vendredi 3 juillet 2020

"La vie ordinaire"

Adèle Van Reeth, l'animatrice des Chemins de la philosophie sur France Culture, se pose une question essentielle : que signifie "la vie ordinaire ? "  dans son premier essai autofictionnel, publié chez Gallimard. Comme je l'écoute souvent dans son émission culte, j'avais envie de découvrir sa personnalité au bout de sa plume. Elle déclare souvent qu'elle ressent un problème avec la vie ordinaire. Peut-on associer à cette expression courante les mots commun, banal, familier, quotidien, routinier, habituel ? En fait, les choses d'un quotidien ordinaire la rebutent, l'ennuient et on est loin de la "première gorgée de bière" de Philippe Delerm, le chantre des plaisirs minuscules. Adèle Van Reeth dénonce cet état d'esprit : "La vie ordinaire est une vie de détails, une vie vue de très près, de beaucoup trop près, ça colle, on s'englue, et on finit par ne plus bouger". Pointe déjà dans le fil du récit son "intranquillité" existentielle, "un doute indéracinable et profond, une authentique incrédulité quant aux liens entre le monde, les autres et moi". Les gestes du quotidien ne l'enchantent guère et même si ces moments de vie semblent incontournables, elle se refuse à se satisfaire du "sachet de thé qui s'égoutte sur la toile cirée ou de la ratatouille qui mijote". Ce "degré zéro de l'existence", elle veut l'exorciser, le comprendre, l'appréhender dans sa complexité : "La vie ordinaire est un voile de politesse déposé sur le gouffre pour nous aider à vivre". Un autre thème émerge de ces pages : elle raconte sa grossesse et s'adresse directement à cet enfant qui va naître en se séparant d'elle. Cette expérience à la fois commune et à la fois unique n'a jamais été pensée comme un acte philosophique car ce monde-là est majoritairement masculin. Elle évoque son compagnon, père de trois garçons, la famille recomposée, les tensions inhérentes au statut de belle-mère. Sur le plan théorique, elle s'appuie sur Emerson, un philosophe américain du XIXe prônant le pragmatisme familier loin du romantisme européen. Elle cite aussi Stanley Cavell qu'elle découvre lors de ses études universitaires à Chicago et surtout se réfère à Clément Rosset, un philosophe qu'elle apprécie beaucoup. La vie ordinaire serait donc un réel accepté, un réel unique et non double, une joie d'exister tout simplement. Mais, la pensée méandreuse de la philosophe entraîne le lecteur(trice) sur des sommets d'altitude comme sur des plaines plates, une vie prosaïque nimbée d'un ailleurs philosophique.  Ce texte parfois surprenant sur le dévoilement de sa vie privée (sa vie de famille, la mort de son père, sa jeunesse) se lit avec beaucoup d'intérêt mais peut aussi dérouter par son projet de définir la notion de "l'ordinaire", un défi pour la jeune philosophe médiatisée.