ont fait un signe pour que je partage leur histoire amoureuse. Concertiste célèbre, Viviane Graig s'est retirée après une longue carrière. Elle reçoit un appel d'un homme qui lui apprend le décès brutal de son amant, James Fletcher. En fait, l'exécuteur testamentaire lui demande d'interpréter un intermezzo de Brahms lors des funérailles officielles. Elle accepte cet hommage et lors de son trajet dans le métro de Londres, Viviane Graig, dans un long monologue intérieur, revit cette relation clandestine, les confidences de cet homme, amateur de boxe et esthète musical. Pourtant heureuse avec Sebastian, son mari, elle est pourtant tombée folle amoureuse de James, un séducteur né. Leur réputation professionnelle ne devait pas souffrir de cette liaison privée et ils ont construit au fil des années une relation unique, singulière et secrète. Avant la mort de son amant, Viviane Graig avait perdu sa fille dans un accident domestique et cette perte l'éloigne de la scène. Dans un article du Monde des Livres de juin dernier, Jean Mattern avoue qu'il s'est senti vivre dans ce personnage féminin, en exaltant la sensualité des deux amants. Il s'est inspiré du flux de conscience à l'œuvre dans "Mrs Dalloway" de Virginia Woolf. Jean Mattern résume dans ce passage le sujet du roman : "Si nous avons autant tenu à préserver le secret de notre liaison, c'est avant tout pour éviter de nous heurter à cette incompréhension, même de la part de nos amis". Ce roman diffuse un charme musical certain et le style de l'écrivain ressemble à une partition de Brahms. Auteur de quatre romans, Jean Mattern vit lui aussi une double vie : créateur de textes chez Wiespeser et responsable de collection de littérature étrangère chez Grasset. Il a aussi publié un essai chez Gallimard dans l'excellente collection "Connaissance de l'Inconscient" : "De la perte et d'autres bonheurs". Un écrivain à découvrir… 

lundi 6 août 2018

"Marcher, une philosophie"

Frédéric Gros propose dans cet ouvrage, "Marcher, une philosophie", une réflexion philosophique sur cet acte simple et naturel. Pour ce spécialiste de Michel Foucault, "Marcher n'est pas un sport.  Mettre un pied devant l'autre , c'est un jeu d'enfant. Pas de résultat, pas de chiffre". L'essai se compose de chapitres sur les effets de la marche et de portraits de philosophes marcheurs. J'ai retrouvé Nietzche qui pensait avec ses jambes, Arthur Rimbaud et son goût immodéré de la fuite, les rêves solitaires de Jean-Jacques Rousseau, la vie sauvage de Thoreau, l'errance mélancolique de Nerval, la sortie quotidienne de Kant, la marche mystique de Gandhi. Frédéric Gros n'oublie pas la démarche philosophique dans ces portraits et décrypte les sensations, les sentiments et la signification de la marche dans les chapitres intitulés ainsi : "Libertés, Dehors, Lenteur, Solitudes, Silences, Eternités." Le philosophe définit la marche comme un acte de liberté  : "La liberté en marchant, c'est de n'être personne, parce que le corps qui marche n'a pas d'histoire, juste un courant de vie immémoriale". Plus loin, il revendique la posture du rebelle social dont l'identité se dissout dans le paysage traversé. Il vante le détachement salutaire de toutes les contraintes d'un monde qui emprisonne l'individu dans les rets d'une existence subie. Il recommande la lenteur dans la marche, le contraire des pas saccadés, rapides, nerveux que l'on rencontre souvent quand des randonneurs pressés dépassent "les lents" sans un regard… Il remarque : "Le paysage est un paquet de saveurs, de couleurs, d'odeurs où le corps infuse". Il poursuit sa réflexion en évoquant le choix de la solitude et du silence, conditions idéales pour s'adonner à l'exploration du "dehors". Cet ouvrage incite le lecteur(trice) à une décision fondamentale : marcher, marcher et marcher. Au bord d'un lac, sur une plage, dans son quartier, dans les rues de sa ville, dans une forêt, en montagne, et dans tous les lieux les plus charmants du monde. Cet essai très bien écrit conviendra parfaitement à tous les rêveurs de la marche et mais, il faut éviter de l'offrir aux sportifs, aux compétiteurs, aux fous des performances physiques… 

vendredi 3 août 2018

Balade dans le vieux Chambéry

Je préfère souvent me balader du côté du lac du Bourget, mais, j'aime aussi flâner dans le vieux Chambéry. J'ai reçu cet été ma sœur qui vit à Anglet. Comme des milliers de touristes envahissent le littoral basque pendant l'été, je l'ai invitée en Savoie et surtout dans un coin plus calme qu'à Biarritz (avec aussi le phénomène de masse que représentent les Fêtes de Bayonne en fin juillet). Chambéry se vide de ses étudiants, de ses salariés en congé et on ne rencontre pas des cars de touristes comme dans les lieux prisés. Je me suis amusée à jouer au "touriste basique". Un matin, j'ai donc ouvert la porte de l'Office du tourisme. Une très gentille hôtesse a conseillé un parcours pour découvrir les "incontournables" de la ville. J'ai joué le jeu et avec mes traces d'accent du Sud-Ouest, la comédie a très bien fonctionné. L'Office du tourisme remplit sa mission : un bon point pour la ville car l'accueil m'a semblé très correct. Munies du plan de Chambéry, nous voilà, ma sœur et moi, à la recherche des marques sur le sol : des indices sous la forme d'éléphants, évidemment. Chambery éléphantesque, l'emblème de la ville et de ses animations culturelles, image culturelle et commerciale. Les vingt deux étapes sont bien indiquées sur la carte et nous avons scrupuleusement respecté le circuit : les Halles, rue Juiverie, rue Basse du Château, place Saint-Léger, rue Croix d'or, Théâtre Charles Dullin, Fontaine des Eléphants, rue de Boigne, Place de la Métropole, Hôtel de Cordon, Hôtel de Ville. Le parcours m'a facilité la tache et nous avons visité la belle Cathédrale Saint François dont j'admire depuis longtemps les orgues et les fresques. J'avoue que je suis entrée pour la première fois dans l'hôtel de Cordon, construit au XVIe siècle par le marquis de Challes, puis acquis par le marquis de Cordon. Le Centre d'interprétation de l'architecture et du patrimoine de Chambéry s'est installé dans cet hôtel particulier. Un cabinet de curiosités au premier étage raconte l'identité de la ville et cet espace bien conçu mérite une visite. Quand je me suis mise dans la peau d'une touriste, je me suis rendue compte que mon regard devenait plus bienveillant, plus attentif. J'ai traversé quelques allées ou traboules (trop lyonnais) et je me suis sentie au Moyen Age… Ma sœur a rencontré la célèbre Mercotte devant la cathédrale et nous avons discuté quelques minutes avec cette chambérienne gourmande. Je n'ai pas oublié d'entrer chez Garin, ma librairie préférée où ma sœur est repartie avec un ouvrage d'histoire sur la ville. Belle matinée familiale dans la capitale savoyarde qui conserve de beaux trésors architecturaux malgré quelques immeubles des années 60 qui défigurent l'entrée de la ville… 

jeudi 2 août 2018

"Journal d'Irlande"

Dans mes années de libraire, les années 70, j'ai beaucoup vendu le best-seller de Benoite Groult, "Ainsi soit-elle". Ce pamphlet gentiment féministe (et pas militant, dommage !) dénonçait le machisme ambiant, les violences et les viols subis, l'injustice des salaires, la soumission, etc. Mais, l'écrivaine nous semblait à l'époque une "grand-mère" alors qu'elle avait la cinquantaine !  Ses romans dits "féminins" se lisaient avec plaisir et souvent avec légèreté. Son dernier ouvrage, "Touche étoile", abordait un thème fort, l'euthanasie, qu'elle défendait avec vigueur. J'éprouve une tendresse particulière et une certaine nostalgie quand je pense à cette époque formidable où certaines femmes se sont éveillées à la liberté et à l'indépendance. Elles ont ouvert les livres de Benoîte Groult, Marie Cardinal, Françoise Mallet-Joris, Simone de Beauvoir, Françoise Sagan, etc. La littérature féministe a bien changé de nos jours quand je pense à Virginie Despentes. La fille de Benoite Groult a voulu rendre hommage à sa mère en publiant les pages de ce journal irlandais, intitulé aussi "Carnets de pêche et d'amour, 1977-2003". L'écrivaine et son mari, Paul Guimard, avaient déjà une maison en Bretagne. Comme ils étaient fous amoureux de l'océan et de la pêche, ils ont acquis une résidence en Irlande où ils ont passé une vingtaine d'années. Ce journal intime évoque les moments heureux du couple : leurs parties de pêche mirifique, la visite d'amis connus comme Régis Debray, les Badinter, François Mitterrand, Eric Tabarly. L'écrivaine raconte sans pudeur sa relation amoureuse avec son amant américain Kurt, personnage que l'on retrouve dans "Les vaisseaux du cœur". J'ai surtout retenu dans ce journal intime les réflexions drôles, émouvantes, ubuesques sur la vie de son "trouple", ce trio hypermoderne formé par elle et ses deux hommes. Comme le journal se passe en vingt ans, Benoîte Groult décrit avec un humour décapant, les ravages du temps sur son corps, son visage et ce constat lucide donne au récit une gravité bien loin de son esprit de légéreté. Tout au long de ses pages qui sentent l'air salé de la côte irlandaise, une énergie folle se dégage de l'écrivaine, une énergie vitale, venue de cette mer d'Irlande. Ecrit simplement et sans effets de style, cet ouvrage recèle des vérités humaines sur le vieillissement, mais avec une ironie bienvenue, l'écrivaine remplace la décrépitude du corps par un amour total de la vie, de l'amour et de l'amitié...

mercredi 1 août 2018

"Au premier regard"

J'ai emprunté le roman, "Au premier regard" de Margriet de Moor à la Médiathèque de Chambéry en étant étonnée de le trouver dans leur catalogue. Cette écrivaine néerlandaise, née en 1941, a déjà publié de nombreux livres, traduits en vingt-quatre langues. "Au premier regard", édité en 1989, s'inscrit dans un espace temps indicible et baigne dans une atmosphère intimiste ouatée. La narratrice raconte, au fond, la vie d'une femme. La première scène du roman révèle son goût prononcé pour la pâtisserie : "Je n'ai jamais besoin de réfléchir à ce que je vais faire. Je le sais, c'est tout. Des petits sablés. Un cake aux pommes. Une quiche lorraine". La pâtisserie comme une thérapie douce.  Son amant de passage, divorcé et rencontré la veille, est resté dans la chambre à l'étage. Cette jeune femme a perdu son mari après quatorze mois de mariage. Il s'est suicidé sans laisser un message pour expliquer son geste. Quelques années plus tard, elle s'interroge toujours sur ce geste incompréhensible. Ton, son mari, l'aimait-il vraiment ? Cachait-il un secret ? Reste-t-il des traces de ce premier amour ? La narratrice recherche des preuves écrites de cette histoire douloureuse. Les temps du récit se télescopent entre ce passé enfoui, son présent incertain et un futur hypothétique. Son mari reste une énigme qu'elle tente de décrypter. Sa mère est morte alors qu'il avait treize ans, puis, il perd son père. Il reprend la ferme familiale par passion de l'agriculture alors qu'il avait entrepris des études de droit. Avait-il une maîtresse ? La narratrice fouille son passé et découvre un agenda et un vieux billet de parking. L'écrivaine ne révèlera pas la vérité sur cet homme mettant fin à ses jours. Ce roman tout en délicatesse pose la question du deuil, de la connaissance de l'autre, de la fragilité des liens amoureux. La narratrice soupçonne son mari d'infidélité et elle décide de rencontrer  cette inconnue. Je ne dévoilera pas la fin du roman car Margriet de Moor nous chuchote qu'il faut accepter le tragique dans sa vie, vivre le deuil, et, reprendre le chemin avec courage. Une nouvelle vie amoureuse peut surgir malgré les regrets d'un rendez-vous manqué… Un beau roman à découvrir, sensible et très bien traduit.