vendredi 6 mai 2022

"Alexis ou le traité du vain combat"

 26 ans ! Marguerite Yourcenar n'avait que ce âge-là quand elle a publié ce roman, "Alexis ou le traité du vain combat" en 1929. Maturité, profondeur de l'analyse psychologique, réflexions sur la vie, toutes ces qualités se retrouvent dans cette longue lettre d'Alexis à Monique, sa femme. Cette confession émouvante tente d'expliquer la rupture qu'il déclare un peu tardivement à son épouse. Son mariage décevant a été un échec et il s'attribue totalement ce naufrage. Alexis a-t-il commis une faute grave, un acte délictueux ? Cet homme est issu d'une grande famille autrichienne quasiment ruinée. Il a été élevé dans un monde féminin, un monde aimant qui calme ses angoisses : "Il en était de leur présence comme de ces lampes basses, très douces, qui éclairent à peine, mais dont le rayonnement égal empêche qu'il ne fasse pas trop noir et qu'on ne soit vraiment seul". Son sentiment de solitude s'exacerbe dans sa jeunesse et Alexis s'interroge sur le sens de sa vie malgré sa passion de la musique et son catholicisme sincère  : "Sa vie n'est qu'à lui-même, qui ne sera pas deux fois, et qu'il n'est pas toujours sûr de comprendre tout à fait".  Peu à peu, sa confidence s'étoffe au fil des pages et il avoue son mensonge à Monique. Ce mariage devenait un piège et une erreur. Le personnage central analyse sa différence sexuelle sans jamais citer le mot tabou et malgré un "vain combat", il ne peut lutter contre ses instincts. Dans les années 30, le sujet de l'homosexualité n'était pas traité comme aujourd'hui. La culpabilité d'Alexis s'étale dans cette longue lettre car il s'accuse d'avoir trahi son épouse sur ce mensonge entre eux. La société lui a ordonné de se conformer à la norme : "Je n'étais pas heureux". Marguerite Yourcenar avec son style unique d'un classicisme somptueux décrit le carcan social d'une société bien-pensante. Alexis finit par reconnaître sa différence "des sens" pour enfin s'accepter afin d'atteindre sa propre liberté et devenir ce qu'il est comme aurait dit Nietzsche. Sa longue confession se termine ainsi : "La vie m'a fait ce que je suis, prisonnier (si l'on veut) d'instincts que je n'ai pas choisis, mais auxquels je me résigne, et cet acquiescement, je l'espère, à défaut du bonheur, me procurera la sérénité".  Un très beau récit subtil, profond et toujours d'actualité malgré la centaine d'années qui nous sépare de cette confession bouleversante d'humanité.